Interview : Sébastien Jouve

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Sébastien Jouve en aout 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Sébastien Jouve : Salut Rudy, très bien, en vacances en Ardèche. Ambiance kayak et détente. J’en fait encore un peu vois-tu et j’apprends aux enfants à pagayer, c’est sympa dans ce cadre.

Les Secrets du Kayak : J’avais cru comprendre que maintenant tu étais dans la voile et les compétitions de voile ?

Sébastien Jouve : Oui je prépare une traversée de l’Atlantique en solitaire. Le chemin de croix est un peu long, on est nombreux à vouloir la faire, c’est comme pour une sélection en équipe de France. Il faut se sélectionner et montrer que tu en veux vraiment.

Les Secrets du Kayak : Tu suis également les championnats du monde, et tu voulais qu’on s’improvise commentateur.

Sébastien Jouve : Carrément, je suis entres-autres les filles sur les mondiaux, je suis content d’en connaître encore, j’espère qu’ils vont performer, s’amuser, trouver des solutions pour aller vite. Je regarde beaucoup les courses de K4.

Pour l’instant il n’y a qu’une série, pour moi là c’est de la mise en jambes. Il faut attendre l’effervescence de la demie-finale pour voir ce que ça va donner. C’est important de regarder, les encourager et voir ce que ça va donner pour l’avenir. Toi qu’en penses-tu du retour du 500m ?

Les Secrets du Kayak : J’en avais parlé avec Maxime mais il était davantage dans un projet d’équipage K4. Les séries du 500m les gars avait l’air d’être tranquille mais il n’y avait pas les cadors. J’étais content que Francis gagne, malgré sa technique discutée.

Sébastien Jouve : La technique reste propre à chacun, il y a des gros contrastes entre les athlètes.

Les Secrets du Kayak : Avant de parler de tout cela, comment toi tu as découvert le kayak ?

Sébastien Jouve : Avec mon père, il faisait de la course en ligne. Il était plusieurs fois champion de France, il avait fait des mondiaux. Il n’a pas fait de Jeux, mais il m’a emmené en vacances dans les Alpes pour faire du kayak. Il me faisait faire des exercices pour apprendre. On s’entraînait l’été avec mes sœurs. J’ai commencé à cinq ans. Plus tôt tu commences, plus tôt tu as des prédispositions.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as fait d’autres activités sportives également ?

Sébastien Jouve : Oui je nageais pendant la période scolaire, je faisais de la gym en UNSS, et le kayak pendant les vacances. Je faisais du sport presque tous les jours. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à ne pas faire une séance de sport par jour.

Aujourd’hui c’est la voile, c’est du sport surtout quand tu as de grosses vagues. Tu fais les choses avec beaucoup de fatigue, tu compares cela à de l’EB1 sauf que tu dois beaucoup réfléchir en même temps.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu t’es inscris en club ?

Sébastien Jouve : Dès poussin, et vers 8 ans on avait nos premiers bateaux au club. C’était institutionnel dans notre famille, donc très jeune. J’avais l’esprit de compétition sur chaque entraînement. Vers minime et cadet un bon groupe s’est constitué, chaque samedi on se tirait la bourre entre nous.

Les Secrets du Kayak : Tu étais déjà plus grand que les autres enfants ?

Sébastien Jouve : Je fais 1,86m donc je suis dans la moyenne, mais j’ai une très grande envergure pour un petit buste ce qui me différencie des autres. Ce qui m’a permis d’avoir une amplitude très importante. J’ai le profil des Danois.

Les Secrets du Kayak : Je crois que tu fais 86kg ?

Sébastien Jouve : Au début de ma carrière je courais du 1000m je faisais donc 82-83 kg. Ensuite je me suis épaissi pour le 500m. Je suis monté vers 86-87 kg qui est mon poids de forme. Je reste léger par rapport aux molosses du 500m.

Les Secrets du Kayak : Comment se passent tes premières compétitions en tant que jeune ?

Sébastien Jouve : Je n’étais pas très bon. Je m’en sortais sur du long en kayak de mer et de descente. Le kayak de course en ligne, ce n’était pas mon truc. Si bien que les championnats de France je les ai fait en canoë de course en ligne. J’avais juste remplacé un gars dans le K4. J’étais frustré de ne pas avancer. Très tôt je savais qu’il me fallait m’entraîner pour y arriver.

Les Secrets du Kayak : Tu as fait toutes les disciplines du kayak ?

Sébastien Jouve : Je les ai toutes essayé. A Rouen à la base, il n'y avait aucun bateau de course en ligne. Ce n’était que des descendeurs et des slalomeurs. C’est Loïc Martin qui a développé cette activité de course en ligne à Rouen.

Les Secrets du Kayak : Tu penses que ça t’a aidé que de toucher à toutes ces disciplines ?

Sébastien Jouve : Oui notamment sur le kayak de mer qui demande pas mal d’anticipation et d’adaptation dans les vagues. Ça m’a donné une polyvalence notamment sur les courses agitées.

Les Secrets du Kayak : Quand il y a de grosses vagues, comment on s’adapte ?

Sébastien Jouve : Il y a Arnaud Hybois qui dit qu’il faut être en souplesse pour arrondir la moindre vague pour le moins possible bloquer le bateau. Et Maxime Beaumont qui lui fait bloc pour passer au travers et faire en sorte que la vague s’adapte à lui. Moi je suis de l’avis d’Arnaud, arrondir le relief, je laisse bouger le bateau, j’adapte pour transmettre par phases et ne pas y mettre toute l’énergie pour faire avancer le bateau autour de la pagaie.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi ne pas avoir persévéré dans le canoë ?

Sébastien Jouve : Au club de Rouen pour trouver un canoë de course en ligne à deux mois des championnats de France, il a fallu que Luc aille chopper un vieux canoë. Rien que l’équipement ne m’a pas donné envie. On commençait à avoir de beaux kayaks, j’étais attiré par ce qui brillait.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu deviens bon en kayak ?

Sébastien Jouve : En cadet, le club a recruté un entraîneur qui m’a fait faire pas mal d’autres activités. On courait une heure avant de naviguer. Il fallait mériter son cours de kayak. Donc le volume d’entraînement a augmenté. Je commençais en cadet 2 à être dans les 5-6 premiers, mais j’étais meilleur sur le fond et non pas sur le 500m. Un autre entraîneur est arrivé ensuite, il avait des bases de sprint. On a eu des bases techniques, je commence à m’exprimer. Au final je m’entraînais 5- 6 fois par semaine sans compter le dimanche matin.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’à ce moment là, tu t’imagines faire carrière dans le kayak ?

Sébastien Jouve : Pas encore, mais le kayak devenait une obsession. J’essayais même de pagayer devant le miroir avec un manche à balai !

A cette époque j’intègre le sport étude de Caen, où tous les copains vont. L’entraîneur était encore plus fada de volume d’entraînement. Natation obligatoire le midi et le soir kayak. Les études étaient compliquées, on ne pensait qu’à faire la sieste pendant les cours. C’était compliqué. J’ai continué à m’entraîner de plus en plus.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que pour toi c’est ce gros volume d’entraînement qui t’a fait passer un cap ? Ça a été un fil conducteur tout au long de ta carrière ?

Sébastien Jouve : Pour moi, c’était la clé de ma carrière sportive. Aujourd’hui quand j’entends des jeunes râler parce qu’ils s’entraînent, j’ai envie de leur dire de faire un autre sport parce que pour performer il n’y a pas le choix. La performance passe par du volume d’entraînement. Il n’y a que comme cela qu’on devient une machine.

Les Secrets du Kayak : Par la suite, tu intègres rapidement les équipes de France senior ?

Sébastien Jouve : En junior, j’intègre les équipes de France de marathon, j’avais fait une coupe du monde. En senior, j’intègre l’équipe de France de moins de 23 ans, je finis huitième en finale du 1000m au championnat de France à Vichy. Donc on m’a vite repéré et j’ai participé à pas mal de stages équipe pour me faire progresser. Je faisais les stages de ski de fond moins de 23 ans et senior pour enchaîner le volume. Ensuite, j’ai fait les équipes de France senior et moins de 23 ans.

Je n’hésitais pas à quitter mes vacances pour accepter une entrée en stage faite à l’arrache. Mon but c’était de me rendre disponible pour enchaîner les stages. C’était la clé de la réussite même si je ne faisais pas les échéances terminales. Ça me permettait de remplacer des gars dans le K4 et c’est source de motivation. Je servais de viande fraîche à Bâbak pour ses séances de vitesse. Je n’arrivais pas à le tenir, mais ça me donnait envie. Il n’y avait aucune promesse derrière tout cela, ce n’était que du travail.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu étais partisan des coupures annuelles ?

Sébastien Jouve : Non, j’étais partisan de m’entraîner plus. Prendre tout ce que je pouvais l’été quand il faisait beau. Faire des 15km, faire des lactiques... Au mois de septembre j’allais vite, et ce n’était pas grâce au repos mais au travail.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu arrivais malgré tout à avoir des pics de forme au cours de l’année ?

Sébastien Jouve : Le pic de forme se fait par rapport à ce que tu fais à l’entraînement. Si je faisais beaucoup d’aérobie, j’avais des pics de forme. Aujourd’hui si c’était à refaire, j’en ferai encore plus.

Les Secrets du Kayak : Un fois le Bac en poche, où t’entraînes-tu ?

Sébastien Jouve : On m’a proposé d’aller à Angers. Le but était de faire un peu de viande pour le projet du 500m. J’ai raté mon Bac à Caen, je l’ai eu à Angers. J’étais en totale autonomie sans les parents. La méthode du pôle était basée sur la musculation et sur des séances de kayak de puissance et de lactique puissante. Il m’a fallu arrêter l’aérobie. J’ai vite pris 4-5 kg en un an. J’ai eu une phase où pendant deux mois je n’ai pas fait de bateau pour me permettre de prendre de la masse. C’était musculation tous les jours. Je ne pouvais plus tendre mes bras pendant plusieurs jours.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu étais fort en musculation avec tes longs bras ?

Sébastien Jouve : On avait des tests musculation à faire, pour le développé couché on mesurait l’amplitude et là je m’en sortais plutôt bien. Kersten multipliait l’amplitude par le nombre de reps. Je compensais mon manque de répétitions par le nombre de centimètres tirés en plus. Pour la force max, je me débrouillais bien, toucher la barre en tirage planche c’était compliqué. En force endurance, il y avait de bons matchs mais c’est Mathieu Goubel qui écrasait tout le monde.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as senti de suite les bienfaits de la prise de masse à la reprise du bateau ?

Sébastien Jouve : Oui, je fais champion d’Europe moins de 23 ans en 500m. La même année, j’étais dans les records du 500m. Le rapport poids puissance était optimum. Mais je n’ai pas renouvelé cette pratique de deux mois de musculation à fond. Le bateau te rattrape vite. Il ne fallait pas prendre trop de muscle non plus, ne pas être trop lourd non plus.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu es passé en équipage ?

Sébastien Jouve : J’ai basculé avec les championnats du monde de 2006-2007 à Halifax, c’était ma dernière course en K1 500m et c’était la dernière fois où le K1 500m était olympique. J’avais gagné les deux coupes du monde. Ensuite le K1 est passé sur du 200m ou du 1000m. On avait fait vice champion du monde en K4 1000m. On n’était pas plus préparé que cela. Donc je suis parti en équipage parce qu’il n’y avait plus de K1 500m.

En 200m ce n’était pas pareil. J’avais pris pas mal de masse et je doutais d’être capable de prendre plus de masse pour courir le 200m. J’avais plus de chance avec l’équipage. En 2008 il n’y a pas eu de quotas pour les JO, on nous a envoyé en rattrapage pour le K4. On a eu le quota, c’était cool.

Les Secrets du Kayak : L’équipage est plutôt une réussite pour toi ?

Sébastien Jouve : Oui avec Vincent Lecrubier on gagne des compétitions importantes. Après les JO de Pékin, arrivent les distances du 2000m et du 1000m. Et là arrive Arnaud Hybois, un descendeur un peu dingue. Il bascule le pôle de Toulouse pour faire de la ligne. On fait notre K2 avec lui. On a du s’adapter l’un à l’autre et on a été ultra performant.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi quitter Angers pour aller à Toulouse ?

Sébastien Jouve : JP m’appelle pour aller de suite là bas. Je suis d’abord parti à l’INSEP à Paris, on se retrouve avec Cyrille Carré, Maxime Beaumont. Jean-Pascal Crochet est arrivé par la suite. On du laisser tomber nos a-priori sur la descente puisque JP venait de là. Une partie de ce groupe à été invité à partir à Toulouse. C’était ambiance camp d’entraînement, boulot professionnel, pour construire quelque chose de nouveau. Ça a été les glorieuses de notre carrière, on s’entraînait beaucoup. C’était à celui qui allait le plus vite sur l’eau.

Les Secrets du Kayak : Pour toi, chaque séance était une compétition ?

Sébastien Jouve : Ce matin encore, c’est ce que j’ai fait, et je savais que tu me poserais la question. Je ne change pas. Mais ça m’a porté préjudice parfois. Je me déchirais à chaque séance, pas pour écraser les autres mais pour me défouler. Certains me le reprochaient. Je n’ai jamais dérogé à ça. C’était ma façon de faire.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as quand même eu des séances faciles ?

Sébastien Jouve : Ils ont essayé d’en mettre pour rester à 145 pulsations, mais ça m’ennuyait. Si je finissais facile, c’est que je n’avais pas assez travaillé. En revanche pour les activités annexes c’était différent, je voulais garder mon énergie pour le kayak. Avec le recul j’ai été mauvais en musculation, j’ai été trop paresseux. En footing je courais mal, j’étais à l’économie.

Les Secrets du Kayak : On m’a expliqué aussi que tu avais mis des chaussures de vélo dans un kayak ? Quelle est l’importance pour toi des jambes en kayak ?

Sébastien Jouve : Mais tu en sais des choses ! Suite à une rencontre avec une podologue, j’avais une mousse en teflon pour glisser sur le siège et avoir une rotation du bas des hanches pour que la ligne d’épaules suive. Dans la même optique, j’ai mis une talonnette de retour pour faire un contre calage et gagner en amplitude.

Aux mondiaux en K4, je voulais rester au contact du cale pieds donc j’ai mis des chaussures de vélo dans le bateau. Je fais champion du monde avec les chaussures. Ça m’a permis d’avoir de la transmission dans le bateau avec une amplitude max. Mais par la suite ça a été interdit pour une question de sécurité. Un coup je suis tombé à l’eau et je suis resté fixé au bateau.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a d’autres choses que tu as essayé pour performer ?

Sébastien Jouve : Oui, mon bateau par exemple, j’ai travaillé avec une université polonaise et Richard de Plastex pour travailler sur la forme. On avait des critères bien spécifiques. J’ai fait des manches à pagaie avec M.F. TECH, à variation de diamètre. Je m’étais inspiré du saut à la perche pour que la déformation du manche restitue l’énergie pour la performance. C’était concluant, mais juste avant les piges, je prête ma pagaie et on me la casse. Il m’a fallu revenir à quelque chose de classique.

J’ai aussi essayé les descentes de sièges, le gouvernail plus à l’arrière pour limiter la traîne d’eau. Mais en fonction du vent, ça ne fonctionnait pas. Mes records en 500m c’était avec ça.

Les Secrets du Kayak : Ton bateau était un Plastex, tu es allé voir Nelo pour le cale-talon. Pourquoi Plastex et pas Nelo au final ?

Sébastien Jouve : C’est le lobbying Nelo. Plastex m’ont fait de supers bateaux. Et Nelo parce que je faisais des médailles m’ont démarché pour aller chez eux. En modifiant des bateaux existants pour mon profil Nelo a adapté la construction pour moi. Mais demain si c’était à refaire, j’aurais continué à travailler avec Plastex pour les faire évoluer.

Les Secrets du Kayak : Tu pagayais sur quel type de pagaie ?

Sébastien Jouve : Je naviguais en Braca 2 classique pour le 500m. L’extra light je l’ai utilisé plus tard, mais sans plus. En K4 1000m, j’étais en Braca 2 max classique. J’étais en K4 avec une longueur de 2,22 ça me donnait de l’aisance. En K1, j’étais en 2,19. Ensuite je variais la rigidité du manche en fonction de la distance.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que c’est le fait de ne pas avoir été doué au départ, qui fait que tu as cherché à tout optimiser ?

Sébastien Jouve : Certainement un manque de confiance en soi au début, ensuite une passion pour le matériel. Le club de Rouen m’a vraiment appris à construire soi-même, apprendre à connaître les formes de bateaux. Il y a encore beaucoup à créer en kayak, c’est un univers qui bouge très peu.

Les Secrets du Kayak : Est-ce un appel du pied à un fabriquant de kayak ?

Sébastien Jouve : Non, demain si je devais faire quelque chose je pense que je le ferai par moi-même. Quand je regarde ce que je mets en place en terme d’analyse de données et autre, vu les coûts des projets, je pense que je bosserais vraiment moi-même dessus. Je ne me contenterais pas de naviguer en Nelo parce que tout le monde est en Nelo.

Les Secrets du Kayak : Tu as connu l’époque minimax ? Est-ce que ça t’as fait modifier des choses ?

Sébastien Jouve : Oui, mais avec du recul c’était juste un assistant de l’entraîneur pour fiabiliser les cadences prises sur des distances de course. Comme cela, il pouvait se concentrer sur l’analyse de notre technique. Ça restait subjectif, on s’est créé des vérités avec ses outils au final non fondées. Il aurait fallu pousser l’analyse plus loin avec d’autres comparatifs.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as connu aussi le Motionize ? Tu le mets sur la pagaie pour connaître la longueur du coup de pagaie.

Sébastien Jouve : Non je ne l’ai pas connu, je pense que ça m’aurait plu. Je pense que ça doit être bien à partir d’un certain niveau de performance. Il faut que les entraîneurs aient le feed-back de ce qui est bien ou pas, parce que ça peut vite être des outils limitants si on ne sait pas interpréter correctement les données.

Les Secrets du Kayak : C’est quoi pour toi bien pagayer ?

Sébastien Jouve : C’est compliqué de te répondre, il n’y a pas qu’une manière de pagayer. Certains ont des amplitudes très longues. Pour moi c’est comme le petit hongrois. Avoir une bonne amplitude de hanche, une vélocité c’est important, et le fait de savoir glisser entre les coups, faire en sorte que le bateau absorbe l’énergie pour glisser entre chaque coup de pagaie. Si tu veux progresser, il faut pagayer beaucoup plus qu’une ou deux fois par semaine. Il faut naviguer faire du volume quitte à couper les autres activités. Savoir s’écouter et écouter son kayak quand on est sur l’eau.

Les Secrets du Kayak : Tu as le souvenir du volume d’entraînement que tu faisais chaque année en kayak ?

Sébastien Jouve : Je le suivais à la semaine. Pendant mes glorieuses, je faisais trois ou quatre séances par jour. Mais j’étais un légume 90% du temps. Le week-end, je m’accordais le dimanche repos, puis j’ai décalé au lundi. Plus ça allait dans ma carrière, plus j’étais cramé dans mes séances. Il est déjà arrivé que je fasse une pause de 15 jours parce que j’étais en overdose. J’ai peut être été un peu trop loin par moment.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’avec le recul, tu penses en avoir trop fait ?

Sébastien Jouve : J’ai du mal à l’analyser. C’était mon mode de fonctionnement et c’est ce dont j’avais besoin. Lorsque j’ai baissé les volumes d’entraînement, c’était le début de la fin de ma carrière et la fin de mon épanouissement personnel. J’étais moins focus sur le kayak, trop dispersé. Il m’aurait fallu trouver un entraîneur qui me poussait encore plus loin, plutôt qu’un entraîneur qui m’écoutait. Hervé Duhamel était le seul à le faire. Même si parfois j’étais fatigué et j’allais moins vite. Le but, c’était que le jour de la course ce soit facile.

Les Secrets du Kayak : Tu es resté à Toulouse tout le long de ta carrière ?

Sébastien Jouve : Je suis remonté à Caen pour des raisons personnelles. A Toulouse, il y avait tout le monde. J’ai fait le choix de remonter auprès de ma famille. Je redescendais souvent voir Arnaud, mais mon camp de base était à Caen.

Les Secrets du Kayak : Quel est ton meilleur souvenir de JO ?

Sébastien Jouve : Mes plus beaux Jeux c’était Pékin, cette découverte de l’olympisme. Un voyage d’extraterrestre. Londres n’a pas été le plus beau des JO pour plein de raisons. On avait du mal à comprendre comment faisaient les Biélorusses pour performer du jour au lendemain.

Les Secrets du Kayak : Quel est ton avis sur le sujet du dopage et de la performance de certains athlètes ?

Sébastien Jouve : En effet, certains ont des prédispositions à devenir champion très rapidement, mais dès le début de leur carrière. C’est génétique et c’est comme cela. En revanche, il y en a qui changent de visage, qui deviennent performant en très peu de temps. Ça devient vite suspicieux et parfois ça se confirme encore aujourd’hui. Là où j’ai parfois la rage, c’est quand on a pu remettre plein de choses en question sur notre manière de nous entraîner parce qu’on se fait battre par des Russes qui ne tournent pas à l’eau. On n’a pas toujours toutes les cartes en mains. Maintenant je prends du recul sur les contre performances de certains athlètes, face à des performances d’autres athlètes.

Les Secrets du Kayak : Londres, mauvaise expérience car pas de médailles ?

Sébastien Jouve : Avec Arnaud Hybois on fait double champion du monde les deux années précédentes. La contre performance étant ma faute pour raison personnelle. Je n’ai pas réussi à m’investir suffisamment dans les courses. Je voulais rentrer le plus vite chez moi. Malheureusement pour Arnaud qui connaissait fort bien ma situation. Et jamais, il n’a eu de phrases négatives à mon encontre.

Les Secrets du Kayak : Rio par la suite ?

Sébastien Jouve : C’était la fin de ma carrière, c’est là où j’ai beaucoup observé les alentours, fait toutes sortes de choses à l’improviste. Comme improviser un nouveau K4. Le K4 1000m m’a beaucoup amusé. Mon K2 se faisait avec Max. Mais j’avais le délire du K4.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi arrêter ta carrière après ?

Sébastien Jouve : J’entrais dans une phase où je pouvais vivre autre chose à côté. Notamment en voile qui est une passion depuis longtemps. J’en faisais de plus en plus en parallèle du kayak. Ma deuxième fille arrivait également. J’ai fait un dernier championnat du monde en y amenant toute la famille. Je voulais assumer mon rôle de père qui était tout aussi important que le haut niveau.

Les Secrets du Kayak : Tu travaillais dans quel domaine en parallèle du kayak ?

Sébastien Jouve : A Toulouse, la fédération avait mis en place un système pour parier sur le monoplace. Il y avait des emplois à EDF, j’ai postulé dans le groupe mobilité France pour faire rentrer des sportifs de haut niveau, pour y travailler. Je suis rentré sur un CRC, très vite je suis resté trois ans à Toulouse, puis j’ai voulu travailler dans des bureaux d’études chez EDF. J’ai continué jusqu’à être chargé d’affaires.

Quand j’ai arrêté ma carrière de haut niveau j’ai aussi quitté EDF. Je suis parti travailler dans le nautisme, sur un chantier naval pendant un an dans le cadre de mon projet. Et là, je suis de nouveau chargé d’études pour une collectivité. Je capitalise mon expérience EDF pour une collectivité.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu optimisais tous les aspects de la performance jusque dans ton hygiène de vie ?

Sébastien Jouve : J’avais une extrême rigueur sur le sommeil. En ce qui concerne l’alimentation j’appréciais la nourriture, donc j’ai vite dérapé sur du non productif. J’aurais pu améliorer ce point. Mais ça faisait partie de mon plaisir.

Tout ce qui était kiné j’en faisais énormément, je faisais une séance d’ostéopathie tout les deux ou trois jours. A beaucoup m’entraîner, j’avais beaucoup de blocage du dos mais pas de blessure. Ça m’a permis d’optimiser mon corps toute ma carrière.

La préparation mentale je n’aimais pas du tout, je n’avais pas trouvé la bonne personne. Mais mon kiné avait une bonne écoute et un regard qui faisait office de préparateur mental.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui, tu es à la commission des athlètes ?

Sébastien Jouve : Oui, je suis délégué des athlètes. La fédération fait des réunions qui valident des modes de sélection. Nous, on est consulté pour voir s’il n’y a pas des oublis, des coquilles, des choses à améliorer dans le processus de sélection. Ça permet d’asseoir des choix stratégiques de la fédération. Le but est que tout le monde adhère à un projet de la course en ligne. Tout se met en place doucement.

Tu connais l’actualité de la fédération et le débat d’aujourd’hui. Les athlètes ont besoin de soutien pour leurs démarches de 2024. Ce n’est pas le moment de sauter du navire, il faut se serrer les coudes. Il faut construire l’avenir des athlètes pour 2024 et retranscrire les non-dits dans le but de construire les échanges, sans que ce soit préjudiciable pour les athlètes.

Le dernier truc que je peux te partager en tant que ligneux, c’est que oui il y a l’athlète qui fait sa performance mais c’est surtout l’environnement, les entraîneurs qui font l’athlète. Le premier critère de réussite se joue sur la succession des entraîneurs. Je ne me serais pas construit tout seul.

Les Secrets du Kayak : J’ai l’impression que toi, tu as choisis tes entraîneurs. Ce sont des choix que tu as fait.

Sébastien Jouve : Tout le monde a le choix de ses entraîneurs, à un moment donné il faut voir si c’est réaliste.

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