Interview de Bram Sikkens

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Bram Sikkens en novembre 2023.

Les Secrets du Kayak : Salut Bram, tu as la forme ? Tu arrives à t'entraîner en kayak en ce moment avec cette météo apocalyptique ?

Bram Sikkens : Oui, en Belgique je peux y aller tous les jours. La météo n'est pas idéale, mais on arrive à y aller chaque jour. On fait également du cyclisme, de la musculation (gym) ou d'autres choses. Mais dans quelques jours on part en stage en Turquie, le temps y sera meilleur.

Les Secrets du Kayak : Effectivement, la Turquie est une destination populaire pour les kayakistes. Tu y es déjà allé ?

Bram Sikkens : Oui, ça fait 3-4 ans qu'on y va. Nous sommes les premiers à y être allé, on a un peu lancé la mode. On s’entraîne sur une petite rivière avec peu de courant. L'hôtel et les infrastructures sportives y sont sympa. Il y a même déjà des bateaux sur place.

Les Secrets du Kayak : Tu pars combien de temps en Turquie ?

Bram Sikkens : Une semaine seulement. On y va avec le comité olympique belge, pour la cohésion des différentes équipes belges.

Les Secrets du Kayak : J'ai vu que tu es déjà qualifié en K2 pour les Jeux de Paris ? Est-ce que pour toi c'est une surprise d'avoir réussi ?

Bram Sikkens : Non, je n'ai pas réussi ! J'étais douzième. Je dois faire les rattrapages. C'est Arthur qui a réussi en K1, il a fini sixième. Les filles elles sont quatrièmes. Je suis le seul à aller aux rattrapages.

Les Secrets du Kayak : Tu es encore jeune, tu as de bonnes chances de te qualifier ?

Bram Sikkens : Je n'en suis pas certain. Arthur ne peux pas faire le K2 avec moi puisqu'il est qualifié en K1, je dois donc trouver un nouvel équipier. Avec Arthur on se connaît depuis toujours, on a toujours navigué ensemble. Donc ça va être un peu difficile d'apprendre en aussi peu de temps à pagayer avec quelqu'un d'autre.

Les Secrets du Kayak : Tu as commencé très jeune le Kayak ?

Bram Sikkens : Oui j'ai commencé à l'âge de 8 ans, à Malines dans mon club. C'est un club de course en ligne et de descente. Ma première course était en course en ligne, je n'y ai pas brillé. Je n'étais pas prédestiné à être un athlète de haut niveau.

L'hiver on faisait beaucoup de courses de descente. En Belgique ce n'est pas comme en France, il nous faut beaucoup d'eau dans les rivières pour pagayer. L'été c'est impossible pour nous, il n'y a pas assez de pluie. Je n'ai en revanche jamais fait de slalom. Il y a très peu d'athlètes qui pratiquent le slalom en Belgique.

Les Secrets du Kayak : Quand tu débutes, malgré les difficultés tu t'es pris au jeu. Comment s'organisait tes entraînements ?

Bram Sikkens : J'ai commencé en été, en Belgique on fait 4 entraînements par semaine. Deux les mardi et mercredi, puis le samedi et le Dimanche. La semaine c'était après l'école. En hivern il n'y avait pas de lumière, il faisait froid. Je ne voulais pas m'entraîner. Je voulais même arrêter, mais ma mère m'a poussé à poursuivre au moins passer l'hiver. A 16 ans, on a ajouté de la musculation.

Les Secrets du Kayak : Avant tes 16 ans, tu faisais d'autres activités que le kayak en complément ?

Bram Sikkens : A l'école, je faisais dix heures de sport par semaine. On faisait de la natation, de la course à pied, du vélo. En club aussi, on faisait de la course à pied, surtout l'hiver.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu te débrouillais mieux dans ces autres sports ?

Bram Sikkens : Oui, j'étais plus doué dans ces autres sports, en natation ou la course à pieds. Mais aussi en gym à l'école. J'avais de la force. En revanche, dans les sports de coordination j'étais mauvais.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu'à un moment tu as passé un cap en kayak ? Et si oui grâce à quoi ?

Bram Sikkens : Lors de ma première compétition, en descente, il n'y avait pas de catégories, donc j'ai couru avec des minimes et j'ai perdu. Mais ce n'était pas mal, j'étais obligé de me battre pour y arriver. Pendant 3-4 ans, j'ai du me battre. Ce n'est que vers douze ans que j'ai commencé à gagner mais en descente. Pour la course en ligne c'est différent, on était tous du même niveau, il fallait aussi se battre, et c'est vers mes 16 ans que j'ai pu partir en stage international avec l'équipe Belge senior. C'est là que mon niveau s'est élevé, vers 2010. C'est à ce moment que j'ai voulu devenir champion du Monde.

Les Secrets du Kayak : En France, il y a le pôle espoir pour les jeunes. Est-ce que tu as eu des études aménagées ?

Bram Sikkens : Non, on n'a pas cela. On a un pôle, mais pas avec l'école. Il est géré par l'équipe Belge de kayak. Ce sont eux qui décident qui y accède.

Les Secrets du Kayak : A un moment, tu t'es spécialisé en course en ligne. Pourquoi ne pas être resté en descente ?

Bram Sikkens : Parce que je voulais devenir champion du monde, donc j'ai du me spécialiser. Une année en Belgique, on fait les championnats du monde, puis le championnat d'Europe. Il me fallait mettre toute mon énergie en descente si je voulais y parvenir. Mais à l'école on m'a expliqué que pour y parvenir il m'aurait fallu doubler le travail, et que c'était impossible de vivre du kayak. Il me fallait étudier à fond, ce que je n'ai pas fait.

J'ai été champion d'Europe junior, juste après ça je me suis blessé l'épaule. J'étais persuadé que tout était fini, je me suis fait opéré, et je me suis concentré pour faire un come-back. Le championnat du monde U23 n'était pas loin. Pendant la course, dans les derniers 20m je me suis disloqué mon épaule à nouveau. Pour moi, tout se finissait là. C'est ce qui m'a motivé à être différent. Je me suis rapproché d'Arthur, j'ai contacté ses entraîneurs pour aller m'entraîner avec lui, à mes frais à Séville.

Ça m'a stressé, j'ai eu peur de ne pas être à la hauteur. Notre premier entraînement était en aérobie sur 2000m. Dès ce moment, je n'ai pas été capable de le suivre, même en essayant de rester dans sa vague. Je me suis remis en question. Et Carlos, l'entraîneur, me demande s'il veut que je suive l'équipe junior d'Espagne. J'ai voulu me prouver une dernière fois que j'en étais capable. C'était un stage intense et lourd pour moi. C'est à ce moment là qu'à démarrer ma carrière de course en ligne, en 2017-2018.

J'étais prêt pour la coupe du monde de K1 500m. J'étais heureux de faire cette première course internationale. J'ai fini en finale six ou septième. C'était l’accélération de ma carrière en course en ligne. Ensuite j'ai fait le championnat du monde U23 en K1 200m et 500m, j'étais onzième et cinquième. La fédération Belge m'a fait un contrat jeune, ce qui me permettait de me faire payer mes stages et mes compétitions. Donc l'année d'après, je devais faire du K1 200m pour les championnats d'Europe et du Monde pour me qualifier pour les JO de Tokyo. J'ai perdu le 200m. Je ne me suis pas qualifié pour les championnats du monde.

J'ai passé le K1 500m. J'ai été premier final B. Mais les autres équipiers étaient tous médaillés. Je rêvais d'une médaille. L'autre compétition j'ai été en finale A, avec les meilleurs. Après 250m j'étais bien placé, j'étais confiant, au final j'ai fini quatrième. J'ai fait peur à mes concurrents. Après ces deux coupes du monde l'objectif c'était le K1 en senior, mais l'entraîneur m'a proposé de faire le K2 avec Arthur suite à mes bons résultats. On a fait quelques tests en Belgique, mais ça n'a rien donné, la météo n'était pas terrible.

On m'envoie aux championnats d'Europe U23, et on m'explique que quand j'aurai une médaille je pourrai alors aller aux championnats du monde pour me qualifier pour Tokyo. Mais sur place, j'ai été malade. On a tout de même gagné les qualifications, on a été bien placé. Ensuite on a pu faire le championnat du monde, sur le K2 1000m on était douzième, on a raté les qualifications pour Tokyo mais douzième c'était l'objectif pour avoir le contrat de la fédération Belge. Et juste après ça le COVID arrive.

Les Secrets du Kayak : Tu as un gabarit assez petit, est-ce un handicap pour la pratique du kayak ?

Bram Sikkens : Je ne sais pas. Jeune, on m'avait dit que je n'avais pas de talent à cause de cela. Quand tu vois les kayakistes à l’international, je fais parti des plus petits, mais je pense que mon talent c'est d'être puissant en force. Je pense que ça compense. Et je suis capable d'avoir beaucoup de lactates. Mais quand tu compares ma taille avec celle d'Arthur, lui fait 100 kg tandis que moi 72kg. Mais notre bateau est adapté. Je me place à l'avant du bateau. Je ne pense pas que ce soit un réel handicap.

Les Secrets du Kayak : Quelles sont tes performances en musculation ?

Bram Sikkens : Au couché, ça doit être 110-115 kg. Au tirage pareil. Et je suis aussi capable de faire une série de 60 tractions. J'ai une force relative plus importante.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que, comme en France, il existe des tests de course à pied ?

Bram Sikkens : Jeune, j'en ai fait. J'ai du faire 5km en 20min. Mais je ne me souviens pas de mes tests. Adulte, on n'en fait plus.

Les Secrets du Kayak : Tu continues à faire des tests d'ergomètre en laboratoire ?

Bram Sikkens : Sur mon instagram, c'était pour déterminer les zones aérobies et anaérobies. Aujourd'hui nos tests, on les fait dans l'eau, avec des mesures de lactates. Je ne suis pas certain que mes valeurs augmentent chaque année. Je trouve que c'est imprécis. Parfois on les fait en Belgique, donc dans l'eau froide, d'autre fois à Séville donc en eau plus chaude. Je trouve que le test est difficile pour progresser. Ce que je peux dire c'est que le premier seuil augmente, ça c'est certain. Mais ça reste difficile de quantifier en fonction des paramètres de chaleur, de météo...

Les Secrets du Kayak : Est-ce que lorsque les conditions sont changeantes, tu surveilles la fréquence cardiaque ?

Bram Sikkens : Oui avec la montre, on surveille le cœur pour surveiller nos zones. Auparavant, on faisait en vélo des tests pour déterminer les zones cardiaques afin de déterminer les sensations pour la santé.

Les Secrets du Kayak : Aujourd'hui tu privilégies davantage le vélo ou bien la course à pied en activité annexe au kayak ?

Bram Sikkens : Je préfère la course à pied. En vélo, je me sens moins bien.

Les Secrets du Kayak : Vous déterminez des zones d’entraînement, est-ce que ton entraînement se passe en 80-20% entre basse et haute intensité ? Ou pas ?

Bram Sikkens : L'hiver, on fait beaucoup de basse intensité. Avec des données cardiaques très faibles, avec toutefois quelques séances de sprint. Mais l'hiver on fait davantage de kilomètres. On accentue la technique, et les activités annexes. En janvier, on part faire un stage de 3 semaines de ski en altitude. Puis on fait des entraînements plus lourd, avec des 500m, 1000 m. Les semaines avant courses on fait beaucoup de sessions de lactique sur du court. Les plus grosses semaines, on fait 100-150km.

Les Secrets du Kayak : Les sessions longues sont découpées en intervalles ou en continue ?

Bram Sikkens : On fait des intervalles, sinon c'est difficile pour le mental. On fait des récupérations, on travaille la résistance. On fait des variations de vitesse.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu'il y a d'autres lieux de stage que la Turquie ou Séville que tu apprécies ?

Bram Sikkens : Oui il y a aussi le Portugal. J'aime aussi Livigno, c'est aussi en altitude. C'est le plus beau spot que je connaisse. J'aime aussi Temple-sur-Lot. Après la Turquie, et pour la première fois, nous allons en Nouvelle-Zélande essentiellement pour les filles. On y part pour quatre semaines. On sait que le lac y sera petit. On fait beaucoup de stages de trois semaines, et une semaine à la maison Ce n'est pas simple pour la vie de couple. D'autant plus que ça s'enchaîne.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu'au court de l'année, vous faites des coupures ?

Bram Sikkens : Non, on ne fait jamais de coupure. Je sais qu'au Danemark et en Finlande ça se fait. Je pense qu'il y fait trop froid l'hiver pour pagayer. Nous, on pagaie toute l'année. Sauf après un championnat du monde.

Les Secrets du Kayak : Qu'est-ce que tu as comme bateau ?

Bram Sikkens : J'ai le Nelo Cinco Full Carbone. Les différences sur ce bateau est un grand sujet de discussion au sein de notre équipe. On pense que c'est surtout psychologique. Mais moi je trouve que le Full carbone est le meilleur bateau que j'ai pu avoir. J'ai le sentiment qu'il réagit mieux et plus fort. C'est difficile à mesurer. Tu dois avoir un bateau que tu sens bien. C'est différent pour chacun. J'ai pourtant pagayé dans le Sete et le Cinco. Mais aujourd'hui je préfère le Cinco. Je reste fidèle à Nelo depuis mes 12 ans.

Les Secrets du Kayak : Qu'est-ce que tu as comme pagaie ?

Bram Sikkens : Une Jantex Beta 805. J'ai commencé avec celle là jeune. Quand j'ai voulu me spécialiser en kayak de rivière de descente, j'ai pris une Gamma. Pour les vagues, je me sentais mieux. L'accroche était meilleure. Mais depuis quatre ans je suis revenu sur la Beta pour le K2. Je me sens plus fort dans l'eau. J'ai une longueur de 2,17m. Je mets grand. Je préfère une pagaie rigide pour la course en ligne.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ça t’arrive de faire de l'ergomètre ?

Bram Sikkens : Parfois, mais je n'aime pas l'ergomètre. C'est surtout en hiver quand il gèle fort. Je préfère être dans l'eau.

Les Secrets du Kayak : Tu es loin du plan d'eau pour pagayer ?

Bram Sikkens : Petit, j'habitais à 5 minutes de mon club. Aujourd'hui je suis plus loin, je mets 20 minutes.

Les Secrets du Kayak : Tu t'entraînes seul quand tu reviens en Belgique ?

Bram Sikkens : J'essaie d'aller m'entraîner pendant les heures de club, pour être à plusieurs. Parfois je m'entraîne seul, mais c'est rare.

Les Secrets du Kayak : Ça t'arrive de refaire de la descente ?

Bram Sikkens : Non. En descente, je trouve qu'il faut sentir la puissance du courant. Je me trouve mieux dans mon bateau de ligne.

Les Secrets du Kayak : Tu es jeune, tu progresses. Mais qu'est-ce qu'il te manque le plus par rapport notamment à Fernando Pimenta ? Et les gars qui sont au top de l'élite mondiale ?

Bram Sikkens : Je me pose souvent la question. Je n'ai pas réussi à me qualifier pour les JO. On ne progresse pas au sentiment. Peut être dois-je arrêter. Je réfléchis beaucoup. Aujourd'hui, j'ai 27 ans. On a changé la technique d'entraînement l'année dernière, ça avait porté ses fruits. Je suis certain de poursuivre l'entraînement de l'année passé. Je pense que Fernando a beaucoup de temps pour s'entraîner.

J'ai par exemple changé le positionnement de mes mains, les baisser pour obtenir davantage de force dans l'eau comme les espagnols ou les allemands. J'ai donc plus de rotation en bas du dos. Ça permet de gagner en force.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu'il y a des sujets que tu voulais évoquer que nous n'avons pas abordé ?

Bram Sikkens : Je pense qu'on a parlé de beaucoup de choses.

Je voudrais m'excuser pour mon français. J'ai posé par écrit toute mon histoire depuis mes débuts, que je souhaite t'envoyer pour pallier à mon français oral. Je suis de la Belgique plus au Nord, c'est plus difficile pour moi de trouver mes mots en français. Il me faut toujours un certain temps pour m'adapter, souvent au bout de deux heures de discussion ça va mieux.

On voit que la pratique du kayak en Belgique est différente à la France. Ces dernières années, pas mal d'athlètes français sont venus s'entraîner avec nous.

Quand notre entraîneur compare nos résultats, il est assez content. Je pense qu'en France, le système à l'air d'être « cassé ». J'ai lu la presse à ce sujet, j'en ai discuté avec Guillaume Burger, la situation est dommage. A nous quatre, en Belgique on fait de meilleurs résultats que les Français. Je pense qu'en France il y a des athlètes aussi bon que nous, mais c'est dommage de voir les problèmes comme ceux-là. En France, il n'y a pas autant de stage que chez nous.

En Belgique, le talent dans le sport ne fait pas tout. Je vois beaucoup de gens qui gagnent tout au talent, mais on a des coachs belges qui les élèvent. Il y a des personnes qui ont moins de talents mais qui travaillent beaucoup plus, se battent. Mais en senior c'est davantage les personnes qui se sont battues qui vont plus loin. Moi, j'ai toujours du me battre pour avoir ma place. C'est ce qui est le plus important pour moi. Petit, à chaque course perdue, je pleurais mais on m'a appris à devenir patient et à travailler. Pour réussir, il faut avoir des moments difficiles.

Il faut savoir gérer son stress, en Belgique en K2 au repêchage, seul le premier bateau est pris. C'est à toi de tout faire pour être au top niveau pour réussir. Certes, je n'ai pas réussi les qualifications pour le championnat du monde, mais il va me falloir un autre équipier pour performer mais aussi me qualifier. C'est compliqué, mais d'autres pays y parviennent. Le niveau sera haut. J'essaie donc de me mettre un objectif plus loin à horizon 5 ans pour les Jeux de Los Angeles. Je continue d'observer la France, les athlètes par leurs âges me laissent de l'espoir.

Vous pouvez retrouver Bram Sikkens sur son compte Instagram.

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