Interview : Vincent Lecrubier

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Vincent Lecrubier en janvier 2021.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Vincent Lecrubier : Ben écoute, très bien. Je suis très honoré d’être le premier “ancien” à passer sur le Podcast.

Les Secrets du Kayak - Quand as-tu débuté le Kayak ?

Vincent Lecrubier : J’ai commencé le Kayak, je devais avoir 8 ou 9 ans au club de Saint Grégoire, à côté de Rennes en Bretagne.

Je me suis beaucoup entraîné avec mon père qui a été mon coach pendant très longtemps et aussi avec René et Gilette Trégaro qui sont les figures du Club qui l’ont créé en 1969.

Gillette était toujours au bord du bassin et je me souviens quand elle m’avait conseillé de faire du K2 avec mon pote Morgan quand j’avais 9 ans.

Mon père était ingénieur informaticien et il a commencé à m’entraîner ainsi quelques copains bénévolement. Il a aussi entraîné Sarah Troel, Edwin Lucas à un moment également.

Le club de Saint Grégoire, c’est la famille. J’ai commencé là bas et j’ai fini ma carrière la bas. C’est un club qui a une âme qui est incarné par ses fondateurs qui l’ont créé en 1969 après avoir été champion de C2 mixte en descente.

VincentLecrubier

Il y a une grosse culture de bénévolat et une bonne dynamique qui est toujours présente depuis des décennies.

Personnellement, j’ai commencé par la baby gym puis la gym jusqu’à mes 10 ans jusqu’à être champion de Bretagne par équipe.

Grâce à la gym, j’étais assez musclé pour mon âge. Je pense que ca m’a aidé à mes débuts en Kayak et notamment à gagner mes premières courses départementales.

Lors de mes premiers championnats de France, j’ai fait 4 ème. Je n’étais pas le meilleur mais c’était quand même pas mal.

C’est peut être cette place qui m’a mis la niaque car j’étais dégouté d’avoir fait 4 ème et de ne pas avoir eu de médailles.

Les distances ont tendance à être les mêmes chez les jeunes sauf pour le 5000 mètres qui est le 2000 mètres de mémoire.

Par exemple, le marathon chez les jeunes, c’est 5 ou 10 km alors que chez les seniors, c’est 30 km.

En gymnastique, dès la sixième, il fallait que je passe en sport études et je n’étais pas très motivé par cela.

En plus, je ne suis pas très souple de base, mes anciens coéquipiers de l’équipe de France pourront le certifier et je me souviens que le coach de gym passait ses fins de séances sur moi pour m’assouplir. Physiologiquement, je ne suis pas très souple.

En Kayak, j’ai vraiment adoré le côté Outdoor ainsi que le côte “glisse”.

C’est aussi le seul sport où tu peux être immergé dans le ciel et ca, c’est trop bien.

Quand j’ai commence le kayak, je me souviens qu’il y avait 3 grandes portes au Club.

Dans l’une, il y avait les bateaux plastiques et de slalom.

Dans une autre, les bateaux de descente.

Et dans la troisième, les bateaux de course en ligne.

Dans ma tête, à l’époque, c’était une évolution. On suivait donc cette ordre là en terme d’apprentissage.

On avait des bateaux qu’on appelait des “Allemands” à l’époque, peut être des Orions, qui étaient des équivalents de bateaux assez stables. Après on passait sur des “Américains” qui sont des équivalents des bateaux de compétition de nos jours.

La première fois que j’ai fait une compétition en américain, j’avais 15 ans.

On avait entraînement le mercredi avec l’école de pagaie et le samedi avec mon père et c’était comme ca pendant quelques années jusqu’à tant que je finisse 4 ème.

L’année d’après, après les cours, vers 18-19h, à partir du mois de mars, on a commencé à s’entraîner tous les jours sauf le lundi.

Petit à petit, on a rajouté des séances, surtout le week end où on chargeait.

Les Secrets du Kayak - A partir de quand as-tu eu des objectifs de compétition ?

Vincent Lecrubier : Au début, j’avais tout de suite l’esprit tourné vers la compétition et rapidement, avec les grands du club qui n’étaient pas loin de l’équipe de France junior, on regardait des vieilles VHS. Ca m’avait vraiment motivé.

J’ai commencé à penser à l’objectif Jeux Olympique en 2003 quand j’étais en équipe de France junior, quand en K2 avec mon partenaire Ludo, on fait 3 ème au championnat du monde.

Là, j’ai commencé à avoir des objectifs plus long terme.

En 2004-2005, on a commencé à être un sacré groupe sur l’eau au club, une bonne dizaine-quinzaine de personnes qui s’entraînaient à fond.

Historiquement, le kayak de course en ligne est plutôt une activité du nord.

C’est sur qu’après avoir passé 10 ans à Toulouse, j’ai plus de mal à me mettre à l’eau quand il fait froid et qu’il pleut mais une fois que tu y es, ca va tout seul.

A mon époque, il n’y avait rien dans le sud.

Les Secrets du Kayak - Comment choisir sa distance ?

Vincent Lecrubier : Je pense que je suis bien tombé parce que la distance sur laquelle je me sens à l’aise, c’est le 500 mètre.

C’est peut être parce qu’à Saint Grégoire, tu n’as qu’une ligne droite et qu’elle fait 500 mètre.

C’est là qu’on s’entraînait pour la course. On se tirait une bourre sur la ligne droite et je pense que ca vient de là.

C’était la distance reine dans ma carrière jusqu’au moment où le 200 mètre est apparu.

Quand en 2009, il y a un split entre le 200 et le 1000, je me suis tourné naturellement vers le 1000 mètre.

Je n’ai jamais été très bon sur 200 mètre, peut être aussi parce que je ne me suis jamais trop entraîné pour, même si physiologiquement, je pense que j’étais meilleur sur le 1000.

Les Secrets du Kayak - Concilier études et haut niveau

Vincent Lecrubier : Je n’ai jamais eu de scolarité aménagé jusqu’à Bac + 4.

J’ai toujours suivi un cursus scolaire normal ce qui peut être peu surprenant.

J’avais peut être de bonnes conditions comme c’était mon père qui m’entraînait, le club et le lycée n’étaient pas loin de chez moi ce qui me permettait de m’entraîner correctement.

J’ai commencé à louper une semaine de cours, je me souviens, au lycée pour les championnats du monde de marathon. C’était un peu chaud mais ca s’est bien passé finalement en expliquant les choses dès le début de l’année.

A partir du lycée, je m’entraînais quand même deux fois par jour, une fois sur la pause du midi et une fois le soir. J’ai fait pareil en Math Spé et Math Sup.

Je bourrais aussi le week end à fond ce qui fait que j’ai toujours pris mon jour de repos le lundi.

En école d’ingénieur après, j’avais le droit de louper certains courts du moment que j’avais de bonnes notes aux contrôles.

A l’époque, on avait essayé de me dissuader de continuer mes études sans aménagement tout en m’entraînant à fond pour le kayak.

J’ai quand même tenté le coup et ca l’a fait.

Je pense qu’on sous-estime trop les effets de l’entraînement aérobie pour oxygéner son cerveau. Pour moi, quand tu as passé 8 heures en cours, tu n’as pas besoin de passer 4 heures de plus à réviser.

Surtout qu’avec de longues séances aérobies, ton cerveau peut divaguer et puis finalement, ca marche super bien.

Je n’ai jamais eu de problèmes en cours malgré un emploi du temps chargé.

Et au contraire, depuis que j’ai arrêté le sport, je pense que je bosse parfois trop.

Faut essayer et y croire. C’est une discipline à mettre en place.

Aujourd’hui, j’aurais du mal à me remettre dedans mais quand tu y es entré comme ca, assez jeune, ca se fait.

Je n’ai jamais délaissé les études au profit du Kayak.

Sauf pour les Jeux Olympique de Pékin où avec mon entraîneur, Jean Pascal Crochet, on a demandé à l’école de dédoubler l’année même si j’avais presque tout suivi jusqu’à mai.

Vincent Lecrubier

Le passage du Club de Saint Grégoire comme lieu d’entraînement au Pole de Toulouse est aussi bien un choix sportif que scolaire.

J’ai toujours été passionné par l’aéronautique et Toulouse a l’école que je voulais faire à ce sujet.

De plus, il y a avait un petit groupe de course en ligne qui se montait au pôle de Toulouse où il y avait déjà Jean Pascal Crochet, Boris Saunier et Anne-Laure Viard.

Il y a Sebastien Jouve qui est venu aussi par la suite et c’est comme ca que le Pole de “course en ligne” a démarré à Toulouse.

Les Secrets du Kayak - Comment ton entraînement a évolué ?

Vincent Lecrubier : Les entraînements ont pas mal changé, car mon père avait appris à être entraineur en même temps que j’apprenais le kayak.

On avait des méthodes d’entraînements assez intéressantes et hors cadres.

A l’époque, par exemple, on s’entrainait en musculation uniquement pour les tests de l’équipe de France ou presque avec beaucoup de développé couché et de tirage planche. On faisait de la course à pied parce qu’il y avait de la course à pied.

En bateau, on faisait des 1 minute compté, c’est à dire 1 minute à fond où on comptait notre coup de pagaie car les cadences mètres n’existaient pas à cette époque. Le but, c’était de mettre le plus de coup de pagaies possible.

On s’entraînait aussi beaucoup au frein. Je faisais toutes les séances avec un frein ou presque, toute l’année car on s’entraînait à Saint Grégoire, en groupe, avec les filles qui ne mettaient pas de frein et on devait aller à la même vitesse.

On régulait par l’ajout de frein car il n’y avait qu’un coach qui suivait sur le bord en vélo et comme personne ne voulait être derrière pour se prendre les vagues dans le canal.

Ca a d’ailleurs été un gros changement à Toulouse où je ne faisais presque plus de “frein”.

A mesure que je progressais, je mettais un frein de plus en plus gros. Je pense que ca m’a beaucoup aidé.

Un truc que l’on faisait beaucoup aussi, c’était de l’EC, de l’endurance de course. Une séance que l’on faisait souvent, c’était à l’approche des compétitions, 10x500 mètres à fond.

Quand j’arrivais en stage avec l’équipe de France et que les entraîneurs voyaient mon plan, ils ne “comprenaient" pas alors que ca marchait pas mal.

Je n’avais pas peur des 500 mètres avec ce genre de séance, je maitrisais.

A l’inverse, en arrivant à Toulouse, où les EC étaient un peu sacralisés, j’avais la pression. On se montait la tête pour 3x500 mètres.

A trop sacraliser le truc, j’avais peur alors qu’avant, j’en faisais tellement que je n’y pensais même pas.

Après c’est sur que sur 3 séries, j’allais plus vite que sur 10 mais c’est deux entraînements différents en fait.

Je ne peux pas dire qu’à Toulouse, c’était moins fatiguant car je m’entraînais avec Sébastien Jouve, qui a été le meilleur français pendant longtemps et Boris Saunier. Même sur les séances d’EB1, on se tirait la bourre en mettant des appuis “lourds”.

J’ai quand même rapidement intégré que le but n’était pas de gagner à l’entraînement ou du moins de ne pas gagner tous les entraînements.

Pendant longtemps, dans ma tête, j’étais le plus jeune. Je n’ai pas de fait de compétitions en U23, je suis tout de suite passer en compétition chez les Seniors.

Ca me donnait la niaque d’être le plus jeune, surtout que j’avais fait de bonnes places à l’international en junior juste avant.

J’ai donc intégré l’équipe de France senior à 19 ans.

Au début, je faisais la vitesse mais aussi du marathon jusqu’à tant qu’un groupe avec Quentin Urban, Edwin Lucas, Stéphane Boulanger, Jerémy Candy… se spécialise sur la discipline.

Les Secrets du Kayak - Les JO de Pékin : Surprise ?

Vincent Lecrubier : C’était mon objectif en 2008. 4 ans avant, dans un article de journal, j’avais dit que j’en rêvais mais j’en étais encore loin.

A ce moment là, c’était un objectif lointain que je ne pensais pas réalisable.

Et puis, finalement, j’étais pas si mal placé, sans être le numéro 1 pour Pékin.

J’ai eu la chance de faire un K2 avec Sebastien Jouve. On n’avait pas fait les quotas l’année précédente mais il y avait les rattrapages à Milan au moins de mai et on fait 5 ème ce qui nous qualifie pour les jeux.

Vincent Lecrubier

C’était énorme en terme de sensation avec Seb qui poussait à fond derrière.

En Chine, il avait mis des moyens pharaoniques pour les jeux, c’était impressionnant.

Ce que j’en tire, c’est qu’on était là pour performer, pas pour faire du tourisme. Lors de la cérémonie d’ouverture, on était en train de s’entraîner au Japon, on l’a regardé à la télévision. On était focus sur la course.

En 2012, j’étais remplaçant au cas où Cyril Carré se serait blessé et du coup, j’y étais en spectateur, c’était vachement plus sympa.

En tant qu’athlète, c’est une compétition avec une pression médiatique importante et ca passe vraiment très vite.

J’en ai des souvenirs sous forme de flash.

Je ne suis pas spécialement du résultat. A l’arrivée, on était dégouté surtout qu’à la mi-course, on était bien. Ce qu’il s’est passé, c’est qu’il y avait les espagnols à côté de nous qui n’étaient pas attendus et ils ont fait un départ de dingue ce qui nous a fait partir à “fond” et on a payé ca à la fin de course ce qui nous a fait finir 7 ème.

Je pense que c’était une erreur de visualiser une configuration de course car ca nous a déstabilisé au lieu de suivre notre plan de course qui consistait à pousser à fond après la moitié de courses.

En 2012, on devait faire un quota en K4 l’année d’avant et à la base, je n’étais pas dedans. On a eu une préparation tardive d’autant plus qu’à la base, Sebastien Jouve et Arnaud Hybois avait le projet du K2.

Il y avait les rattrapages continentaux après où j'étais en K2 avec Philippe Colin et on n’a pas fait le job.

C’était frustrant mais ca apprend à perdre.

Les Secrets du Kayak - Une retraite prématurée ?

Vincent Lecrubier : Rio, c’était un peu moins frustrant parce que je l’ai vu venir alors que Londres, j’y ai cru jusqu’au bout. Par contre, Rio, je faisais ma thèse en parallèle et il a fallu que je fasse un choix, celui de finir ma thèse et donc je n’avais plus le niveau.

Désormais, j’ai une Start-Up "Sterblue”. En clair, on est une plateforme centralisée pour faire de l’inspection par drone d’infrastructures d’énergies, d’éolienne, de centrale électriques… On fait l’intelligence artificielle qui détecte les problèmes et tout ca avec une plateforme sur le web.

Dans ma tête, 30 ans, c’était un âge respectable pour finir sa carrière quand j’étais jeune. J’avais 3 olympiades en tête et je me suis toujours projeté là dedans.

Depuis, il y a des “vieux” qui font de la résistance comme Maxime Beaumont qui va avoir 38 ans, Cyrille Carré…. C’est possible de performer jusqu’à bien plus tard que je pensais jeune.

En 2016, je finissais mon doctorat, j’avais créé ma société et je continuais le Kayak de course en ligne. J’ai fait les sélections ainsi que les championnats d’Europe également cette année là.

En essayant de concilier le tout, j’ai vite compris que ce sera difficile d’aller à Rio.

J’adore le kayak de course en ligne mais c’est très dur de continuer ensuite surtout quand tu as connu les sensations que tu as quand tu es en super forme car d’un coup, ca glisse vachement moins.

Ca a été dur car je ne me faisais plus plaisir en bateau.

J’ai fait du triathlon par la suite, du marathon aussi en course à pied.

Je m’y suis remis mais plus pour le plaisir maintenant que j’ai oublié mes sensations quand j’étais à haut niveau. J’ai l’impression de glisser alors que je n’avance pas.

Les Secrets du Kayak - Vice président de la fédération ?

Vincent Lecrubier : A ma retraite sportive, je n’avais pas envie de couper les liens avec le Kayak du jour au lendemain.

J’avais envie aussi d’être utile, notamment avec mes compétences sur le numérique. Je voulais aider sur la communication également.

A partir de 2012, j’étais un peu en conflit avec le DTN de l’époque. Je n’étais pas d’accord avec pas mal de décisions.

Une chose que j’ai découvert en étant vice président, c’est qu’il faut les moyens pour faire de la communication. En même temps, mon entreprise a pris de la place au bout de 2 ans et j’ai déménagé aux Etats Unis puis au Portugal ce qui fait que les deux dernières années de mon mandat, je n’ai pas vraiment aidé.

J’aurais voulu aider plus.

Ce n’est peut être pas pour rien que la plupart des élus sont d’un âge avancé parce qu’au final, quand tu as 30 ans, tu n’as peut être pas le temps de t’investir sur le long terme.

J’ai appris des choses et pour ca que je remercie les gens qui m’ont fait confiance. J’espère avoir apporté deux-trois petites pierres à l’édifice.

Je n’ai pas révolutionné la FFCK comme je le souhaitais.

Les Secrets du Kayak - L’évolution de l’entraînement

Vincent Lecrubier : Le plus marquant à mon époque, c’est l’arrivée du 200 mètres.

Ca a scindé l’entraînement avec d’un côté les sprinters qui travaillaient la vélocité et les “milers” qui faisaient plus d’aérobie alors qu’auparavant, tout le monde faisait presque le même entraînement.

Le 200 a “invente” une nouvelle façon de s’entraîner.

Vincent Lecrubier

Je suis pas mal branché “recherches” et j’ai pas mal bossé sur le côté mécanique, le côté physiologique. L’INSEP a beaucoup bossé sur la R et D de la performance.

Un des sujets sur lequel j’ai pas mal bossé, c’est de mesurer, de traquer les mouvements du bateau. A l’aide de différentes technologies, on a pu traquer 100 fois par seconde les mouvements du bateau.

A partir de 2010, on sait exactement leurs mouvements et à partir de là, on a pu faire de l’hydrodynamique autour du bateau pour optimiser leurs formes, le gouvernail…

J’aurais bien voulu que l’on pousse cela pour la compatibilité des équipages. Je suis persuadé qu’en analysant les mouvements accélérométriques de chacun, tu peux voir si le courbes ont la même forme ou pas.

Alors que si tu vois des courbes en opposition, forcément, ca va être la galère.

Il y a aussi le côté nutrition qui s’est pas mal développé avec l’INSEP. Après ce qui est compliqué pour faire des études scientifiques dans le sport de haut niveau, pour savoir si ca marche, il faut un certain nombre de participants alors que par définition, le sport de haut niveau, c’est très très peu de gens.

C’est le problème dans ces études, de déterminer la réalité qu’il y a derrière.

Ce qui était des intuitions deviennent des “vérités”.

Sur la biomécanique, la nutrition, l’entraînement… Beaucoup de choses se sont professionnalisés avec de vrais arguments derrière.

Je n’étais pas l’élève modèle en nutrition, en faisant du 1000 mètres et de l’aérobie, je ne prenais pas un pet de gras alors que j’étais loin d’être le plus sérieux là dessus.

Je n’ai jamais eu cette problématique du “Il faut que je fasse gaffe”.

A posteriori, peut être que ca m’a limité. Je mangeais normalement sans faire d’effort particulier.

J’ai fait sans compléments alimentaires pendant très longtemps. J’ai pris un peu de shaker de protéine par période en fonction des séances de musculation que l’on faisait mais rien de plus.

Je fais parti de ceux qui croient qu’une alimentation équilibrée suffit sauf ponctuellement.

En fait, le problème, c’est que c’est dur de chiffrer. Entre des moments où je faisais attention à mon alimentation et les moments où je ne faisais pas attention, je ne voyais pas de différences.

J’ai fait plein d’essais avec des vitamines, du magnésium, des BCAA… Je n’ai pas eu l’effet placebo.

Alors que peut être ca change sur le moyen et long terme, des détails + des détails peuvent faire un plus.

Après le truc, c’est que je ne me suis jamais blessé ni en Kayak, ni dans d’autres sports. Ma pire blessure de ma vie, c’est quand j’étais en sixième et que je suis tombé en roller.

A l’inverse, je pense que Maxime Beaumont a énormément gagné en professionnalisme dessus car il a été beaucoup blessé en début de carrière. Désormais, c’est une machine et il ne laisse rien au hasard.

Pendant assez longtemps, on a eu des tests. Il y avait deux choses, la musculation et la course à pied, en plus du 200 et du 1000 m en Kayak.

On avait un 5000 m en course à pied et en musculation, un test en force max au développé couché et au tirage planche et un test 2’ sur les mêmes exercices avec 55 et 50 kg.

C’était les tests immuables pendant 10 ans.

Clairement, je pense qu’on s’en sort clairement bien sans mais je trouve que ca n’a pas fait de mal.

Ca forçait tout le monde à avoir un certain niveau physique.

Sur le 5000 m, j’ai du faire 17’20 au mieux.

Au début de ma carrière, j’étais meilleur sur la force endurance. Après, comme j’ai eu envie d’être bon en K4, je me suis plus entraîné sur la force maximale.

J’ai toujours été meilleur en développé couché qu’en tirage. J’étais un peu monsieur pec à un moment.

Je me suis monté à 155 kg au développé couché et au tirage planche, grand max, j’ai du faire 125 kg. Le problème en tirage aussi, tu peux soulever 155 et être à quelques centimètres de la planche.

C’est là que ca vaut le coup d’avoir de la vélocité et je pense que c’est un truc qui me manquait.

C’est quand même assez spécifique et je pense que c’est bien de pas mettre l’accent à fond sur ces exercices. Ca ressemble plus au Kayak de faire tous les muscles.

Tu peux avoir des brutes sur le développé et le tirage planche qui n’avancent pas sur l’eau parce que ce n’est pas du Kayak.

C’est bien d’avoir une musculature équilibrée et de la vélocité.

Je suis plutôt de la team “poids morts” pour le travail des cuisses en musculation. Tu le sens qu’il y a des courses où tu as mal aux cuisses et dans ce cas, il faut les bosser.

Je me souviens qu’avec Sébastien Jouve, on était des têtards dans le bateau et ca le faisait bien.

Il y a besoin d’en faire mais pas autant que le reste.

Ce qui me manquait le plus, je pense, c’était de la force et de la vélocité dans les dorsaux. C’était clairement pas les pecs, je ne pense pas que c’était les jambes.

J’ai souvent eu le psoas qui me brûlait en fin de course que j’ai travaillé après mais je pense que je manquais de vélocité plus globalement.

Je pense que l’inventeur de la feuille en Teflon sur le siège de Kayak, c’est Sebastien Jouve. A une époque, on faisait du siège tournant vers 2005-2006, tout le monde avait ca à Toulouse.

On avait récupéré un coup un siège étranger splitté en deux jours côtés avec des roulettes et c’était pas mal aussi.

Puis Seb a commencé à mettre du Teflon sur son siège et ca, c’est répandu afin d’avoir plus d’amplitude au niveau des jambes.

Les Secrets du Kayak - Question matériel

Vincent Lecrubier : Je n’ai jamais fait d’ergomètre, du moins mon utilisation était anecdotique. Dans les pays nordiques, ils en font beaucoup car l’eau est gelée.

Notre philosophie, ca a toujours été d’aller dehors plutôt que de rester à l’intérieur.

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J’avais même plutôt la peur de perdre mon geste et j’accordais beaucoup d’importance au feeling de l’eau.

Déjà entre la même pagaie mais un modèle d’une année sur l’eau, je sentais la différence alors avec l’ergomètre, j’avais peur de perturber mon geste.

Alors que ca peut être bien de varier les exercices.

En kayak, ce qui me semble vraiment important, quand on s’entraîne à plusieurs, c’est le feedback immédiat. Si tu loupes un coup de pagaie, tu te prends 15 centimètres. Tu vois donc tout de suite si ce que tu as tenté fonctionne ou pas alors qu’avec l’ergomètre, cette finesse, tu ne l’as pas.

Toutefois, ca peut avoir sa place pour travailler des choses différentes.

Quand je m’entrainais à Rennes, je n’ai jamais fait de coupures hivernales. On ne se posait pas trop de questions.

En arrivant à Toulouse, on s’est posé la question de faire une semaine ou deux sans kayak.

Je n’ai pas d’avis là dessus.

Par contre, le fait d’arrêter deux semaines, psychologiquement, j’avais l’impression d’avoir tout perdu techniquement.

Dans l’absolu, je ne sais pas si c’est bien ou mal.

J’ai longtemps été, comme Cyrille, un outsider, car j’ai longtemps été chez Zedtech avec le Orca, qui est très directeur. Après en 2009, je suis passé en Nelo quand ils m’en ont offert un.

En pagaie, j’étais en Braca 2 que je réglais à 45 degrés en 2m18. Je suis passé en manches réglables assez tôt en variant la longueur de 1 centimètre en fonction des conditions. Je sens que je varie d’un centimètre, ce n’est pas beaucoup dans l’absolu.

On m’a mis cette étiquette assez rapidement de “Vincent, c’est un mec qui a de la force, de l’amplitude et pas trop de vélocité” d’où une pagaie assez longue comparativement à ma taille d’1m84.

A l’époque, j’avais un manche non réglable qui était un peu souple et quand je suis passé sur un manche réglable, ca faisait un peu barre à mine. Je sentais la différence au niveau du grand rond et du grand dorsal. Je m’y suis mis et je pense que le manche s’est assoupli petit à petit.

Je pense que les manches élastiques, c’est utile car ca restitue la force. Ce qui abime le muscle, je pense, c’est la “pointe” de force. Avec un manche hyper dur, ca va faire une grosse pointe alors qu’avec un manche souple, la “point” sera atténuée.

C’est pour ca que je pense qu’avoir un manche entre deux, c’est peut être pas mal.

En 2010, je suis passé en manches réglables car j’ai toujours aimé pouvoir jouer sur la longueur de ma pagaie.

Je suis passé chez Nelo parce que tout le monde était dessus et donc ce n’était pas le bateau qui allait me limiter alors que tu es tout seul dans dans ton bateau, tu ne sais pas si tu es à armes égales.

Les Secrets du Kayak - Quid de l’importance de la psychologie ?

Vincent Lecrubier : Via mon entraineur, Jean Pascal, j’ai vu des préparateurs mentaux mais sans assiduité.

Mon père qui a eu une maladie assez longue et qui a du gérer m’a appris à gérer le stress.

Je pense que je suis un peu “réfractaire” et j’ai l’impression qu’il faudrait travailler longtemps avec un préparateur mental avant de voir un effet.

A l’échauffement, j’avais ma routine. Je me mouillais aussi la tête avant le départ pour l’effet sur le système parasympathique, pour me réveiller.

Je travaillais aussi pas mal sur la respiration.

C’est marrant, à l’arrivée du départ, le cœur monte tout seul à 160-170 alors que ca fait 2-3 minutes que tu ne fais plus rien. Je pense que c’est le côté d’avoir “envie de gagner” qui fait ca car j’ai toujours été compétiteur.

Et il y aussi la peur de perdre dans l’envie de gagner. C’est un truc qui m’a drivé pendant longtemps car j’ai gagné assez “vite” jeune.

On m’a souvent dit “Pourquoi tu as peur alors que c’est une petite course ?” alors que je me mettais toujours la pression pour ne pas perdre quelque soit le niveau de la course.

En plus, dans ma vie, j’ai souvent fait deuxième en plus, vice champion du monde, vice champion d’Europe…

Ce qui m’a motivé aussi, c’est d’arriver dans la cour des grands en arrivant à Toulouse, de m’entraîner avec des gars qui étaient déjà en équipe de France avec qui vraiment se tirer la bourre, même si j’aurais aimé pouvoir retrouver ça à Saint Grégoire car c’est mon club de cœur.

Je n’ai pas vu de déclin dans mes facultés de récupération à la fin mais ce qui a joué physiquement, c’est que je fais des extrasystoles au niveau cardiaque ce qui n’est pas très grave en soi.

Au début, ca me le faisait au repos le soir à fréquence cardiaque basse. Au lieu qu’il batte en deux temps, il battait parfois en trois temps.

Et vers la fin, ca a commencé à me le faire à l’effort et c’était assez désagréable.

En plus, à la même époque, il y avait un jeune de mon club qui est mort dans la nuit de problème cardiaque. Ca a joué dans ma psyché, j’ai commencé à avoir moins confiance dans mon cœur.

Genre en course à pied ou en bateau, tout allait bien et d’un coup, tu n’es plus bien psychologiquement car tu n’as plus la confiance à 100% dans ton corps.

Au niveau cardiologique, il n’y a rien de spécial à faire. Ce n’est pas curable ni spécialement dangereux mais ca peut être une prédisposition pour des problèmes futurs.

Je pense que l’impact est plus psychologique que physique.

Aujourd’hui, je le sens encore et j’ai du mal à faire du sprint tout seul s’il n’y a personne autour.

Je ne suis pas à plaindre mais quand tu fais du haut niveau, il faut que tout soit aligné.

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