Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Philippe Aubertin

Retrouvez tout sur Philippe Aubertin dans cet épisode des Secrets du Kayak. Il nous raconte en détails sa carrière d’athlète de haut niveau en kayak et ses nombreuses expériences d’équipage.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Philippe Aubertin en juillet 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Philippe Aubertin : Ça va bien, mon fils participe à la compétition, il s’en sort pas trop mal. L’objectif était de faire du mieux possible, il se positionne très bien. Il est en cadet deuxième année. Ça fait quelques années qu’il pratique mais il n’est sérieux que depuis cette année. Le but n’est pas de bousculer les choses mais d’avoir une progression régulière. Ce que je veux c’est un cadet bon, qui devienne très bon en junior et très très bon en senior. Il ne faut pas griller les étapes.

Les Secrets du Kayak : Tu le pousses sur des séances dures, il est davantage sur l’apprentissage de la technique ?

Philippe Aubertin : J’ai toujours basé l’entraînement sur de la technique. Sans cela, ce n’est pas la peine de s’entraîner. L’objectif est d’avancer aussi vite, voir plus vite que les autres par la technique. Donc en fournissant le moins d’effort possible.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu commencé le kayak ?

Philippe Aubertin : J’ai commencé le kayak grâce à mon frère. Il était moniteur à Lunéville. J’ai adhéré de suite, par le slalom et la descente. Mes premières courses de descente étaient pas mal. J’ai continué, j’ai rencontré plein de monde. Un jour il a fallu faire un choix, après cadet ça été course en ligne. J’ai commencé à neuf ans, mais avant ça j’avais fait du judo. J’étais assez grand pour ma taille à l’époque. Je m’intéressais à la technique.

Au début, j’étais le plus jeune du club. L’entraîneur s’inspirait de l’entraînement des triathlètes, on s’entraînait tous ensemble, peu importe le niveau. L’objectif c’était de toujours gagner à chaque entraînement.

Les Secrets du Kayak : Tu as fait des podiums assez rapidement ?

Philippe Aubertin : Oui bien sur. J’avais de bons adversaires, c’était et c’est toujours un très bon club.

Les Secrets du Kayak : Tu t’es tourné vers la course en ligne à seize ans ?

Philippe Aubertin : Oui, mais déjà en minimes. Tous les premiers championnats de France se faisaient en CAPS. C’était un bateau très stable, on faisait des courses de 300m ! Je ne me voyais pas devenir sportif de haut niveau. En revanche ce que j’ai toujours aimé, c’est la compétition.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu restes au même club en passant à la course en ligne ?

Philippe Aubertin : Oui, jusqu’en cadet 2. Ensuite j’ai changé de club.

Les Secrets du Kayak : Tu as connu des problèmes de stabilité ? Ou bien ça a été tout de suite ?

Philippe Aubertin : Il y avait un fossé énorme entre le CAPS et l’Orion. L’Orion, c’était le top du top à l’époque. J’ai pris quelques bains. On apprend vite à faire glisser le bateau.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que à ce moment là, tu avais des aménagements pour les études ?

Philippe Aubertin : Non, en cadet on était toujours au club de Lunéville, j’y étais avec Philippe Blaise, on s’entraînait toujours ensemble. On suivait juste des conseils, des grandes idées communiqués par Luc qui nous avait initié. On travaillait sur les sensations et le plaisir de naviguer, et l’échange. Moi j’apprenais en apprenant le kayak à mon coéquipier. C’est comme cela que j’ai commencé à progresser un peu plus.

Les Secrets du Kayak : Tu as rapidement des résultats en course en ligne ?

Philippe Aubertin : Oui et non. En cadet 1 en 1984 ça m’a fait bizarre, c’était un championnat de France 3000m, pour moi j’allais gagner ou faire podium. Et là j’ai découvert le fond, je n’ai pas compris ce qu’il s’est passé, c’était la mer, il y avait un avion Pierre Lubac qui pagayait de façon très personnelle, il a avoiné tout le monde. J’ai du faire 23ème. C’est encore une énigme pour moi cette course. Ensuite en 500m la même année, j’ai fait deuxième. Ça m’a remotivé.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’à un moment tu rentres dans un pôle étude ou espoir ?

Philippe Aubertin : Oui je suis parti en sport étude à Besançon en junior première année. J’étais en science et technologie laboratoire. Les études n’étaient pas trop mon fort, je ne vivais que pour le bateau.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que c’était facile à ton époque de trouver des informations sur le kayak ?

Philippe Aubertin : On fonctionnait surtout avec des vidéos des championnats du monde. C’était des vidéos VHS donc de mauvaise qualité, mais cela restait des infos. Je pense qu’il fallait aller les chercher par soi même.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y avait des athlètes qui t’intéressaient techniquement ?

Philippe Aubertin : Oui Ferenc Csipes le hongrois, il avait gagné les championnats du monde en 1985. Quand tu allais en Hongrie, tu voyais tous les gamins alignés et qui pagayaient comme lui. C’était une technique un peu spéciale. Dynamique, légère, basée sur le temps aérien. Ils prennent un temps dans l’air supérieur à la moyenne. Ce qui permet une préparation plus propre et plus claire. Ils arrivent avec plus d’inertie. Moi j’ai cherché à les imiter que ce soit bien ou pas, ne serait-ce que pour comprendre et me faire mon avis.

Les Secrets du Kayak : Quand tu rentres au pôle cette fois, tu as un entraîneur, les entraînements prennent une autre tournure ?

Philippe Aubertin : Oui c’est plus structuré, il y avait toujours quelqu’un en bateau moteur. Le site de Besançon était sympa, on se faisait entre 18-20 km. Certains week-end, je faisais 80km. Ça a duré un hiver.

Les Secrets du Kayak : En cadet tu fais de bons résultats, cela se poursuit en junior ?

Philippe Aubertin : En junior j’ai eu un ralentissement au niveau de performance, j’ai fait trop de lactique ce qui a modifié ma condition cardiaque, j’ai du adapter les entraînements pour re-modifier mon cœur. Junior 1, je fais quatrième, junior 2 j’ai fait deuxième sur le K1 5000m sinon j’étais sur le podium avec Philippe Blaise.

Les Secrets du Kayak : A ce moment là tu vises des places en championnat du monde en senior, ou tu réfléchis toujours étape par étape des compétitions ?

Philippe Aubertin : L’équipe olympique était déjà formée depuis un an, on m’a dit pas la peine de t’entraîner, tu n’iras pas aux JO. Tout était fait. Je me suis quand même entraîné pour les championnats de France en K1 1000m, et sur le 500m j’ai fait deuxième. Et effectivement, ils ne m’ont pas pris.

Les Secrets du Kayak : Tu avais un aménagement en tant que sportif de haut niveau ?

Philippe Aubertin : J’étais détaché complètement pour m’entraîner à cette époque. Une fois que je suis parti à Dijon, au pôle France, il y avait une bonne bande de copains avec qui on s’entraînait.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’en changeant d’environnement, tu t’entraînes plus à Dijon ?

Philippe Aubertin : Je ne sais pas si j’ai davantage progressé mais c’était de belles années. Le bassin était sympa, régulier, toujours la possibilité de s’entraîner même sur le canal. Toujours à la recherche de l’entraînement pour avancer plus vite en en faisant le moins possible.

Pour moi il faut s’entraîner, mais il faut aussi savoir se reposer. Si on s’entraîne trop souvent ,on atteint une fatigue chronique dont on ne s’aperçoit pas.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que cela veut dire que par rapport à toutes les personnes que j’ai interviewé et qui s’entraînent deux fois par jour, toi tu faisais moins de volume ?

Philippe Aubertin : Moi je suis plus pour faire peu de séances mais de qualité, pour développer des sensations. Il faut que les sensations soient bénéfiques. Si toute l’année tu fais des grosses quantités, quel est l’intérêt de partir en stage ? Il faut aller en stage et avoir envie d’aller en stage.

Les Secrets du Kayak : Tu as toujours réussi à profiter du bénéfice du volume inhabituel du stage ?

Philippe Aubertin : Moi les stages étaient bénéfiques, je les attendais avec impatience. Tu rencontres les autres athlètes, ça permet la confrontation, et d’apprendre des autres.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y avait un bon esprit de partage entre athlètes ?

Philippe Aubertin : A l’époque avec certaines personnes le courant passait très bien. Et d’autres moins. C’est à dire qu’à la fin il y a une issue et tout le monde ne passe pas.

Les Secrets du Kayak : Comment se passe la suite pour toi ? Tu es souvent pris en équipe de France ?

Philippe Aubertin : En 1990, j’étais pris en équipe de France tous les ans jusqu’en 1996, année où on n'a pas réussi à se sélectionner avec mon équipier. Fin 1996, Kersten Neuman est arrivé. Ça a été un peu compliqué parce qu’à l’époque, ce n’était pas du tout ma vision des choses. Il a mis en place la musculation avec des tests qui comptaient dans la sélection ainsi que le 2000m. On accumulait un retard tel, que tu ne te sélectionnais pas.

Pendant deux ans, j’ai été viré de l’équipe de France 1997 et 1998. Donc soit j’arrêtais le bateau, soit je me mettais à la page. J’ai fait de la musculation, j’ai pris du poids, je me suis métamorphosé, j’ai du m’affûter.

Kersten nous a imposé sa méthode, et ça a été bénéfique. Ça permet d’accepter les charges d’entraînement énormes.

Les Secrets du Kayak : Tu as aussi joué le jeu de Kersten avec le 2000m sur l’eau ?

Philippe Aubertin : Il y avait un plan cadre d’entraînement à suivre à la lettre. Chacun le faisait à sa sauce, certains étaient suivis par leur entraîneurs. Les quantités étaient phénoménales, c’était impossible de les suivre toutes.

Sur le 2000 je limitais la casse, sur le développé couché j’ai du finir dans les 10 meilleurs, j’ai du gagner le 500m. Au cumu,l j’ai fini 5ème, ils en prenaient 7. Mais comme Kersten privilégiait les plus forts en musculation pour mettre dans le K4, je me suis retrouvé à faire le K2 avec Bâbak. Finalement c’était plutôt bien. Dès les premiers coups de pagaies, on a su qu’on était fait pour s’entendre.

Les Secrets du Kayak : Comment se passent les JO alors ?

Philippe Aubertin : On a du faire notre bateau un mois avant les JO, on s’est entraîné à Aiguebellette, on a fait un chrono 500m et c’est là qu’on a fait 1’29, record pour moi. C’était une bonne olympiade, mais je pense que Kersten aurait du arriver quatre ans plus tôt. La médaille était envisageable, même si nous ne l’avons pas eu.

Les Secrets du Kayak : Avec le recul, qu’est-ce qui vous a manqué ?

Philippe Aubertin : Je n’y pense pas, je préfère ne pas savoir. Pour moi, je suis content du résultat. C’est ma meilleure performance faite aux JO. Le bateau était plaisant à naviguer. En règle général, les temps étaient bons. Ce qui est motivant pour les olympiades suivantes.

Les Secrets du Kayak : C’était quoi une mauvaise séance pour toi, une séance sans bonne sensation ?

Philippe Aubertin : Oui, en fait je voulais toujours aller vite mais que ce soit facile. À l’entraînement, c’était le souhait recherché.

Les Secrets du Kayak : Tout le monde dit que tu es un grand technicien. Moi, j’ai juste vu les vidéos des JO sur Youtube. Comment tu décrirais ta technique de pagayage ?

Philippe Aubertin : Je ne pense pas pouvoir l’expliquer, elle a évolué au fil du temps. Je me suis inspiré de tous mes adversaires. Comment avancer plus vite qu’eux ? Ce n’est pas ce qu’on voit qui est important. Il fallait travailler sur la transmission du gainage. Le physique n’est qu’un détail, ce qui compte c’est comment aborder le truc. On ne peut pas intervenir sur une chose sans que ça ait des conséquences sur autre chose. Il faut visualiser la technique dans son ensemble, il faut tester pour trouver ce qui te convient. Il faut qu’en course se soit facile.

Les Secrets du Kayak : Tu as un caractère assez détendu, tu as fait de la méditation ?

Philippe Aubertin : Inconsciemment je fais de la représentation mentale, parce que j’aide des personnes à aller plus vite, je suis toujours en quête de recherche pour les faire avancer plus vite. Ça m’arrive de remplacer au pied levé mon neveu entraîneur au pôle de Nancy et de donner quelques conseils.

Les Secrets du Kayak : Tu aimerais entraîner à temps plein ?

Philippe Aubertin : Pourquoi pas puisque j’aime voir les gens progresser. Par exemple, j’entraîne mon fils à distance.

Les Secrets du Kayak : Tu utilisais la technologie comme le cardio fréquencemètre pour l’entraînement ?

Philippe Aubertin : Observer les pulses en séance d’EB1 c’est intéressant.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a des choses en dehors du bateau qui t’ont beaucoup aidé ?

Philippe Aubertin : Je ne courais pas bien mais j’aimais bien courir, c’est intéressant pour l’entraînement. Le vélo est moins intéressant. Pour une heure de course à pieds, l’équivalent c’est 4h de vélo. Autant faire de la course à pieds.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu continues le kayak ?

Philippe Aubertin : Non, je n’en fais plus trop. Ça ne me manque pas vraiment. Ce que je risque de faire, c’est de naviguer dans les nouvelles formes. Pour chaque forme de bateau, il y a une gestuelle différente, les forces utilisées sont différentes.

Les Secrets du Kayak : Comment me relâcher dans le bateau, moi qui suis fort crispé ?

Philippe Aubertin : Je ne peux pas donner d’avis sans te voir.

Les Secrets du Kayak : Tu faisais beaucoup d’imagerie mentale, est-ce que tu t’intéressais aussi à la nutrition, tu te faisais suivre par un kiné ?

Philippe Aubertin : Beaucoup de chiropracteurs et ostéopathes. Peu de nutritionnistes, je ne mangeais pas vraiment sainement, je ne me suis jamais posé la question pour ma récupération. Je basais tout sur la pratique, peut être à tort. Il faut manger pour avoir un apport calorique suffisant, sans faire d’excès. Le plus important, c’est le rapport poids puissance. J’essayais toujours d’avoir un poids de forme accepté par mon bateau. Mes meilleures sensations, c’était à 76-77 kg dans un petit américain.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que c’est un regret de ne pas avoir fait plus de K1 ?

Philippe Aubertin : Non, j’aime bien faire de l’équipage. Je faisais du K1 pour les sélections. On se faisait plaisir en K1 mais j’avais plus de chances de performer en K2.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a eu un ou plusieurs entraîneur qui t’ont aidé ?

Philippe Aubertin : Au niveau technique, j’ai eu des apports mais je ne les écoutais pas. Au niveau rigueur, physio c’était important qu’ils soient là. J’aimais bien faire mes expériences techniques. Il n’y a pas de mauvais conseils. Il faut tester ensemble pour que ça fonctionne et se faire confiance. J’ai une anecdote où avant la course, parce qu’elle avait du retard, avec Bâbak on a changé la pagaie au dernier moment, je ne la connaissais pas. On se faisait aveuglément confiance.

Les Secrets du Kayak : Tu as fait beaucoup de tests de pagaies ?

Philippe Aubertin : Non pas tant que cela, j’en ai eu des différentes. Comme les meilleures pagaies étaient allemandes, on en a commandé. J’ai essayé la turbo, moi je suis surtout resté en Braca. Une fois que j’ai trouvé ma pagaie j’y suis resté attaché pendant des années jusqu'à la casse.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu arrêtes ta carrière ?

Philippe Aubertin : Pleins de raisons, j’avais envie de choisir une autre voie. J’ai travaillé à La Poste. J’ai continué de naviguer en club. Et aujourd’hui je regarde les autres courir aux championnats de France. Parfois ça m’arrive d’apporter des conseils, mais pour moi un athlète sait comment il doit pagayer. Je suis surtout là pour mon fils. C’est quelqu’un qui réfléchit beaucoup. Aujourd’hui avec Youtube c’est plus facile qu'à l’époque pour s’inspirer d’un modèle. Mais les gens ne sont pas faciles d’accès, ils ne discutent pas facilement.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a un conseil que tu te donnerais à ton toi plus jeune ?

Philippe Aubertin : Il faut toujours écouter les conseils, même si on ne les applique pas tous. Je n’ai jamais rien regretté. On fait des erreurs, on corrige. Il faut vivre sa vie, essayer de tout mettre en œuvre pour atteindre son objectif, et ne pas précipiter les choses.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu trouves qu’on crame un peu trop vite les jeunes parfois ?

Philippe Aubertin : Je pense qu’il y a une volonté à les faire progresser. Je suis un peu perplexe sur la catégorie des U23. Comment peuvent-ils se confronter au senior ? Je ne sais pas quelle valeur donner à cette catégorie. Le passage était difficile de junior à senior ! Mais au final ce passage difficile ils l’ont à 24 ans. Je ne suis pas certain que ce soit mieux.

Auparavant il existait un collectif 2, ça je trouvais que c’était bien. Ça permettait aux jeunes d’avoir une expérience internationale. Ce qui permet de progresser. Je n’ai pas connu ça et je trouve que courir contre des seniors ça permet de savoir ce qu’ils valent par rapport aux meilleurs seniors. Mais ce n’est que mon point de vue.

Vous pouvez retrouver Philippe Aubertin sur son compte Facebook.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Olivier Boukpeti

Retrouvez tout sur Olivier Boukpeti dans cet épisode des Secrets du Kayak. Il nous raconte en détails sa longue carrière d’athlète de haut niveau en kayak. De ses débuts à maintenant en vétéran 2.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Olivier Boukpetit en juillet 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Olivier Boukpeti : Ça va bien ! On est aux Championnats de France, il fait beau, les courses se passent bien, j’apprécie d’être là parmi cette belle énergie à Vichy.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que ça donne pour toi les championnats ?

Olivier Boukpeti : J’ai changé il y a peu de club, je suis à Bordeaux, je cours en vétéran et j’accompagne les jeunes qui découvrent le championnat. J’ai gagné sur le 200m, deuxième sur 500m et ce matin sixième en K2 paraduo.

Les Secrets du Kayak : Comment ça marche le paraduo ?

Olivier Boukpeti : On a une personne en para-canoë avec un handicap plus ou moins lourd qui coure avec une personne valide. C’était la première fois qu’on le faisait ensemble avec mon coéquipier, je pense qu’il y en aura d’autres.

On avait fait des tests à l’entraînement, on a bien goûté à la température de l’eau ! J’ai été ambitieux, je pensais que l’on pouvait prendre un bateau instable. Son handicap ne le lui permet pas. On a pris un bateau beaucoup plus stable du coup.

Les Secrets du Kayak : Combien de fois tu t’entraînes par semaine en tant que vétéran 2 ?

Olivier Boukpeti : Je suis donc en Vétéran 2, 44 ans, mon rythme c'est deux séances par semaine. Parfois j’en rajoute quand je le peux, notamment lorsque les échéances arrivent.

Je suis professeur des écoles. Ça prend du temps en préparation et au niveau psychologique, ça prend de l’énergie.

Je prends du temps aussi pour encadrer au club, mais je ne le compte pas comme une séance. Je passe du temps un peu sur l’eau.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu commencé le kayak ?

Olivier Boukpeti : C’est mon frère de trois ans moins que moi qui m’a emmené au kayak. Moi j’étais féru de foot et de tennis. Mon frère faisait du kayak, je considérais que ce n’était pas un sport mais un loisir. Et un jour, j’y suis allé avec mon cousin et j’ai réellement vu ce que c’était que de faire du kayak.

Le jour d’essai a été le grand plongeon. Et les encadrants ont su m’embarquer, me valoriser, j’ai foncé et je n’ai fait que ça. J’avais 13-14 ans.

J’ai commencé à Lagny-sur-Marne, c’était un club de slalom. C’était l’époque de la bivalence avec la descente, je faisais ces deux disciplines. J’étais à fond, on pouvait venir quand on voulait, faire beaucoup d’heures, alors qu’au foot et au tennis ce n’était pas le cas.

Les Secrets du Kayak : Tu as fait des compétitions assez rapidement ?

Olivier Boukpeti : Oui, dès septembre avec les combinés de l’avenir, la rentrée qui a suivi mes débuts. Je découvrais le kayak et la compétition. Je rêvais en voyant les meilleurs se tirer la bourre. Maintenant que je suis vétéran, j’y suis arrivé. Florent Nowakowski qui fait deuxième sur 200m aujourd’hui me faisait rêver en minime ! Aujourd’hui je le croise sur les courses. C’est un petit clin d’œil sympa.

Les Secrets du Kayak : Tu préférais plutôt le slalom ou la descente ?

Olivier Boukpeti : J’étais parti pour faire du slalom. Mais les choses ont fait que j’ai bifurqué sur la descente. J’avais des capacités physiques qui s’exprimaient plus vite et plus simplement en descente. J’avais beaucoup d’endurance, donc sur des courses de 20min j’ai vite progressé et j’avais du plaisir à m’exprimer.

Et il y avait un gars Franck Fifils qui fait pas mal de surfski, et de stand-up paddle, qui était la locomotive du club. Il jouait les podiums en descente et il a créé toute une dynamique dans le club. Il donnait beaucoup, il partageait beaucoup. Pourtant à la base, on était censé faire du slalom. Petit à petit avec les résultats qui venaient, j’ai favorisé tout naturellement la descente. J’étais trop content d’être en finale junior 1 en descente.

Les Secrets du Kayak : A ce moment là, tu t’entraînais combien de fois par semaine ?

Olivier Boukpeti : J’étais à fond, avec la culture du club on s’entraînait cinq fois par semaine c’était déjà beaucoup pour nous. Notre président a mis un partenariat en place avec un lycée, je m’entraînais cinq six fois par semaine en section sportive. C’était spécifique pour notre club. Ce n’était pas un pôle espoir, c’était un arrangement, ça existait déjà pour le judo, on s’est greffé sur ça. Ça permettait de jongler entre musculation et kayak.

Ce que je n’avais pas compris au foot, je l’ai compris au kayak. Au foot je détestais la préparation physique, mais sur un sport individuel tu en as besoin. Je me suis mis à faire des séries en course à pieds. Ce qui aussi aurait pu m’aider au foot. Le kayak a été très formateur pour apprendre à s’entraîner. J’ai de suite essayé d’appliquer plein de petites choses pour être le plus performant possible.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu rentres en équipe de France jeune ?

Olivier Boukpeti : En junior, je fais six ou septième, seul les trois quatre premiers sont pris. En début de senior je recule complet, je fais 37ème ! En eau-vive, je ne comprenais pas trop la technique, notamment sur le tour de chauffe avant la course. J’avais de meilleurs résultats que pour la course en elle même.

Ensuite j’ai décidé d’aller en pôle, je suis allé à Poitiers. On m’a appris la technique, les choses à savoir sur la glisse. J’ai rencontré des gens qui m’ont beaucoup appris et fait progresser d’un coup. Je suis revenu rapidement dans les dix premiers français, jusqu’en 2001 où je me suis sélectionné en équipe de France, notamment par le sprint.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu as changé dans ta façon de pagayer quand tu es arrivé au pôle ?

Olivier Boukpeti : Bien choisir sa pagaie, bien se caler dans ton bateau. Savoir utiliser le tronc du corps et non pas les épaules et les bras. Prendre le temps de pagayer par la rotation.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu étais fort en musculation sur les exercices de bras et épaules ?

Olivier Boukpeti : Oui notamment en biceps. J’ai vite gonflé en réalité quand j’ai commencé la musculation au pôle. Je me faisais chambrer du style « olivier n’a qu’à regarder les barres pour gonfler ». J’avais pris beaucoup de masse musculaire, mais je n’étais pas si fort que ça. Je faisais 86kg pour 1m85 et j’étais très sec. Mais j’étais souvent malade l’hiver car trop sec. On ne me le disait pas trop que j’étais trop sec, et j’étais assez fier de cela.

Les Secrets du Kayak : Chacun a un taux de gras idéal qui permet une meilleure récupération, avec un bon taux d’hormones et un bon système immunitaire.

Olivier Boukpeti : Là aujourd’hui je me sens bien, même si je ne m’entraîne plus autant. Quand je m’entraînais par exemple avec Cyrille Carré je me disais que je ne pouvais pas non plus jouer avec ces marathoniens là.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu penses que l’excès de masse musculaire t’a gêné ?

Olivier Boukpeti : Je n’ai jamais pensé à ça et je ne le pense pas, on ne me l’a jamais dit non plus. Peut être que ça aurait pu me permettre de me poser des questions. C’est possible que sur du long terme ça doit jouer un peu. De toute façon mon coup de pagaie était peu économique, même si je progressais, je pense qu’il y avait beaucoup à travailler.

Je pense que je mettais des watts dans l’eau, mais je pense qu’avant ça il faut sentir ce qu’il se passe dans l’eau avec la pagaie. Ça m’a manqué ! Moi j’ai toujours eu ce côté « j’ai de l’énergie, j’ai de la force » et donc je m’appuie dessus. Avec le recul je pense que ça aurait été bien de l’enlever pour mieux réutiliser après cette force. J’ai beaucoup appris et j’ai encore beaucoup à apprendre.

Les Secrets du Kayak : Quand tu rentres en équipe senior de descente, est-ce que tu fais les championnats du monde et d’Europe ?

Olivier Boukpeti : 2001 ça marche assez bien ,je fais podium en sprint, ma deuxième année en sélection équipe de France… je ne me sélectionne pas. Mais j’ai été pris en remplaçant aux championnats du monde de 2002 en Italie. J’ai fait deuxième à la première manche, mais à la deuxième manche avec le stress je fais septième.

En voyant mes performance, le DTN de l’époque m’a expliqué que je pouvais faire de la course en ligne. Ils cherchaient à recruter car après Bâbak, ça manquait de performance. Dès 2003, j’ai fait de la course en ligne.

J’ai eu mon concours de prof de sport, j’ai été cadre technique en Île de France, donc je me suis entraîné au Pôle France à Vaires, avec Bâbak. Il a été un peu mon parrain et il m’a motivé. Je pense que je n’ai pas assez exploré le relâchement nécessaire pour la course en ligne. J’étais bon sur le 200m mais ce n’était pas discipline olympique.

Les Secrets du Kayak : Tu as été encadré comment à Vaires sur Marne ?

Olivier Boukpeti : Je me retrouve avec les entraîneurs course en ligne de l’époque. C’était Albert Pernet qui s’occupait de nous, l’entraîneur de Bâbak. Bâbak me confiait un peu ses astuces, qui m’ont marquées et qui sont restées. Il y avait aussi Philippe Colin avec qui on a beaucoup partagé, et mon pote Boris avec qui on essayait de progresser ensemble dans cette nouvelle discipline.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as rapidement intégré les équipes de France en course en ligne ?

Olivier Boukpeti : Oui et non. En 2003, je venais de l’équipe de France de descente donc j’avais tous les stages interpôles. En 2003, je ne me suis pas sélectionné en équipe de France de course en ligne. Je me suis blessé au dos à la musculation avec des hernies discales. Pas d’opération, pour le médecin ce n’était pas forcément la solution idéale. Le mieux était d’apprendre à prendre soin de son dos. Ça m’a fait m’arrêter quatre mois consécutif.

Les Secrets du Kayak : Ça ne t’a pas démotivé pour continuer, cette sensation que ton corps ne suivait pas ?

Olivier Boukpeti : Si, c’était dur mais je me suis recentré sur moi, j’ai pris du recul, j’ai écouté les conseils, mais avec le recul je n’ai pas assez écouté les conseils. Ça m’a permis de souffler. Mais j’ai eu d’autres blessures, comme des fractures de fatigue aux côtes. En s’entraînant trop.

En 2004, j’avais trop repris à fond. Comme il n’y avait pas eu de quotas français, c’était opération commando pour se donner toutes les chances d’aller aux JO. Donc beaucoup de stages, faire la course à toutes les séances, je faisais tout à fond. Je faisais beaucoup de long, mais à fond.

C’est sur la fin de ma carrière que j’ai appris à travailler en EB1. A l’époque, mon esprit de compétition était poussé à l’extrême. C’était une force mais aussi une faiblesse. La blessure me forçait à m’arrêter. Quand tu cumules intensité et volume, tu te blesses.

En 2004, je fais les championnats d’Europe qui étaient les rattrapages pour les JO, en K4 et on n’est pas passé. C’était un super moment, il y avait un bon état d’esprit, on savait qu’on n’était pas favoris. On a vécu cette expérience avec le sourire, c’était sans prise de tête.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe pour la suite pour toi ?

Olivier Boukpeti : Ça avait bien démarré en course en ligne donc je poursuis, j’essaie de me sélectionner en K2 500m avec Boris Saunier, mais il passait son concours de prof de sport donc j’ai fait le K2 1000m avec Nicolas Maillote. Il fallait faire dans les cinq premiers en coupe du monde pour être sélectionné. On a gagné en K2 500m avec Boris, Bâbak était censé être devant nous. Et on n’a pas gagné le K2 1000m avec Nicolas. On a fait finaliste aux Europe. Mais avec Philippe Colin et Vincent Lecrubier, on a fait deux devant les allemands. Une belle saison qui s’est finie par une finale aux championnats du monde en K4 un peu décevante. Là tu te dis que tu vas tout déchirer aux JO.

Mais je pense que je n’ai pas assez travaillé le côté relâchement et la pression, dès 2006 je fais de mauvaises sélections. Mais je me suis fait repêcher pour un K4 aux championnats du monde.

Pour l’année des quotas olympiques, je fais de belles sélections, un K2 avec Arnaud Hybois, podium sur 500m, pas trop mal sur le 1000m. On s’entraînait avec Cyrille Carré et Philippe. A la fin de l’année, pas de quotas olympique pour nous.

Pour moi 2008, c’était un peu catastrophique. J’ai été malade tout l’hiver. Un stage au ski de fond j’avais la grippe, j’y vais à fond. J’ai refusé le ski alpin, ce qui était une bêtise avec le recul. Je cherchais à me rassurer à tord. Mais l’objectif c’est d’être près pour le jour J, pas besoin d’être fort tout le temps. Il faut savoir être moins fort pour être plus fort.

Pas de sélection aux JO, mais au final j’y serai allé juste pour y décrocher une finale. J’ai pu aller aux JO à Pékin, mon frère y a participé pour le Togo, il a fait troisième, j’en ai profité comme jamais, je n’aurais pas pu en profiter de la sorte si j’avais fait les JO en course en ligne. Ça été une grosse fête.

Les Secrets du Kayak : Avant les JO, il y aurait eu des choses que tu changerais si tu le pouvais ? Tu été entouré pour te préparer ? Ou bien tu voulais tout maîtriser, ne pas déléguer et être toujours à fond ?

Olivier Boukpeti : Je n’en ai pas parlé mais j’ai eu la chance de me faire suivre par une psy, je stressais énormément et elle m’a beaucoup aidé. Mais elle n’avait pas la vision suffisante du sport pour m’accompagner et m’amener à l’échéance. C’était le travail de l’entraîneur. C’est un travail permanent l’art de se relâcher.

Quand j’observais Bâbak, parfois il avait besoin d’aller moins vite, de prendre le temps. Maintenant avec le recul, je comprends ce qu’il voulait dire. J’ai beaucoup perdu en puissance musculaire, je ne fais pas plus de musculation que cela, je ne veux pas me blesser. J’entretiens mon explosivité sur l’eau, et d’avoir moins de force ça m’aide à me relâcher. Les séances tranquilles sont bénéfiques, mais c’est difficile pour l’ego.

Parfois d’aller doucement, tu vas plus vite que ceux qui y vont à fond, ce qui permet de faire une relance à la fin alors que les autres ne suivent pas. Mais c’est dur de lutter contre les croyances et les habitudes. Utiliser les muscles endurant c’est important, il faut du gainage, solliciter un max ces muscles là. Ce sont des muscles que je ne connectais pas assez.

Les Secrets du Kayak : Comment tu aurais pu faire pour les connecter mieux avec le recul ?

Olivier Boukpeti : Essayer de le ressentir, sentir que le gainage les relie ce qui permet d’utiliser tout le buste et notamment la partie basse qui est infatigable. Alors que ce n’est pas le cas de tes biceps qui sont fait pour faire un mouvement explosif, soulever une charge lourde, pour ensuite s’arrêter. Même si on arrive à optimiser les muscles par l’endurance de force, à un moment donné il faut tout remettre à plat, poser la pelle, sentir qu’on tire léger, engager le buste et tout ce qui s’en suit.

Les Secrets du Kayak : On m’a dit que tu tremblais dans le bateau au début ?

Olivier Boukpeti : Plein d’équipiers me l’ont dit, quand je monte en bateau je tremble, même si je suis détendu. Ce n’est pas du stress, c’est neuro-musculaire. Quand je ne suis pas chaud, en place je tremble. Ça peut aussi me le faire sur des efforts max en musculation, moi ça montait en tremblant. C’était peut être la fibre rapide, un truc neuro-musculaire très intense. Et ensuite ça disparaît.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as réussi à être stable à un moment dans le bateau ?

Olivier Boukpeti : Aujourd’hui, je me sens stable. C’est vrai que j’ai commencé à 14 ans ce qui fait que c’est un peu tard. La course en ligne, un peu tard aussi. Maintenant que je suis un peu moins exigeant et que je laisse faire un peu plus le bateau, j’ai l’impression que je suis dans une phase ou je profite de toute mes heures d’entraînement jusqu’alors.

Jusqu’au moment où ça va décliner. Si on ne s’entretient pas, on perd, et c’est hyper dur de regagner tout ce que tu perds, surtout quand on est âgé. Je sais que si je veux garder ma condition, il faut que je navigue dans différentes conditions, mais aujourd’hui j’ai un âge où je ne fais plus de musculation.

Les Secrets du Kayak : Comme tu as eu deux hernies, est-ce que tu fais des choses au jour le jour pour ne pas avoir mal au dos ?

Olivier Boukpeti : Des étirements, notamment sur les jambes. Pendant quatre, cinq ans c’était obligatoire d’aller voir le kiné au moins une fois par semaine. Je savais que si je ne passais pas par ça, mon dos lâcherait. Ils m’ont bien appris l’importance des étirements, et surtout ceux des membres inférieurs.

Les Secrets du Kayak : Quel est ton matériel aujourd’hui pour t’entraîner ?

Olivier Boukpeti : J’ai un Plastex, Midas 2. C’était la période phare de Plastex, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Pourtant j’en ai eu des bateaux, mais je suis trop bien dedans.

En pagaie, je suis dans une expérimentation en ce moment. J’ai décidé d’écouter mes sensations avec une pagaie super épaisse, on m’a pris pour un fou parce que j’ai décidé de faire le marathon avec. Mais j’étais très très bien avec. J’ai un style différent, j’arrive à me relâcher un peu. Ça me permet de prendre le temps pour mon appui. Mais parfois le naturel revient au galop, et je pense que ma cadence va quand même augmenter. J’étais en 2,22 sinon j’étais en medium + en 2,18.

Et musculairement ça ne me crève pas plus, sauf dernièrement sur le 500m, j’ai senti une petite limite. Il faut perpétuellement se remettre en question pour progresser, il faut accepter de déconstruire les séances pour progresser. C’était mon défaut de ne pas savoir le faire.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’aujourd’hui tu as des objectifs dans le kayak en tant que V2 ?

Olivier Boukpeti : Celui de me faire plaisir en bateau, dans la glisse, justement avec des objectifs techniques. Je me mets des objectifs de technique, de posture. Je me fais plaisir à essayer de progresser là-dessus. Et de me tirer la bourre aussi, avec des juniors ou des seniors. Avant, j’étais trop obnubilé par le chrono. Chaque séance doit être un réel plaisir. On a beau ne pas gagner d’argent dans ce milieu, on gagne beaucoup plus avec la richesse humaine.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu avais d’autres points à aborder ?

Olivier Boukpeti : J’ai juste pensé à un point. J’ai utilisé pendant longtemps un siège rotatif pour me soulager le dos suite à la hernie. C’est bizarre parce que c’est moins stable au début, mais quand je l’avais, j’étais plus stable parce que j’arrivais à mettre de la rotation sur mon siège en étant déconnecté du bateau.

Le marathon de l’Ardèche, je l’ai fait avec un siège qui tourne, ça me permettait de mettre de la rotation pour naviguer. Pour soulager les vertèbres c’était intéressant, ça m’a aidé et ça m’a appris à mieux sentir les choses. Il faut rester ouvert et ne pas bloquer sur les sensations qu’on a pas envie de perdre parce qu’on se sent bien et qu’on veut rester sur ce qu’on connaît.

Je n’en vois plus trop de ces sièges. Je pense que ça peut aider certaines personnes. Maintenant je suis en fixe depuis plusieurs années et j’y suis bien. Je pense qu’il n’y a pas de vérité, il faut tester. Je pense que le corps a parfois besoin de repasser par autre chose pour mieux revenir ensuite sur ce qu’on faisait.

Je suis dans la mouvance du développement personnel, donc pour moi il faut savoir s’écouter, être dans l’instant présent, un peu de méditation et de respiration. Ce qui aide au relâchement, même si je ne suis pas encore l’exemple du relâchement. Il faut savoir apprécier des choses très très simples.

Dans le kayak, comme dans la vie, il faut avoir des références, mais les sensations sont individuelles, chacun est extraordinaire à sa façon. Et si ça se trouve, autour de nous une personne fait partie des 10% hors norme. Donc pour ta question sur la main supérieure, c’est la hauteur qui te convient qu’il faut choisir. Regardez les repères biomécaniques pour fixer la main de façon à ce que cela vous convienne de manière optimale.

Vous pouvez contacter Olivier Boukpeti sur son compte Facebook.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Sébastien Mayer

Retrouvez tout sur Sébastien Mayer dans cet épisode des Secrets du Kayak. Il nous raconte ses débuts en kayak, sa carrière de sportif de haut niveau, ses Jeux Olympique. Et enfin sa reconversion d’entraineur.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Sébastien Mayer en juillet 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Sébastien Mayer : Ça va bien Rudy.

Les Secrets du Kayak : Les championnats de France se sont bien passés pour toi ?

Sébastien Mayer : Plutôt bien, un peu compliqué parce que c’est un bassin agité mais ça me fait plaisir d’être là et de rencontrer les anciens.

Les Secrets du Kayak : Ça fait combien de temps que tu pratiques le kayak ?

Sébastien Mayer : J’ai commencé à 13 ans donc ça fait 39 ans. J’ai commencé le kayak parce que mon père en faisait. Et ensuite on était une bande de potes, on rigolait bien. Les copains se sont mis à la compétition et moi j’ai suivi.

Les Secrets du Kayak : Tu faisais d’autres activités sportives avant ça ?

Sébastien Mayer : Non moi je suis d’une génération où on traînait beaucoup dans le quartier. Moi, le kayak c’est vraiment en suivant mon père que j’ai commencé.

Les Secrets du Kayak : Tu es particulièrement grand, c’était déjà le cas enfant ?

Sébastien Mayer : J’étais plus grand que la moyenne mais un peu bouboule, j’étais un peu gras. C’est le sport qui m’a affiné.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as rapidement fait des compétitions dès que tu as commencé le kayak ?

Sébastien Mayer : En minime, j’étais deuxième aux championnats de France, donc ça donne envie de continuer. En minime 2, je n’ai rien fait de bien. C’est venu plus tard vers junior. Si tu regardes la génération actuelle, on essaie d’en faire des athlètes de haut niveau très jeune, alors que nous à notre époque on a commencé plutôt vers 19 ans en senior. J’ai voulu tenter les JO, culture olympique oblige à la maison.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu sentais une pression à la maison venant de ton père ?

Sébastien Mayer : Non jamais, il ne nous a jamais poussé. Mais il m’a conseillé dès lors que je me suis lancé pour de bon.

Les Secrets du Kayak : Quels conseils te donnait ton père ?

Sébastien Mayer : C’était plutôt dans la gestion de la carrière. S’entraîner, travailler, essayer de trouver des arrangements. A mon époque, j’ai galéré à travailler un petit peu, il m’a conseillé à monter un double projet.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu as fait comme études ?

Sébastien Mayer : J’ai un parcours spécifique. J’ai fait un CAP, BEP électromécanique, puis un BE canoë kayak, puis un BE 2. Ensuite je suis rentré dans la fonction publique, j’ai fait un concours d’ETAPS, j’ai passé le concours CTAPS (cadre A de la fonction territoriale). Maintenant, je gère un établissement dédié à l’excellence sportive. Je reste dans le sport.

J’ai fait une carrière de kayak longue, j’ai arrêté à 34 ans. Il fallait conjuguer avec la vie de famille puisque j’ai été papa très tôt. Donc mon père m’a aidé à gérer tout ça.

Les Secrets du Kayak : Jeune, tu t’entraînais combien de fois par semaine ?

Sébastien Mayer : Rien à voir avec ce qui se fait maintenant, trois fois par semaine. A côté, je ne faisais pas grand-chose. Sauf l’hiver, à Mulhouse le canal gèle donc tu ne fais pas de bateau. Tu ne vas pas attendre que ça dégèle pour t’entraîner, tu fais d’autres choses. On avait de quoi faire en sports co, des circuits training, on allait faire du ski de fond.

Les Secrets du Kayak : Tu penses que cette multidisciplinarité t’a servi pour la suite ?

Sébastien Mayer : Oui. Quand je te dis que je fais du ski de fond, je fais 30km. J’en fait vraiment. Et ça me va, j’ai appris à le faire. Avec l’équipe de France, on faisait des stages de ski de fond. Et quand tu regardes bien, le ski de fond ressemble au kayak. Tu fais des transferts de poids de gauche à droite comme au kayak. Ça m’a toujours plu de faire autre chose.

Les premiers stages de la saison, il y a toujours une certaine pression. Ce sont des courses à toutes les séances. Alors que quand tu fais un stage de ski de fond, c’est plus posé, tu sais que tu viens travailler le physique. Tous les ans, encore on se retrouve pour faire du ski de fond.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu as augmenté ta fréquence d’entraînement ?

Sébastien Mayer : C’est venu crescendo. C’est plutôt en junior où on te pousses à en faire plus pour passer en haut niveau. Je passais à 5-6 séances par semaine. Du coup, on rajoutait de la musculation.

Les Secrets du Kayak : Tu avais un entraîneur qui te suivait ?

Sébastien Mayer : Non, c’était des bénévoles. Tu t’entraînais avec les seniors du club. Ça permet d’apprendre. Un club c’est une famille, les plus forts t’entraînent pour te tirer vers le haut. Tu fais comme tu peux, et si ça ne va pas ils font demi-tour pour venir te chercher. Et petit à petit, tu finis la séance avec eux et un jour tu es devant eux. C’est comme ça que tu progresses.

Les Secrets du Kayak : Tu as été sélectionné en junior, tu as fait les championnats du monde en junior. C’était une consécration pour toi d’être sélectionné en équipe de France ?

Sébastien Mayer : Consécration non, mais c’était l’aboutissement du travail. J’étais fier, j’étais en équipe de France, je partais faire les championnats du monde. Auprès des copains, j’étais fier.  Mais ça n’avait rien à voir avec ce que l’on pouvait voir à la télé.

C’était génial, tu voyais le professionnalisme des pays de l’Est, et toute la machine mise autour de ça. Et puis nous, on était bien suivi mais ça n’avait rien à voir. Eux les études, rien à cirer, ils s’entraînaient. Nous, la priorité c’était les études.

On a fait 7ème sur le K4 1000m en junior 1.

Les Secrets du Kayak : Quand tu passes senior, la fréquence d’entraînement augmente encore ?

Sébastien Mayer : Oui, pour le coup j’ai commencé à travailler et je préparais mon BE. J’étais sur place, donc dès que j’avais un moment je m’entraînais. Je pouvais m’entraîner deux fois par jour. Si tu veux être performant, il faut bouffer des bornes. Il n’y a que le travail qui paie.

La plupart du temps, j’étais seul. Donc c’était le chrono qui me tirait. Objectif faire descendre le chrono. J’ai eu un ancien du club qui a arrêté de faire du kayak, Denis Maurer, il avait un travail en Suisse, et du coup c’est lui qui me suivait en bateau à moteur. On faisait la course. Je n’avais pas le droit d’être derrière.

Dans la préparation, au départ d’une course, les adversaires à côté sont juste là pour t’aider à descendre le chrono. Moi c’était comme ça que je le voyais. Où alors tu veux trop suivre et tu n’as pas le niveau pour suivre. C’est normal, il faut tenter. Mais tu peux vite exploser.

Les Secrets du Kayak : Tu te souviens de ta première sélection en senior ?

Sébastien Mayer : Oui c’était au premier stage. Quand je suis arrivé à la période de Bernard Bregeon, Boccara, Boucherit, des gars qui ont fait des médailles aux JO, que des chambreurs. Moi il m’ont appris tellement de choses, c’était motivant. Je n’avais rien à perdre, l’objectif c’était de les faire chier le plus longtemps possible pendant la course. C’était mes plus belles années, rien à perdre tout à prouver. C’est ça l’esprit du sport. Ça doit rester du jeu.

Les Secrets du Kayak : Quand tu suivais les stages, tu suivais la planification faite par les entraîneurs ?

Sébastien Mayer : Oui, ce n’est plus la même façon de faire aujourd’hui. On était une très grosse équipe, environ une dizaine de senior homme, tu pouvais avoir trois K4 sur une course, on en avait le droit. C’était super génial à notre époque.

Les Secrets du Kayak : C’est lors des premiers stages que tu as eu l’ambition des JO ?

Sébastien Mayer : Non, là, j’avais seulement 19 ans. Les premières compétitions contre les cadors, j’ai fait les stages, j’ai attendu de voir comment se passait la saison, j’ai fait quatrième aux championnats de France de vitesse sur 500m. Je savais que ce n’était pas mal, et l’année suivante j’ai fait mes premiers championnats du monde en équipe senior. Là tu rentres dans le grand bain, il y avait du boulot.

Je me souviendrais toujours de la pression des championnats du monde du premier départ en série. Je pars, je me place, j’ai la pagaie qui passe sous le bateau, j’ai failli emmener tout le bateau. J’ai été chambré ça a duré longtemps.

Et puis tu regardes autour de toi, tu vois toutes les nations, c’est ce que je voulais mais il fallait bosser. Je n’ai même pas fait de pause en rentrant de ça.

Les Secrets du Kayak : Il y a une manière différente de s’entraîner après les monde ?

Sébastien Mayer : Oui et non. C’était beaucoup plus de bornes, plus de bornes. Tu n’as pas de choix, il faut passer par la musculation. Hiver 1990-1991 j’en ai mangé de la musculation. Après ce n’est que du travail. Je n’ai jamais été très lourd, 83kg au mieux pour 1,90m.

L’année d’après, j’ai couru le mono 500m aux championnats du monde à Paris. Je fais cinquième. Mais je continue à progresser. J’étais dans le circuit, il me restait un an pour me sélectionner pour les JO. C’était encore autre chose. Tout de suite, tu passes un niveau au dessus. Et dans ma famille les JO, ça parle. Là pour le coup j’ai du me mettre une pression tout seul par rapport à mon père, je devais tout mettre en place pour y arriver.

J’ai toujours été à Mulhouse, je ne suis jamais parti en pôle. Après on était tous les 15 jours en stage pour 15 jours. C’était compliqué d’être suivi par quelqu’un d’autre. On avait tout organisé pour se voir le plus possible. Il nous fallait faire finale sur toutes les coupes du monde de début d’année avec le K4. Si on n’allait pas en finale une fois, on n’allait pas aux JO. On s’est préparé un maximum.

Les Secrets du Kayak : Tu te retrouves aux JO en 1992, comment c’était ?

Sébastien Mayer : C’était impressionnant. Tu as beau te préparer, quand tu y es, ça peut être perturbant. Tu vois des champions que tu vois à la TV, et même des champions français. Tu sympathises avec d’autres athlètes d’autres disciplines. C’était grandiose. On fait demi-finaliste sur le K4 1000m. C’était du tirage au sort, on était dans la demi la plus dure, on a fait sixième. Et dans l’autre demi, ça aurait passé on aurait pu être en finale. Il fallait être dans les quatre meilleurs temps. On était déçu.

Ma place dans le K4 était en deux. J’étais en deux parce que le tout premier stage qu’on a fait ensemble, et on avait tous la même opinion en ce qui concernait la meilleure position qu’on voyait dans le bateau, on était tous d’accord. Moi j’ai toujours était deuxième dans les K4.

Les Secrets du Kayak : Par la suite, comment se passe ta carrière ?

Sébastien Mayer : J’ai fait une trêve en 1993. Toujours en stage, en déplacement, j’avais besoin de souffler. Ma copine était enceinte, mars 1993 ma fille est née. Je voulais en profiter. Je me suis entraîné pour les sélections, mais je ne voulais pas partir. J’avais prévenu dès le début de l’année. Quand je suis reparti en septembre, c’était à fond. Quand tu laisses une famille à la maison, c’est plus compliqué.

Les Secrets du Kayak : Tu avais un détachement en tant que sportif de haut niveau ?

Sébastien Mayer : Je travaillais à mi temps payé plein temps, annualisé. Donc je faisais beaucoup d’heures l’hiver.

Les Secrets du Kayak : Quand tu reprends en 1994, comment ça se passe ?

Sébastien Mayer : C’était au Mexique, je préparais une olympiade en K1 500m. J’étais un des plus fort à l’époque. Les chronos baissaient. Je voulais faire une finale aux championnats du monde. Je fais demi finaliste, je ne passe pas. Toutes ces expériences m’ont permis l’année suivante d’arriver en finale aux championnats du monde.

Quand tu n’es pas prêt, c’est compliqué. Il faut savoir se remobiliser. C’est l’expérience qui te permet d’y arriver. Pas de quota pour les JO de 1996 mais j’étais le premier non pris. Je décide de faire la course de rattrapage, il fallait faire dans les deux premiers. Je n’ai pas réussi à passer.

Là où j’étais déçu c’est que cette année là, au moment des JO, une nation ne prend pas son quota. Donc le règlement faisait que c’était le neuvième des championnats du monde de l’année d’avant qui passe. Donc moi. Et la fédération ne m’a pas emmené. Je l’avais en travers. J’ai laissé de côté tout ça pour digérer. Et ensuite, on a Kersten Neuman qui est arrivé.

Tout a changé drastiquement avec une autre méthode. Quand il est arrivé, il a réuni tout le monde à l’INSEP pour les tests physiques. Tu te dis ce n’est pas grave on y va, on fait parti des meilleurs français. Suffit de s’adapter ! Et en fait, on en a chié, un truc de malade. Faire 100 répétitions en deux minutes, c’était impossible. La course à pieds 5km. On a appris comme ça pour progresser. Et ça a marché en 1997, quasiment tous les bateaux étaient en finale. C’était la première fois depuis un moment que le K4 1000m était de nouveau en finale des championnats du monde, et on fait huitième.

Les Secrets du Kayak : Avant Kersten ton entraînement était moins codifié, il y avait moins d’allure ?

Sébastien Mayer : Les allemands, c’était surtout beaucoup de répétitions et des bornes au niveau des entraînements. Ils faisaient beaucoup plus de volume et avec des intensités autres que ce qu’on faisait. Son discours : vous faites des semaines de 35h, ça sera 35h d’entraînement. C’était impressionnant, on ne moufetait pas, ça passait. Après les tests, on se rapprochait des 100rep. Mais je ne les ai jamais passé. Mais aujourd’hui on en parle encore de Kersten, il a révolutionné l’entraînement en France.

Les Secrets du Kayak : Après 1997, comment ça se passe ?

Sébastien Mayer : L’idée c’était de préparer l’olympiade de 2000. En 1999, on sélectionne le bateau pour les JO mais en 2000 je ne passe pas la sélection pour les Jeux, ces sélections étaient un peu bizarres. C’était une année où il a fait très chaud, à Vaires il y avait des algues de partout. C’était un peu la loterie. Je prends une algue, je n’allais pas en finale donc c’était loupé pour moi.

Sur le 500m, j’ai fait troisième. A l’époque les sélections, c’était sur une journée. On était capable d’enchaîner six courses dans la journée. Si cette journée là, tu n’étais pas bien, tu te faisais avoir.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ça te pousse à arrêter ?

Sébastien Mayer : Oui, à mes 30 ans je n’étais plus certain de continuer. Ensuite c’était Pascal Boucherit qui était entraîneur des équipes de France. Je le connaissais bien puisqu’on avait fait les JO de Barcelone ensemble.

C’était mon olympiade de trop. J’ai fini par un championnat d’Europe pour ouvrir un quota pour les JO. Mais c’était compliqué. J’étais dans le collectif pour faire championnat d’Europe et ensuite j’ai arrêté.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu changerais quelque chose de cette période pour mieux performer ?

Sébastien Mayer : De 2002 à 2004 non, physiquement j’étais bien mais j’avais du mal à partir, la famille s’agrandissant. Il me fallait arrêter.

Les Secrets du Kayak : As-tu vraiment arrêté, puisque 20 ans après tu es toujours la ! Un peu comme tous les ans d’après ce que je comprends ?

Sébastien Mayer : Ça faisait un petit moment que je n’étais pas venu. L’année dernière j’ai fait un AVC, il me fallait m’en remettre, je me suis fait opérer du cœur du coup. Je suis en très bonne santé mais c’est un truc de naissance. C’est une membrane du cœur qui ne se ferme pas pour 25% des gens. C’est important d’en parler mais je ne voudrais pas faire peur. Ce sont les choses de la vie, tu rebondis sur ce que tu sais faire. Si je ne savais plus faire de kayak, alors c’était fichu. Ça marche, je suis content de pagayer et d’être là.

Les Secrets du Kayak : Après 2004, tu es devenu entraîneur à temps plein ?

Sébastien Mayer : J’ai travaillé pour la collectivité. Ensuite 2004, c’est ma fille Joanne qui s’y est mise, je l’ai prise en main, on est monté progressivement, jusqu’en 2012 où elle participe aux JO. C’était quand même une surprise, elle avait envie très tôt à 14 ans elle voulait faire les JO. De travailler ensemble, ça lui a fait gagner du temps.

L'objectif pour nous c’était les JO de 2016, non pas ceux de 2012. Donc grosse surprise, il a fallu gérer à ce moment là, je n’étais pas prêt. On l’a fait et puis voilà ça roule. Ça m’a permis de rester en forme, j’ai navigué avec elle tous les jours un petit peu. Et puis après c’était des challenges familiaux.

Les Secrets du Kayak : Tu étais détaché pour l’entraîner ?

Sébastien Mayer : Non, j’ai un travail qui me permet d’avoir des heures de mises à disposition pour la discipline du canoë kayak. J’avais 12h pour cela. Dédiées au suivi des entraînements de tous les athlètes. Ça me plaisait d’entraîner.

Aujourd’hui je ne le peux plus, de part mon travail qui a changé, je fais de l’administratif. Mais je suis là pour les senior du club, et quand je le peux je les suis.

Les Secrets du Kayak : Tu as continué les entraînements annexes après 2004 ?

Sébastien Mayer : Oui j’ai continué. Le ski j’en fais tout le temps, de la course à pieds aussi. Je fais un peu de tout. J’en ai parlé avec Maxime Beaumont ce matin, j’ai navigué avec lui lorsqu’il était plus jeune. Je lui disais que lorsqu’on vieillit, on a un peu mal partout. C’est quand tu en fait moins que tu sens que tu rouilles.

Lorsque je me suis arrêté, c’est là que je me suis fait mal. Et tu sens qu’il faut continuer un peu la musculation pour rester gainé. Donc je m’oblige à en faire un peu régulièrement.

Les Secrets du Kayak : Tu as connu l’évolution du matériel ? Comment c’était à tes débuts ?

Sébastien Mayer : Au début, j’étais en pelle plate, en bois, et les bateaux bois. Il y avait plusieurs tailles. Tu pouvais adapter la taille et la largeur. Ensuite il y a eu la wing qui est arrivée en 1987. C’était une autre façon de faire, il te fallait te réadapter à cette pagaie.

La pelle plate, tu pouvais tirer avec les bras. La pelle creuse, tu n’accrochais pas bien, il fallait une rotation du dos. Une fois que tu avais trouvé la technique, tu allais plus vite. Les formes ont évolué depuis.

Pour les Struer, je naviguais en pelle femme. Je n’avais pas la puissance pour tirer la pâle homme, mail il me fallait quelque chose de long parce que j’étais grand.

Les Secrets du Kayak : Et en bateau, il y a eu des évolutions ?

Sébastien Mayer : J’étais sur un Orion en 1991. Ensuite, il y a eu les premiers mono américain qui sont arrivés. En terme de stabilité par rapport aux bateaux de maintenant, les deux sont des baignoires.

Aujourd’hui, j’ai un Cinco. L’évolution a vraiment était visible dans le canoë. Les matériaux ont bien changé. Il faut être capable d’avoir une évolution physique car il faut les tenir les bateaux d’aujourd’hui. Moi j’ai fini en américain il me semble en 2004, j’avais encore une baignoire.

En terme de stabilité pour moi, ça a été jusqu’à mon AVC. Je dois mettre en place des stratagèmes pour me permettre de me stabiliser. Je m’adapte.

Les Secrets du Kayak : S’il y avait des choses que tu aurais fait différemment pendant ta carrière ça serait lesquelles ?

Sébastien Mayer : Peut être faire le choix à un moment de partir de Mulhouse. Aller chercher de l’expérience à l’étranger. C’était les Hongrois qui étaient les plus forts à l’époque, partir un moment chez eux aurait été sympa. Sinon bouger ailleurs en France, non, moi j’avais toute ma famille sur Mulhouse.

Et ouvrir un pôle à l’époque non, il n’y avait pas les infrastructures pour le faire. Aujourd’hui c’est différent. Il y a de quoi faire des stages à Mulhouse avec le club sportif dédié au sport. Il y a un internat pour les sportifs, les établissements scolaires à deux arrêts de tramway, la base de kayak est à 15min en vélo. Il y aurait de quoi faire.

Ce n’est pas toujours évident de parler de soi. Et avec l’âge, à force de dire « à l’époque » c’est là où tu te rends compte que tu vieillis.

La vie et les mentalités évoluent. Soit c’est la guerre sur l’eau soit c’est voir jusqu’où tu peux aller et peu importe le niveau. Il faut savoir se faire plaisir. Et souvent suite à un échec où un événement de vie, je reviens toujours au kayak parce que c’est ce que je sais faire. Et j’espère savoir toujours en faire. C’est une façon de se rassurer aussi.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : René et Gillette Tregaro

Retrouvez tout sur René et Gillette Tregaro dans cet épisode des Secrets du Kayak. Récit incroyable d’un couple pionnier dans le canoë en France. Fondateurs du club de Saint-Grégoire, ils nous racontent 60 ans d’une vie sportive dans le milieu du kayak.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec René et Gillette Tregaro en juillet 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

René Tregaro : Très bien ! J’assiste aujourd’hui à un énième championnat de France, ça fait plus de cinquante championnats que je suis. Les premiers étaient dans les années 1960. Et je ne pense pas que ça ait tellement changé. C’était toujours un peu la même organisation, même s’il y a plus de monde aujourd’hui.

Les Secrets du Kayak : Tu as commencé en quelle année ?

René Tregaro : Le kayak, avec mon épouse. Pas si tôt, dans les années 1960. J’avais fait mes 18 mois de service militaire en Algérie, je ne pouvais donc pas trop pagayer. Dès mon retour je me suis mis à la compétition. Avant le service militaire j’ai fait de la natation, puis j’ai eu peur de prendre du poids, donc je me suis mis à faire de l’entraînement de boxe pendant deux ans.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui a fait que tu as commencé le canoë-kayak ?

René Tregaro : C’est mon épouse qui faisait cela dans le Morbihan. Je l’ai rencontré à côté du kayak, entre jeunes du même âge, on se fréquentait.

Les Secrets du Kayak : Tu avais directement des objectifs de compétitions ?

René Tregaro : Pas vraiment, mais on aimait la course. On faisait les courses régionales, puis petit à petit on est allé sur les rivières en France, puis on a été sélectionné pour les championnats du monde de Bourg-Saint-Maurice. On s’est entraînait à fond avec le DTN de l’époque. La suite a suivi. Mais à cette époque, ce n’était pas compliqué, il n’y avait pas un monde fou à faire du canoë en mixte.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi choisir le canoë et non pas le kayak ?

René Tregaro : Parce que ma femme faisait du canoë et surtout qu’à l’époque le kayak est arrivé que bien des temps après en Bretagne. Nous, c’était des canoës en bois type canadien. On allait descendre les rivières comme ça.

C’était des bateaux de 35-40 kg en bois. Et c’est là qu’on a commencé à découvrir le polyester. Donc on a fabriqué nos bateaux et aux championnats du monde, on a couru avec un bateau qu’on a fabriqué à deux. C’était le début des normes à respecter. Les pagaies étaient en bois. Aujourd’hui, elles sont beaucoup plus véloces.

Les Secrets du Kayak : Tu as surtout fait de la descente, est-ce parce que ton club pratiquait la descente uniquement ?

René Tregaro : Oui, personne ne parlait de la course en ligne à l’époque. Il y a eu les championnats de France de course en ligne en 1964. Nous on était à 20km de là et on ne le savait même pas que ça existait. C’était organisé par la fédération à l’époque. C’est un collègue qui m’en a parlait un jour.

Les Secrets du Kayak : Tu as eu un entraîneur attitré à tes débuts en club ?

René Tregaro : Oui un instituteur du coin fabuleux, Yves Le Bec, avec toute une équipe d’anciens. Ils nous ont entraîné dans une ambiance formidable.

Les Secrets du Kayak : Les sélections étaient plus faciles à l’époque mais existait-il aussi des courses en individuel ?

René Tregaro : On a toujours fait que du C2 mixte. C’est une autre technique, c’est différent du C1.

L’équipier avant doit donner de la vitesse au bateau. L’équipier arrière son rôle se rapproche du C1 mais ça reste différent. Le monoplace était moins stable, c’était des bateaux difficiles. Il y avait des sacrés champions en C1.

Les Secrets du Kayak : Des stages étaient organisés avec ces champions ?

René Tregaro : Oui, la fédération organisait des stages. On se retrouvait sur des rivières dans les Alpes du Sud sur la Durance.

Les Secrets du Kayak : Combien de fois tu t’entraînais au club ?

René Tregaro : A l’époque, trois quatre fois par semaine. Aujourd’hui les gars s’entraînent deux fois par jour. Ça n’a plus rien à voir.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu faisais comme études en parallèle ?

René Tregaro : J’ai fait deux métiers dans ma vie. Le premier, j’étais mécanicien sur machine comptable. Je réparais les ancêtres des ordinateurs. Je faisais les administrations, les PTT, la sécurité sociale. Je devais dépanner les machines. J’avais eu le choix après ma formation d’aller soit en Bretagne soit à Annecy. J’ai choisi Rennes. Les collègues me charriaient en me disant que ça aurait été bien mieux à Annecy. Oui mais je suis breton.

Pendant que je faisais du canoë, on m’a proposé de faire CTR. J’ai dit pourquoi pas mais en Bretagne. Je suis allé en formation à l’INSEP à Paris pendant trois ans. Je suis sorti avec le professorat de sport et je suis devenu CTR.

Nous étions une vingtaine de CTR. On se réunissait une fois par an pour se mettre d’accord sur une politique à suivre. Par exemple, une année il fallait créer des clubs. On avait des outils comme des films pour le faire. On faisait des animations, construire des bateaux le temps d’un week-end. On faisait ça aussi pour faire des pagaies en bois.

Les Secrets du Kayak : Tu as été champion du Monde ?

René Tregaro : Oui en équipe à Bourg-Saint-Maurice. C’était super. Trois bateaux contre trois bateaux. C’est un super bassin d’autant plus. Un des plus beau d’Europe même.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que pour toi, champion du monde est un aboutissement ?

René Tregaro : En tous les cas, ça a été un tournant. Ça a changé ma vie, je suis devenu professionnel du canoë-kayak. Quand j’ai commencé mon travail de CTR, j’ai arrêté de m’entraîner. Mon épouse a eu un enfant, ce qui nous a bien occupé.

Gillette Tregaro : D’avoir notre enfant a été drôle, on a raté une sélection parce que la rivière était froide et j’avais mes problèmes féminins, à cette époque là les protections d’aujourd’hui n’existaient pas. On n’a pas fait ce qu’il fallait.

René avait un examen final à passer donc voilà. Très en forme en avril, en juin je suis enceinte, notre enfant est venu neuf mois après. Mais je ne regrette pas. J’avais 21 ans. Et notre deuxième, c’était huit ans après. Et quand on s’entraîne, on n'est pas très féconde. J’ai arrêté l’entraînement et hop, le bébé est arrivé.

Les Secrets du Kayak : Ça paraît logique que si tu t’entraînes, toute ton énergie va dans l’entraînement, ce qui ne favorise pas la fécondité.

Gillette Tregaro : Et il paraît qu’on fait des filles dans ce cas là. On était les meilleurs français en individuel mais champions du monde seulement en équipe.

La descente demande beaucoup d’énergie, quand tu es épuisé ,tu n’as pas les mêmes réactions que lorsque tu t’entraînes. On manquait d’entraînement pour l’international.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu faisais dans la vie Gillette ?

Gillette Tregaro : Pionne à mi temps puis prof histoire-géo. J’ai failli faire prof de gym, mais je ne regrette pas. Comme ça, on a monté un club et je m’en suis occupé.

Les Secrets du Kayak : Comment s’est passée la création du club ?

René Tregaro : On a changé de club à ce moment là. On habitait à Rennes, Rohan était à 100km. Et le maire nous a fait une réception lorsqu’il a su qu’on était champions du monde. Il nous a proposé de faire un club à St-Grégoire. Oui pourquoi pas ! C’est devenu un beau club aujourd’hui.

Les Secrets du Kayak : Comment vous avez fait pour avoir des adhérents au début ? Grâce à votre titre ?

Gillette Tregaro : C’est la fête qui les a amenés.

René Tregaro : Il y avait une fête nautique où on faisait Rennes VS Saint-Grégoire mais avec n’importe quoi : comme une baignoire, des bateaux construits par les gens, etc. Nous on l’a fait en canoë. Quand on est arrivé on a fait une petite animation avec nos canoës, et on a commencé le club avec les jeunes intéressés.

Gillette Tregaro : On leur a prêté nos bateaux, et René étais CTR. Son travail était de développer les clubs.

René Tregaro : Quand j’ai commencé mon travail de CTR, il devait y avoir 20 clubs en Bretagne. Et quand je suis parti il y en avait 80.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passait à Saint-Grégoire, c’est vous deux qui faisiez les entraînements ?

René Tregaro : Oui.

Gillette Tregaro : Quand il est devenu CTR, il m’a laissé. Je leur apprenais à pagayer. J’ai appris à des jeunes, qui ont eux ensuite ont appris à d’autres jeunes et ainsi de suite.

Les Secrets du Kayak : Le club a tout de suite marché ?

René Tregaro : Oui. On allait sur les petites courses et nos jeunes se faisaient remarquer de suite.

Gillette Tregaro : Un jour on avait lancé un défi à des C10, des étudiants STAPS, et on était avec nos cadets. Un adulte devant, un derrière. Le départ des autres était cool. Nous on était sur un bon rythme pour lancer la machine, et une fois qu’on était devant, à chaque fois qu’on les sentait remonter, on remettait de la cadence. Les enfants étaient ravis d’avoir battu les grands. Nos jeunes avaient l’esprit de compétition.

Les Secrets du Kayak : Vous veniez de la descente, mais aujourd’hui à Saint-Grégoire il y a beaucoup de course en ligne. Comment s’est faite la transition ?

René Tregaro : Ça s’est fait petit à petit. Notre site ne se prête pas à d’autres activités. Ni le slalom ou la descente. Naturellement, les bateaux de course en ligne sont arrivés et nos jeunes sont allés là où ils étaient forts.

Gillette Tregaro : Ils ont quand même été champions de France de canoë par équipe. Le club a gagné une année la coupe de France d’eau-vive, et de slalom et la descente.

Les Secrets du Kayak : Comment on s’entraîne pour de l’eau-vive quand on est sur un canal ?

René Tregaro : On allait sur des rivières, mais c’était insuffisant.

Gillette Tregaro : On se déplaçait beaucoup !

Les Secrets du Kayak : Vous avez fait un peu de kayak pour former les jeunes ?

René Tregaro : Quand j’ai été formé à l’INSEP, je me suis mis au kayak. C’était un peu obligatoire. J’ai appris la technique pour la transmettre à d’autres. J’ai été entraîneur de l’équipe de France de kayak, en descente pendant cinq ans. J’étais entraîneur adjoint du kayak de descente. J’ai eu des gens comme Claude Benezit, j’ai eu le père Estanguet. Je faisais leur planification, je surveillais leur technique.

Gillette Tregaro : On organisait des chronos intermédiaires.

René Tregaro : Moi, je ne donnais pas des conseils à des champions du monde, mais j’étais bon pour les mettre en condition de course.

Les Secrets du Kayak : Vous avez fait un peu de course en ligne sur le bassin de Saint Grégoire ?

René Tregaro : Oui j’ai essayé. On faisait un aller retour à Rennes, donc ça faisait faire 10km. C’est un canal magnifique.

Gillette Tregaro : Le canal est très étroit, tu ne peux mettre que trois bateaux maximum. L’ambiance y est extraordinaire, c’est très vert.

Les Secrets du Kayak : Comment s’est passée la suite du club, tu es CTR en même temps ?

René Tregaro : Oui. On s’est entraîné jusqu’au bout. Aujourd’hui c’est fini, il y a trois personnes qui s’occupent du club, avec deux entraîneurs. On a environ 220 personnes au club.

Gillette Tregaro : Yann était un élève avant d’être entraîneur au club. C’est vraiment familial. Pendant que les enfants naviguaient, les mamans faisaient leur footing. On a une quantité de famille qui pratiquent.

René Tregaro : En gros, il y a un classement club de course en ligne, de vitesse. Nous on est troisième, on est un club correct pour un petit budget, mais on a beaucoup de bénévoles.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe pour avoir du budget pour faire tourner un club ?

René Tregaro : On avait des sponsors privés, tu as la commune qui aide bien. Ensuite, tu as des aides par le département et la région. En général, tu fais l’année comme cela.

Gillette Tregaro : Le département est en train de bouder en ce moment. Ils ont de plus en plus de charges sur d’autres budgets, au détriment des aides qu’on avait avant.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que les cotisations peuvent suffire pour faire tourner le club ?

René Tregaro : Non.

Gillette Tregaro : Non, on ne veut pas de cotisations élevées. La cotisation coûte 180€. On veut que tout le monde puisse venir sans problème d’argent. On préfère se faire appuyer par notre réseau pour trouver des sponsors, que d’augmenter nos prix.

René Tregaro : Pour l’exemple, un jour on se fait faire offrir une bière par le tenant du bar. Le gars nous dit vouloir aider le club. Donc pour une bière, on a eu 3000€ d’aide pour l’année.

Gillette Tregaro : On bénéficie d’une aura, on est des éducateurs, c’est notre image qui leur plaît. Ce n’est pas du pur business, ils nous rendent service, nous font notre pub auprès des parents. Ça nous met un peu la pression parfois.

Les Secrets du Kayak : C’était voulu d’ouvrir un club familial ?

René Tregaro : Oui, c’est notre manière d’être. Très famille.

Gillette Tregaro : Nos origines sont vraiment familiales, le canoë pour nous c’est la famille.

Les Secrets du Kayak : Vous auriez pensé que le club durerait plus de 50 ans ?

René Tregaro : On n’avait pas pensé à ça. Il est encore plus vivant qu’il y a 50 ans.

Gillette Tregaro : Ce qui a aidé au développement, c’est le fait qu’on ait eu des jeunes athlètes de haut niveau. Au départ on n’aimait pas trop, comme ils n’étaient pas formés chez nous, on pensait qu’ils n’avaient pas la même mentalité. On est tombé sur des gens bien. C’est par les équipages qu’on a développé notre club, et c’est comme cela qu’on a eu nos sponsors.

René Tregaro : On a eu deux athlètes sélectionnés pour les JO de Pékin. L’année d’avant, j’avais été voir un promoteur immobilier pour nous aider.

Les Secrets du Kayak : Comment on fait pour attirer les jeunes ? Tu avais des techniques quand tu as ouvert les clubs ?

René Tregaro : Pour attirer les jeunes, je regardais si un site s’y prêtait. A cet endroit là, j’essayais de démarcher les groupements de jeunes pour développer l’activité kayak. J’y allais avec une remorque avec 10 kayaks et on faisait une démonstration. Il y avait des tas de jeunes qui venaient essayer.

Gillette Tregaro : La jeunesse et sport nous aidait en prêtant des bateaux pour les jeunes aux associations qui se créaient. En ce moment le budget diminue de façon catastrophique pour les comités.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui ça marche encore d’attirer les jeunes de cette façon ? Aujourd’hui comment viennent les jeunes à Saint-Grégoire ?

René Tregaro : L’école a des créneaux. Ils viennent avec leur prof, et beaucoup restent chez nous.

Gillette Tregaro : Avec les portes ouvertes aussi, on leur demande de venir avec un copain ou une copine. C’est difficile d’avoir des filles. A Saint-Grégoire les jeunes sont très gâtés. Il existe beaucoup d’associations sportives. Il y a une concurrence entre nous. Nous les enfants doivent aimer l’eau. On a un joli club, propre, et c’est un atout.

Les Secrets du Kayak : Comment fait-on pour fidéliser les gens ?

Gillette Tregaro : Nous aussi, on connaît un turn-over. Mais pas tant que cela, on est polyvalent. On peut les amener en haut niveau en course en ligne, en polo et en mer.

René Tregaro : On a différents groupes. Tous les mois, une sortie est organisée, les sorties clubs sont très appréciées. Dans les années 1990, on a eu la chance d’aller à Tahiti, donc j’ai découvert la pirogue. En France, j’ai construit une pirogue à 6 places. On en fait souvent.

Gillette Tregaro : Et il y a des compétitions de pirogues qui se font en même temps que la compétition d’Ocean Racing. Quand on part en pirogue, et notamment en mer, il est important de respecter son bordé. Pour être efficace en cas de contrainte difficile.

René Tregaro : J’ai construis plusieurs pirogues, on démoulait les pièces pour les assembler. On faisait ça avec des étudiants de l’école d’architecture de Paris la Villette.

Gillette Tregaro : Tu m’as demandé comment on fait pour développer un club ? Quand on en est arrivé à faire nos bateaux. C’est le Général de Gaulle qui a développé la Jeunesse et Sport. L’État payait les bateaux, les cadres, et pour les bâtiments c’était les communes.

René Tregaro : C’est après 1964 que la Fédération s’est développée, le DTN de l’époque a eu pour mission de créer les CAPS. C’était des clubs à part pour donner du matériel, un cadre, la fédération le matériel, et la ville mettait à disposition un bâtiment.

Gillette Tregaro : René a eu des collègues extras qui se sont lancés dans l’encadrement.

Les Secrets du Kayak : Vous ne vous êtes jamais lassé du kayak ?

René Tregaro : Tu remarqueras que je connais beaucoup de monde. Mais ça fait plus de 50 ans que je fais les championnats de France.

Gillette Tregaro : Je suis la plus vieille pratiquante de kayak, j’ai commencé à 13 ans.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi avoir transmis le club, et pourquoi ne pas continuer ?

Gillette Tregaro : Au début, c’était facile de tenir le club. On n’a jamais été surbooké. On avait eu des aides, avec des cadres payés par l’état pour nous aider. Heureusement, autrement on n’aurait jamais pu tenir.

René Tregaro : On avait un cadre par département, un cadre de jeunesse et sport. Avec cette équipe, ça a permis de lancer la ligue. On a créé une vie importante qui vit encore aujourd’hui. Maya a fait un livre remarquable sur la vie du club, ça retrace toute l’histoire du club.

Gillette Tregaro : Elle a fait un reportage par année en retrouvant des choses importantes qui se sont passées.

Les Secrets du Kayak : Il existait des magazines de canoë-kayak à l’époque ?

René Tregaro : Il y avait La Rivière, qui décryptait les rivières de France.

Gillette Tregaro : Il n’existe plus. C’est grâce à cet ouvrage qu’on a découvert plein d’endroits pour emmener les jeunes.

Les Secrets du Kayak : Comment tu as commencé le canoë Gillette ?

Gillette Tregaro : C’est mon instituteur, et avec des amis on a créé une association. J’ai essayé et ça m’a plu de suite.

René Tregaro : C’était une association qui s’occupait de tout le département. On a eu parfois jusqu’à 500 coureurs sur le départ de course. 500 bateaux. Aujourd’hui, on en a à peine 100.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi ça a diminué à ton avis ?

Gillette Tregaro : J’ai été à la commission descente de la fédération, je peux t’en parler. Avant, la descente était ouverte à tout le monde. Et là ils ont supprimé les monoplaces. Il y avait pour les cadets des monotypes obligatoires pour eux faire court. Un peu comme des CAPS. On pouvait fabriquer des moules, c’était facile et pas cher. Tu pouvais avoir un bateau pour presque rien. Tu ne peux pas créer un club si tu n’as pas de matériel. Notre idée était de pouvoir créer des bateaux.

René Tregaro : Pas mal de fois, j’ai fabriqué un bateau avec les clubs pour leur apprendre à le faire. Et quand je partais le dimanche soir, on démoulait le bateau et je leur laissais, c’était leur premier bateau. Tous les gars étaient là et voulaient fabriquer leur bateau.

Gillette Tregaro : Le déclin a commencé par le slalom, les athlètes avaient des beaux bateaux bien chers, et ils voulaient les revendre. Les cadets étaient une clientèle intéressante. Le monotype a été abandonné. Idem pour la descente ensuite. Moralité, les bateaux sont trop chers. On a essayé de faire intervenir la fédération, mais je n’ai pas eu la majorité. C’est trop cher la descente. Entre le bateau que tu casses et les déplacements...

Les Secrets du Kayak : Mais les déplacements se faisaient à la bonne franquette ?

Gillette Tregaro : Oui, mais c’est de suite loin. C’était dur de trouver des endroits pour faire des sélectifs assez prêts pour tout le monde. Après les gens se sont lassés, trop d’individualisme. Et pour un club ça coûte très cher la descente.

René Tregaro : Moi je reconnais aimer beaucoup la course en ligne, pour l’ambiance, son côté moins aléatoire en comparaison au slalom. Quand tu es le meilleur, tu gagnes. Nous notre club est sur le bord d’un canal, ça correspond mieux à notre emplacement.

Gillette Tregaro : Yann cherche quand même à les changer régulièrement de site d’entraînement. Pour découvrir d’autres sites, d’autres techniques. On a une animation régionale et départementale remarquable. Et également pour les tout petits. On a une politique qui cherche à garder les enfants au club.

René Tregaro : On les emmène faire du slalom, de la descente, pour savoir tout faire.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui vous êtes toujours investis dans le club ?

Gillette Tregaro : Oui l’esprit de Saint-Grégoire tu le retrouveras toujours et dans d’autres clubs, c’est l’esprit de la Bretagne. Les bretons ont quelque chose de particulier, on aime la vie associative. Il y a beaucoup d’associations, et on est content de se retrouver même si on est concurrents.

René Tregaro : Le secret de la réussite, c’est l’équipe d’encadrement de copains qu’on était.

Gillette Tregaro : A un moment, tous les bénévoles étaient partis ils en avaient marre. On a créé avec d’autres personnes un bureau et petit à petit on a trouvé des bénévoles qui sont toujours bénévoles aujourd’hui.

Les Secrets du Kayak : Vos enfants ont fait du canoë-kayak ?

René Tregaro : Ils en ont fait. Surtout la grande qui a été CTR, la petite beaucoup moins.

Gillette Tregaro : Elle n’aimait ni perdre, ni s’entraîner. On n’avait pas une vie de famille banale.

Les Secrets du Kayak : Les petits enfants font du canoë-kayak ?

René Tregaro : Ils voudraient en faire, mais ils n’ont pas eu la chance de tomber dans une ville permettant de proposer les infrastructures nécessaires.

Gillette Tregaro : Ce n’est pas facile de gérer des petits. Mais quand tu as des poussins, des benjamins, parfois tu peux recruter les parents.

Voilà l’histoire de la famille Tregaro. On a reçu bien plus que ce qu’on a donné. On ne regrette pas le temps passé pour cela. On est heureux. C’est plus qu’un club, c’est une famille.

Vous pouvez contacter René et Gillette Trégaro via le site du club de Saint Grégoire.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : François During

Retrouvez tout sur François During dans cet épisode des Secrets du Kayak. Il nous raconte d’abord sa carrière d’athlète de haut niveau, puis son orientation vers l’entrainement et l’encadrement au sein de la fédération.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec François During en juillet 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

François During : Ça va super bien, on est aux Championnats de France et il fait beau. Tout se passe bien.

Les Secrets du Kayak : C’est un plaisir de t’avoir sur le podcast, ça fait longtemps que je voulais avoir l’entraîneur qui a le plus long temps de carrière. Qu’est-ce qui fait cette longévité ? Tu as toujours ce feu sacré en toi ?

François During : C’est un métier que j’ai toujours voulu faire et j’ai commencé tôt en 1997 à Créteil. Ensuite j’ai enchaîné avec le Bataillon-de-Joinville. Une expérience intéressante avec des athlètes des trois disciplines, course en ligne, slalom et descente. Puis j’ai passé le concours de professorat de sport, la meilleure solution pour être rémunéré correctement, je l’ai eu en 2001.

J’ai fait trois ans CTR en Île-de-France. Mes missions étaient plus ponctuelles, basées sur la détection des jeunes et des minimes notamment par les régates de l’espoir. Il fallait amener une ou deux équipes à cet événement.

En septembre 2004, je suis passé entraîneur national, et je suis content tous les matins de me lever pour ce métier.

Les Secrets du Kayak : Le Bataillon-de-Joinville était réservé aux élites ?

François During : A l’époque il y avait le service militaire obligatoire, tous les jeunes devaient passer par là ou postuler au Bataillon-de-Joinville. Il n'y avait que peu de militaires. Le temps là-bas était dédié à l’entraînement et aux compétitions.

C’est une expérience qui m’a enrichi, se poser des questions pour accompagner des athlètes d’autant plus dans des disciplines dans lesquelles je n’étais pas spécialiste.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu découvert le kayak ?

François During : Un peu par hasard avec l’UNSS en sixième. Je voulais m’inscrire en UNSS aviron, mais comme je faisais du foot et du judo, l’UNSS aviron c’était en même temps que le foot. Je n’étais pas prêt à arrêter le foot. Mes copains y sont allés, et du coup je suis parti sur le kayak.

J’ai fait un an comme ça et l’année suivante je me suis inscrit au club. J’étais dans le plus vieux club de France. C’était un club de course en ligne qui aujourd’hui s’est converti au slalom. La pratique y était polyvalente en phase d’initiation. On faisait des combinés descente-slalom. Mais je me suis vite mis à la course en ligne pour la confrontation.

Les Secrets du Kayak : Tu avais des objectifs de compétition en t’inscrivant au club ?

François During : Enfant, oui je voulais tout le temps faire de la compétition ou une course. Au départ c’est un sport individuel, j’ai commencé en monoplace en CAPS. On faisait des courses de 300m ou de 2km pour le fond. Je ne supportais pas de faire quatrième par exemple.

Les Secrets du Kayak : Comment tu t’entraînais à l’époque ?

François During : On s’entraînait le mercredi samedi et dimanche. On partait à trois ou quatre et on faisait dix kilomètres. On faisait des petites bourres, des petites accélérations, on se cherchait un peu.

Les Secrets du Kayak : Tu avais quitté ton groupe de copains pour faire du kayak, tu t’es fait de nouveaux copains ?

François During : Oui j’ai trouvé une très bonne ambiance au club. Après minime, j’ai du changer de club pour poursuivre en compétition. Donc je suis allé à Mantes-la-Jolie. Pour faire de l’équipage avec le meilleur junior et cadet de l’époque, on a fait un équipage qui a bien marché. On a fait plusieurs titres de champion de France.

Je me suis entraîné à Champigny puis Créteil et j’y suis resté depuis 1991.

Les Secrets du Kayak : Quand tu fais des places aux championnats de France, est-ce que tu te vois champion du monde ou olympique ?

François During : Non. Dans les jeunes années, je ne voyais que la compétition suivante. Pour donner l’exemple, si j’ai arrêté le judo c’est parce que mon club ne faisait pas beaucoup de compétitions. Je voulais faire des résultats et ça s’est fait dans le kayak.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu fonctionnais bien en monoplace ?

François During : En minime oui, en cadet jusqu’à ce que je parte en terminale (junior 2) j’étais dans la finale A, mais je ne m’entraînais pas assez pour faire un podium.

Ça marchait bien en équipage aussi parce que mon équipier était champion de France. Ça m’a donné envie de m’entraîner plus, je suis donc parti en sport étude, il a fallu convaincre les parents.

Le sport étude était à Caen, il fallait être interne. Au début je rentrais les week-end, et puis ensuite ce n’était que pendant les vacances.

Les Secrets du Kayak : Comment se passait les entraînements en sport étude ? C‘était deux fois par jour en moyenne ?

François During : Oui. Bateau une fois par jour du lundi au vendredi, deux midis où on faisait de la natation, des soirs c’était footing/musculation.

Les Secrets du Kayak : Tu étais davantage sprinter ou bon dans le fond ? Tu faisais tout ce qui était footing aérobie ? Tu y trouvais du plaisir ?

François During : Oui je faisais même du cross au collège. Je n’étais pas mauvais en endurance. Je faisais vice champion de France en K1 sur le 5000m en junior 2. J’ai toujours eu plus d’affinité sur le sprint, mais mon niveau d’endurance était correct. Je suis d’une génération où l'entraînement était à base d’aérobie. De temps en temps, il y avait de la vitesse.

Les distances olympiques de l’époque, c’était le 500m et le 1000m. Sur un 500m, 50% de l’énergie est fournie par le système aérobie. Donc si tu le négliges tu ne peux pas concourir. Le 200m est arrivé dans les années 90. Il n’y avait pas de sélection spécifique pour le 200m. Donc j ‘étais dans les meilleurs français. Quand Olivier Lasak a arrêté, j’étais devenu le meilleur.

Mais moi, j’étais focus sur le 500m, le 1000m ce n’était pas mon truc. J’ai fait des médailles en monoplace.

Les Secrets du Kayak : Quand tu fais sport étude, tu fais quelles études en parallèle ?

François During : Je faisais un Bac C. Je ne savais pas si je partais en maths sup. Je voulais être soit prof d’EPS ou pilote de ligne. Au final, je suis prof de sport. J’avoue que le sport étude étais très concentré sur le sport. Donc impossible de faire maths sup. Je suis parti en STAPS à l’Insep.

Les Secrets du Kayak : Quand tu rentres à l’Insep, c’est vraiment pour devenir sportif de haut niveau ?

François During : A la fin de la terminale, j’ai été sélectionné en équipe junior pour les championnats du monde junior en 1991. On avait fait finaliste en K4, en K2 j’étais avec Yann Robert. On avait du faire dixième. Ce sont des expériences qui m’ont donné envie de poursuivre en senior.

Au bout d‘un an de sport étude, je me suis rapproché voir j’ai dépassé les athlètes que je pensais ne pas pouvoir battre.

J’ai connu l’ouverture du pôle de Vaires-sur-Marne. Avant ça on s’entraînait sur la Marne, sur un ponton tout près. Et pour faire du bassin on allait à Choisy-le-Roi.

A l’issue des championnats du Monde senior en 1991, on était livré à nous même, il n’y avait pas encore d’entraîneurs à l’époque. On s’entraînait tous ensemble, il y avait une bonne émulation. On était motivé mais on ne faisait pas tout bien. On avait la volonté. On faisait des études pour comprendre ce que l’on faisait.

Dès que j’ai pu j’ai passé les diplômes fédéraux d’initiateur, de moniteur fédéral, j’avais rapidement intégré l’équipe fédérale régionale en tant qu’athlète. Ça me formait avec le CTR comme du compagnonnage. J’avais les bases pour construire un programme.

Les Secrets du Kayak : Tu cherchais à améliorer tes connaissances pour toi, ou tu avais déjà l’idée de vouloir transmettre tes connaissances ?

François During : Je pense qu’entraîner me plaisait déjà, c’était contraignant mais c’était sur des périodes ciblées, ça me faisait plaisir. C’était compatible pour pouvoir m’entraîner. Ça a enrichi mes compétences, et ça a contribué au projet ensuite de devenir entraîneur.

Les Secrets du Kayak : Tu rentres de suite en senior après tes années junior ?

François During : Il n’y avait pas d’équipe U23 mais une équipe B. En senior 1 j’étais presque en équipe B, en 1993 j’ai fait une hépatite A donc j’ai fait une saison blanche. Mon équipier lui s’est sélectionné en senior pendant ce laps de temps. On avait le même niveau à l’entraînement, donc je pense que j’avais mes chances.

L’année suivante ça m’a juste permis de me sélectionner pour l’équipe B puisque je n’étais plus dans les listes. Dès 1993, on a eu un entraîneur à plein temps. J’ai beaucoup progressé. Il nous fallait un entraîneur de toute façon. Tout seul, on est limité.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu rentres en équipe A ?

François During : En 1995, en K4 pour les championnats du Monde. On va faire une finale sur le 200m. C’était les mondiaux pour les JO d’Atlanta. On s’est fait sortir en demi-finale.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as vécu un changement dans l’entraînement avec l’arrivée de Kersten Neuman ?

François During : En 1996, j’étais remplaçant. J’avais fait ma médaille en coupe du Monde, ça m’avait motivé pour aller jusqu’en 2000. Mais en 1997 avec son arrivée et d’autres raisons, je me suis retrouvé recalé en équipe de France, je me suis arrêté là, et j’ai travaillé à plein temps dans mon club.

J’ai continué à m’entraîner et performer mais seul de mon côté. Le projet de haut niveau s’est malheureusement arrêté de façon pas très réfléchis en fin de compte. J’ai manqué d’accompagnement à cette époque là. Je n’avais pas adhéré à tout ce qui avait été proposé. Je ne peux pas dire que j’ai des regrets mais aujourd’hui quand mes athlètes envisagent d’arrêter, j’essaie de prendre un temps pour les questionner pour être certain que c’est ce qu’ils veulent au fond d’eux.

Le but est de les accompagner au mieux en fonction de nos moyens. Un entraîneur doit savoir se positionner et communiquer avec son athlète, être sur que derrière son choix ce ne soit pas le vide. Un coach doit savoir gérer le mental de son athlète, il est un peu le chef d’orchestre du projet de l’athlète. C’est important d’avoir touché un peu à tout, de parler avec des spécialistes, et pouvoir intervenir à tout moment et surtout dans les moments critiques.

Je suis assez curieux, j’ai bâti ma façon de travailler sur une base scientifique, les formations pour rester à jour. Connaître les dernières évolutions. J’ai toujours apprécié d’être basé sur l’INSEP pour cela. Si tu occultes le jargon, d’un sport à l’autre la base de l’entraînement du kayak reste la même que pour les autres sports. Pour faire tout cela, j’ai fait ce que toi tu fais, des interviews d’autres collègues.

Les Secrets du Kayak : Tu expliquais être doué pour les efforts de sprint, on sait qu’il y a quelque chose d’innée dans la vitesse mais pas que. Mais comment on fait pour performer sur du sprint et donc un 200m ?

François During : La part génétique est dans les fibres musculaires. On peut la développer et faire en sorte que ce soit très performant. Mais en kayak il y a aussi une part technique. Tu n’es pas obligé pour être un bon sprinteur de dépendre de la génétique. Ça va aider. Mais la technique s’apprend. Donc on peut avoir des progrès intéressants sans être de base un spécialiste.

Je me suis aperçu que le 200m, c’est surtout un sprint long, il y a plus de trente pourcent de l’énergie qui est fournie par le système aérobie. Ce qui est certain c’est qu’il ne faut pas oublié la technique, et ça s’apprend en pagayant. Il faut faire de la longue distance pour cela.

A l’époque, j’avais un bon rapport poids-puissance pour y arriver. Tu peux faire de la musculation si elle se transfert dans la pagaie. Si cela ne permet pas d’être plus puissant en kayak, ça ne sert à rien.

Du coup, j’ai remis beaucoup de séances de frein avec de gros freins. J’ai remis au goût du jour des séances de kayak avec des élastiques pour travailler le gainage. La musculation avec des séances lestées, et des séances à cadence basse pour avoir un coup de pagaie à chaque coup.

Les Secrets du Kayak : Souvent dans les ouvrages que j’ai lu sur le sujet, il est mentionné que la vitesse à une grosse part de génétique. Mais qu’une fois qu’on a la force et la vitesse c’est plus facile de développer l’aérobie. Est-ce que tu le confirmes ?

François During : Il y a aussi l’âge d’or auquel les qualités se développent. En junior, c’est un bon moment pour travailler sa VO2. Pour moi maintenir un fond d’aérobie est obligatoire, notamment pour la technique. La technique efficace va se développer dans les séances longues. La cadence basse fait ressortir les défauts à travailler. On est plus dans la physio pure. Sur les séances longues, le corps va s’organiser pour trouver de l’économie. Chaque appui dans l’eau va se transmettre pour faire avancer le bateau.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que quelqu’un qui a plutôt 25-30 ans peut développer son aérobie ?

François During : Oui en vieillissant, c’est la filière qui va être préférée par ces personnes. Dès lors qu’on s’entraîne, on va voir des progrès. Mais pour atteindre le haut niveau il faut avoir des qualités développées à l’âge où elles se développent le mieux.

Les Secrets du Kayak : De ton expérience, si on fait beaucoup d’aérobie, est-ce que ça peut aussi être un frein pour certaines personnes qui visent de faire de la vitesse ?

François During : Les fibres qui peuvent basculer dans l’endurance sont les fibres intermédiaires, mais les fibres pures sprint, elles ne vont pas se modifier. Or aujourd’hui beaucoup d’études montrent qu’un entraînement aérobie couplé à un entraînement de développement de la force ne nuit pas au développement de cette force. Il faut pouvoir synchroniser les choses efficacement.

Les Secrets du Kayak : Comment es-tu arrivé entraîneur de sprint des équipes de France ?

François During : J’avais mon expérience de club et du bataillon de Joinville, en tant que CTR, je restais au contact des jeunes et j’intervenais en équipe de soutien sur les équipes de France. J’ai pu collaborer avec Kersten Neuman et discuter avec lui et mieux comprendre et adhérer à sa méthode en tant qu’entraîneur. J’ai fait parti de ceux qui ont aidé à mettre en place sa méthode.

Ensuite, il y a eu lors des JO d’Athènes, Antoine Goetschy et son équipe qui ont décidé de faire une refonte du dispositif d’accès à la Fédération. Ils ont mis en place la filière d’accès au haut niveau avec des pôles France multi-disciplines, inspiré du Bataillon de Joinville. Il a remis tout à plat. Ils ont fait re-postuler tout le monde, c’est à ce moment que j’ai intégré le pôle France de Vaires.

J’étais entraîneur des moins de 23 ans. J’entraînais des gens comme Philippe Colin, qui est mon collègue aujourd’hui. J’ai intégré les senior dès 2007 en tant qu’entraîneur élite.

Je suis spécialisé sur les hommes principalement. On accompagnait des bateaux, que ce soit des kayaks hommes ou canoës hommes. J’ai aussi pu accompagner ma femme Anne-Laure Viard. Je ne la suivais que sur le quotidien, et c’est Jean-Pascal Crochet qui la suivait en compétition.

Les Secrets du Kayak : Cela fait quinze ans que tu es entraîneur, est-ce que tu peux encore évoluer professionnellement ?

François During : Aujourd’hui, je ne suis plus entraîneur sur le quotidien, dans mes missions j’entraîne les entraîneurs, je les accompagne. Je suis directeur de la performance adjoint de Rémi Gaspard pour la course en ligne.

Les entraîneurs sont chefs de projet et doivent mettre en œuvre leur projet sur lequel ils ont été recrutés. Moi je suis là pour coordonner les quatre entraîneurs senior. Je coordonne et accompagne les entraîneurs. C’est différent que d’accompagner les athlètes.

J’essaie de suivre une fois par jour une séance mais avec l’entraîneur, je ne fais mes retours qu’à l’entraîneur, il gère son athlète.

C’est certain que le contact avec l’athlète me manque mais c’est une évolution, c’est une page qui se tourne. Je suis concentré sur ma mission pour la réaliser du mieux possible. Je ne me projette pas sur la suite.

Les Secrets du Kayak : Pour mieux performer, quel serait le conseil que tu donnerais à ton ancien toi ?

François During : Je pense que je me dirais qu’il faudrait que je structure mieux les choses et que je prenne le temps pour construire et réfléchir le chemin que je voulais prendre. J’étais trop dans la réaction que dans la construction à long terme.

Vous pouvez retrouver Francois During sur son compte Instagram.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Quentin Bonnetain

Retrouvez tout sur Quentin Bonnetain dans cet épisode des Secrets du Kayak. Il nous raconte sa carrière d’athlète de haut niveau en kayak de descente, mais aussi ses ambitions en course en ligne.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Quentin Bonnetain en juillet 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Quentin Bonnetain : Salut Rudy, ça va au top.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu t’entraînes après ces championnats du monde victorieux ?

Quentin Bonnetain : En ce moment non, c’est le temps du repos et des vacances, même si j’ai du mal à ne pas toucher la pagaie.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu commencer le kayak ?

Quentin Bonnetain : Je suis ardéchois, je viens des Gorges de l’Ardèche, mon père était entraîneur national de descente de kayak. J’ai toujours été entouré de champions en kayak et entouré de rivières. Mon père a entraîné entre autre Antoine Goetschy et Sabine Kleinhenz.

Je me suis inscrit dès que j’en ai eu l’âge, mais dès mon plus jeune âge j’ai fait du kayak. J’ai fait beaucoup de slalom, ensuite de la descente. En minime cadet, il fallait savoir faire les deux. Mais je préférais le slalom. En cadet et junior j’ai fait davantage de compétitions, et j’ai privilégié la descente, j’y ai pris goût.

La course en ligne était inconnue pour moi, je devais avoir 18 ans la première fois que j’ai vu un kayak de course en ligne. Petit on préférait naviguer en rivière naturelle, faire des stops, jouer avec les vagues. L’exercice était complet et intéressant. On faisait des descente slalomées.

Quand je me suis spécialisé en descente je faisais pareil, mais je remontais le tout en bateau, donc pas de navette à faire. C’était génial pour apprendre à lire la rivière, tu jouais avec le courant.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que les compétitions sont arrivées rapidement pour toi ?

Quentin Bonnetain : Elles sont arrivées en cadet 1 pour mon premier championnat de France, et ensuite en cadet 2 je me suis préparé pour faire les courses. Pour moi l’objectif du kayak c’était d’être avec les copains. Je faisais de l’équitation, du foot et du karaté l’hiver quand il faisait trop froid pour aller sur l’eau.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui a changé dans ton entraînement entre cadet 1 et cadet 2 ?

Quentin Bonnetain : En cadet 1 je fais les championnats de France, je fais vingtième. J’avais comme voisin Sabine et Vincent Olla. J’avais demandé s’ils pouvaient m’entraîner. Vincent habitait à 200m de chez moi, pour moi c’était un monument du kayak. Il a accepté. Il m’a expliqué les bases, les séries à faire, la puissance et la capacité aérobie…

J’avais un parcours de référence sur lequel je gagnais du temps progressivement. Il m’a fait mon programme de 2005 à 2009. C’était les entraînements de haut niveau qui commençaient. Vincent adorait transmettre sa passion. C’était vraiment que le programme qui était vu. Il ne montait jamais avec moi sur l’eau.

Pour le côté technique 2015-2016, je suis à Vallon puis je pars à Aubenas, en 2006 il y a Maxime Clérin qui débarque comme entraîneur.

Il est décidé que Vincent continue de faire mon programme et que Maxime s’occupe de la technique. J’avais les yeux qui pétillaient avec eux deux. Ils m’ont beaucoup apporté. En 2007, je fais mon premier championnat du monde junior, que je gagne.

C’est en 2006 que je continue à faire pas mal de slalom. Je gagne les championnats d’Europe. Je fais plein d’erreurs techniques avec des pénalités mais je vais vite sur l’eau. J’ai préférais la descente, pas de portes à passer qui remettent en cause le classement.

A mes yeux, petit, il valait mieux être champion du monde que champion olympique. Je pense que c’est aussi d’avoir vu de grands descendeurs à la maison qui m’ont inspiré. Mais ça me faisait rêver un peu le côté olympique. Mais pour moi c’était associé au slalom et je préférais la descente. Je ne m’y identifiais pas, même si j’étais le plus heureux du monde quand Benoit Peschier a gagné en 2004.

Les Secrets du Kayak : Quel est le centre d’entraînement auquel tu fais référence ?

Quentin Bonnetain : C’est un centre en Ardèche. Le comité départemental a mis un centre d’entraînement pour les jeunes ardéchois qui venaient au lycée à Aubenas, et qui voulaient s’entraîner plutôt que devoir partir loin sur d’autres structures.

Il y avait un entraîneur qui venait nous chercher quand on n’avait pas cours, pour nous faire des séances. C’est une chance énorme ce centre. C’est un genre de sport étude sur place, mais sans aménagement de cours avec le lycée.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu mets en place un entraînement annexe en plus des séances de Vincent ?

Quentin Bonnetain : Oui. Je faisais deux-trois fois du bateau dans la semaine, et ensuite avec Vincent on a mis de la PPG et de la musculation. Pour le bateau il y avait de l’aérobie et une séance de puissance d’aérobie. Il y avait deux musculations par semaine. Je ne faisais que de la force endurance. Il m’avait expliqué le schéma de la pyramide, la FE était la base avant de faire de la puissance, avant de faire de la force. La force est arrivée vers Junior.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu ressentais un manque de force sur l’eau de faire essentiellement de la Force Endurance ?

Quentin Bonnetain : Non, je ne sais pas vraiment. Mon objectif en descente était d’être fort en classique donc sur du long. La force et l’explosivité je les retrouvais sur des séances de sprint, vitesse ou de frein. J’avais entièrement confiance en Vincent. Il ne me semble pas avoir manqué de force.

Les Secrets du Kayak : Une fois que tu es champion du monde junior, l’objectif suivant est d’être champion du monde senior ?

Quentin Bonnetain : Oui, je suis dans cette dynamique. En 2007 je gagne, je suis encore au lycée, j’ai mon Bac, je veux partir en licence STAPS à Toulouse sauf que je n’en n’ai pas le droit par rapport au découpage territorial de la fédération de kayak...

Je suis dans le bloc de l’Est donc je dois partir à Nancy. Moi je décide de partir à Lyon, je me retrouve seul mais il y avait un des meilleurs descendeurs senior. J’y reste deux ans. Je garde la dynamique de vouloir aller aussi vite qu’un senior.

Mais à Lyon je me blesse avec une fracture de fatigue, je fais une pause de six mois donc je ne fais pas les sélections équipe de France senior. Je me remets en question et après ça va mieux. J’arrive à partir à Toulouse. Je découvre Fred comme entraîneur.

Les Secrets du Kayak : Tu te blesses, mais tu fais des études en parallèle ?

Quentin Bonnetain : Je suis en Staps, je fais ma licence, tout mon monde ne s’écroula pas avec la blessure. Je découvre les bons aspects du suivi médical, kiné …. Puis je vois une sophrologue pour travailler la visualisation de l’entraînement. Je pense que j’ai trouvé des nouvelles choses pour progresser pendant ce laps de temps.

J’ai quand même pu faire des podiums chez les senior pour les championnats de France. J’étais content de jouer avec les meilleurs français ce qui était de bon augure.

Les Secrets du Kayak : Il y avait un gros groupe d’athlètes à Toulouse en descente ?

Quentin Bonnetain : Oui, en descente et en course en ligne. Le groupe était conséquent, il y avait une super dynamique. On était en coloc entre nous, une coloc de sportifs de tous horizons de kayak. Le fait de partager, d’échanger, faire les séances ensemble, c’était une très grande chance.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu fais un peu plus de course en ligne à leur contact ?

Quentin Bonnetain : Quand j’arrive à Toulouse de septembre à janvier, on ne fait que de la course en ligne. Navigation en groupe, prise de vague... on faisait deux séances par semaine de descente plus spécifiques. Dès janvier, on ne faisait que de la descente. C’était bien, on avait une mixité et on changeait de discipline. J’aimais bien cette façon de faire.

En course en ligne au début, ce n’était pas facile à suivre. Ça allait très vite, mais quand tu es dans la vague c’était plus facile.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que sur le passage descente course en ligne, tu n’as pas eu de problème de stabilité ou autre ?

Quentin Bonnetain : Au début ce n’était pas facile, la pagaie est différente, plus épaisse. La stabilité était différente, mais à force de faire les séances ça allait.

Les Secrets du Kayak : A Toulouse, quelle était la fréquence des entraînements ? Entraînement classique des ligneux deux séances par jour pendant six jours ?

Quentin Bonnetain : Fred Rebeyrol nous faisait faire les séances, pour les ligneux c’était Jean-Pascal Crochet. On avait la chance d’avoir deux entraîneurs qui s’entendaient. On avait des séances spécifiques avec de l’eau vive. Dès que les ligneux faisaient des 250m on prenait des cartouches. On faisait nos séances aérobie avec les ligneux.

Les Secrets du Kayak : Combien de temps tu mets pour devenir champion du monde de descente une fois que tu es à Toulouse ?

Quentin Bonnetain : Je mets six ans. C’est long mais je me sélectionne tous les ans dès 2010. Je gagne en 2014. L’année juste avant j’en avait marre de rester au pied du podium, et Fred a su me remobiliser pour un an.

Les Secrets du Kayak : Quels sont tes secrets pour avoir réussi en 2014 ?

Quentin Bonnetain : J’aimerais bien savoir. En sprint ça allait bien. Mon bateau avait de bonnes pointes de vitesse. Toutes mes courses dans l’année avait fait ressortir une progression et des résultats. Mais le jour J, ça ne s’est pas concrétisé. Pour Fred, il manquait le petit truc en plus, il me l’a fait comprendre.

Pour moi, on est champion du monde si on gagne la classique en descente, et en 2014 on avait démarré par la classique, je fait 10ème. Deux jours après c’est le sprint, j’y suis allé sans me prendre la tête pour me préparer. Je n’ai fait que me faire plaisir sur tout. Je suis devenu champion du monde comme ça, en m’amusant sur la course. C’était cet état d’esprit qu’il fallait dès le début en fait. Pour gagner il faut prendre du plaisir et s’amuser.

Les Secrets du Kayak : Par la suite, tu te mets vraiment à la course en ligne ?

Quentin Bonnetain : Il me fallait un nouveau projet : les Jeux en course en ligne. Je suis toujours à Toulouse avec Fred. Je prépare le 1000m. Ça me paraissait si dur ! En 2015 après les piges, je ne voulais plus du 1000m je me suis lancé à fond sur le 200m. J’arrête l’aérobie, je fais de la musculation à fond, de la vitesse et du sprint, je prends 10-15 kg pour 1,84m.

Du coup au 200m en 2016, je fais une finale de sélection olympique. Mais je n’ai pas été pris. Je n’avais plus envie de passer des heures à faire du fond, je voulais des séances courtes avec de la muscu mais sur l’eau, ça n’a pas marché.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ces kilos en plus t’ont apporté un gain ?

Quentin Bonnetain : A l’époque oui, j’ai gagné en vitesse. Je ne suis jamais descendu en dessous des 36 secondes contrairement à d’autres athlètes. J’avais des pointes de vitesses élevées, mais non pas tant. J’avais pris en muscle mais je n’étais pas sec, j’avais du poids à perdre. Je voulais être sec mais costaud.

Pendant un temps je faisais très attention à mon alimentation, mais je ne voyais pas d’effets. Les effets sont arrivés plus tard quand j’ai refait du long de l’aérobie, faire du trail et de la force endurance en musculation.

En 2019, je refais quasiment que du 1000m, en fait c’était trop bien. J’ai perdu 10kg en un mois. J’avais de la puissance mais j’avais perdu en force. J’étais un peu en dessous de ce que je faisais à l’époque, je n’avais pas tout perdu. Le tout était de savoir si c’était utile d’être fort pour faire une classique ou un 1000m, alors que faire de la FE c’est plus efficace pour aller vite sur 1000m.

Les Secrets du Kayak : Michel Pradet co-auteur de La Force, expliquait qu’il y a un certain niveau de force à avoir et au-delà ils perdaient en efficacité. A un certain niveau de force, tu te fatigues plus pour trop peu de gain.

Quentin Bonnetain : Là dessus on a besoin d’être plus précis pour mieux comprendre la chose. Je suis parti dans l’optique de manger du bateau pour avoir une caisse en bateau. Faire pas mal de frein, courir. Je ne faisais que du circuit-training.

En fonction de l’écart que je me prends avec le premier, je vois la progression réalisée. Ça me donne une motivation pour aller plus loin et continuer de travailler que ce soit en musculation ou en course à pieds.

En 2018, je me retrouve tout seul et je dois me faire mes propres programmes, et ça m’a fait réfléchir sur mes besoins et prendre du recul sur mes expériences.

Depuis 2022, Laëtitia Parage la femme de Fred fait mes programmes. Je sais qu’elle a le même état d’esprit et qu’ils discutent ensemble. Je ne regrette pas mon choix. A l’échéance terminale j’arrive détendu, et je gagne. Avoir un suivi sur l’échéance terminale, c’est aussi important. Pour Jean-Pascal, pour progresser techniquement il faut changer d’habitude.

Les Secrets du Kayak : Oui c’est comme enrichir la base et l’élargir un peu pour aller un peu plus haut ensuite. Qu’est-ce qui te fait quitter Toulouse ?

Quentin Bonnetain : L’envie de changer d’air, de me rapprocher de l’Ardèche. Ma copine trouve du travail à Lyon et on y part. Moi je travaille en auto-entrepreneur dans l’activité du kayak, je voudrais faire plus d’accompagnement dans les Gorges de l’Ardèche. Le comité départemental m’emploie parfois pour faire des stages avec les jeunes. A Lyon, je découvre un groupe de filles qui font de la course en ligne avec qui je m’entraîne.

C’est là où j’ai la chance de partager des stages avec des copains, et on s’organise à droite à gauche des stages pour s’entraîner.

Le reste du temps, j’étais un peu seul à Lyon mais c’est aussi intéressant pour se mettre à naviguer avec des freins pour être à la même vitesse que les filles. Pour elles ça leur donne un plus d’avoir un garçon avec elles. Tu travailles les choses différemment.

Les Secrets du Kayak : J’ai cru comprendre que c’est toi qui fait les plannings d’entraînement aux filles à Lyon ?

Quentin Bonnetain : D’être à Lyon, je me suis occupé de l’entraînement des filles, ça me permet de réfléchir à l’entraînement et d’apporter mon expérience. Ce n’est pas facile, mais pour autant hyper intéressant.

C’est ma première expérience d’entraîneur. Je faisais le programme mais je ne montais pas avec elles souvent. Sur l’eau, je pouvais faire quelque fois des retours techniques. Je ne sais pas si entraîner deviendra ma voie. Ça prend beaucoup de temps au quotidien avec les athlètes. C’est un autre mode de vie, pourquoi pas. Je ne sais pas encore.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu te remets à la descente en 2022 ?

Quentin Bonnetain : Le fait que ce soit en France, ça joue. En 2021, ça n’est pas passé en course en ligne une fois de plus. Donc la descente faisait partie d’un nouveau challenge. Je fais donc les championnats de France à Bourg-st-Maurice, je fais 5ème, c’est hyper serré.

Mais pour les championnats du monde je ne connais pas du tout la rivière, elle est difficile à naviguer. J’y vais en octobre pour m’entraîner, je découvre ce qu’est la rivière avec Felix Bouvet. Un des meilleurs. Je tombe amoureux de cette rivière, et je me suis préparé à fond pour les championnats du monde.

En prenant le départ, je voulais y croire mais je n’étais pas le meilleur techniquement pour cette course. Donc de la gagner, c’est encore irréalisable et que du bonheur.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ça signe la fin de ta carrière en descente ?

Quentin Bonnetain : Non, je ne le pense pas. Je ne pense pas pouvoir mieux faire que de gagner une classique sur la Vézère en France. J’ai envie de voir ce que ça va donner en course en ligne, plus sur du 500m. Prendre un peu plus de masse musculaire et être moins sec pour être fort au 500m.

Les Secrets du Kayak : Quelle pagaie tu utilises en course en ligne en comparaison à celle en descente ?

Quentin Bonnetain : En course en ligne c’est une Braca 1 en 2,19m et en descente la Braca 4 en 2,09 qui ressemble beaucoup à la 1. Comme ça, ça reste la même forme de pale dans l’eau.

J’ai fait 2000km de descente sur l’année, et en course en ligne 1600km sur une année. Je fais aussi un peu de surfski. Parfois les kilomètres se font assez facilement. Pour moi, il me fallait faire des kilomètres pour être bon.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui te limite pour un 500m aujourd’hui ?

Quentin Bonnetain : Je pense manquer de force. Si je fais un peu plus de musculation ça pourra m’aider à aller chercher des pointes de vitesses un peu plus élevées. Les kilomètres en bateau et la technique je l’ai, mais pour moi il me manque du volume de force.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu penses de l’idée de pratiquer le transfert instantané, comme faire du tirage planche et naviguer tout de suite derrière ?

Quentin Bonnetain : Je ne le fais pas, mais ça peut être intéressant. Mais quand je fais de la musculation, je fais toujours un transfert en bateau. Mais c’est 10 min après la séance de musculation. Aujourd’hui, j’ai envie de faire de la musculation. Parfois, il faut aussi faire avec l’envie du moment.

Ce qui me fait peur, c’est de ruiner tous mes entraînements kayak avec la musculation, il faut que je continue de faire des kilomètres en bateau. J’ai peur de vouloir tout faire et de ne pas être performant au bon moment pour les courses à venir. Il faut être à fond dans ses choix. Est-ce utile de soulever 140kg pour être rapide en kayak ?

Les Secrets du Kayak : Tout dépend de ta marche de progrès, si c’est pour gagner 5kg sur une barre non, si c’est pour gagner 20kg sur ta barre oui, tu vas aller plus vite.

Quentin Bonnetain : Oui il faut trouver le rapport poids-puissance pour ne pas être trop léger ou trop lourd. Aujourd’hui, j’ai un rapport poids-puissance qui me permet d’aller vite en bateau mais pour aller vite en course en ligne peut-être faut il le réajuster.

Les Secrets du Kayak : Ça passe aussi par le fait de ne pas trop manger non plus. Ça me permet de te demander est-ce un sujet sur lequel tu fais attention l’alimentation pour la performance ? Est-ce que tu prends des compléments, tu manges très sainement ?

Quentin Bonnetain : Je suis plutôt gourmand. Je me suis rendu compte que je mange moins de viande, et quasiment plus de choses transformées. Il n’y a que le pain que je n’ai pas arrêté. Mais du coup je ne mange quasiment plus de féculents. Je me suis rendu compte que de faire des assiettes moins volumineuses ne m’empêchaient pas de tenir sur les séances, quitte à manger un fruit juste après l’entraînement.

Je ne prends pas de compléments alimentaires, sauf de la spiruline de temps en temps. J’ai déjà testé les protéines en poudre, mais je n’arrive pas à m’y faire. Je me restreint le moins possible de choses, si ça doit être transformé, c’est moi qui les transforme.

C’est toujours un peu compliqué de parler de soi. C’est un exercice intéressant. Je se suis pas certains que ce que j’ai pu dire soit intéressant.

La chose que je peux rajouter c’est de t’encourager à découvrir les Gorges de l’Ardèche.

Vous pouvez retrouver Quentin Bonnetain sur son compte instagram.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Julien Billaut

Retrouvez tout sur Julien Billaut dans cet épisode des Secrets du Kayak. Il nous raconte sa carrière d’athlète de haut niveau en kayak de descente. Puis sa reconversion comme entraineur d’abord en Chine puis en Australie.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Julien Billaut en juin 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Julien Billaut : Bien, merci de m’inviter. Je suis à Prague en préparation de la première coupe du Monde de la saison avec l’équipe Australienne de kayak, slalom et extrême.

Les Secrets du Kayak : Tu es en charge aussi du kayak extrême ?

Julien Billaut : Oui, on a une petite équipe d’entraîneurs en Australie, donc on l’a pris en charge. On découvre la pratique. On l’appelle kayak extrême mais c’est pour le différencier du slalom.

C’est une nouvelle discipline olympique pour Paris 2024. On coure en bateau plastique de rivière. Il y a des phases de qualification en solo avec un classement par temps qui va te faire passer à l’étape suivante pour passer des phases de poules. Ce sont à chaque fois les deux premiers du ride qui sont pris à l’étape suivante.

C’est davantage un sport de combat que de finesse slalom. C’est exigeant en terme de lecture de course, et c’est intéressant à voir.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu commencé le kayak ?

Julien Billaut : Avec des stages scolaire à l’âge de 10 ans au club de Pradet. J’ai fait une semaine de kayak à l’automne, voile au printemps. L’été j’ai fait un stage de kayak en plus sur la mer. Un petit groupe s’est formé avec ceux qui venaient l’été. On a commencé à faire des petites courses, on a évolué petit à petit grâce à la présence de Bruno Carlier.

Au début, on avait des kayaks en plastique pour aller sur la mer. Avec mon frère, on avait trouvé deux kayaks en fibre de verre un peu plus long. On leur avait donné un nom. Très vite on a appris à faire très attention, surtout pour surfer sur les vagues et à l’approche des rochers.

Les Secrets du Kayak : Les entraînement se passaient toujours en mer ?

Julien Billaut : Oui, c’était beaucoup en mer à l’époque. Tu prenais une vague et tu règles ton surf pour faire un stop juste derrière un rocher et tu repars. Si c’était plat sans vent on faisait des parcours pour apprendre à faire des ancrages, on faisait des exercices techniques. Les week-end, Bruno nous emmenait en week-end sur l’Argence et sur la Durance. On est allé un peu partout grâce à lui.

Les Secrets du Kayak : Tu as toujours fait du slalom ou bien tu as testé d’autres embarcations ?

Julien Billaut : J’ai commencé par du slalom. Mais à l’époque il fallait savoir faire de la descente pour aller en compétition. Vers 13-14 ans, je faisais déjà de la descente. On avait pris des moules de kayak pour se faire nos kayaks.

J’ai eu mon premier kayak de descente tout fait maison à 14 ans. J’en ai fait jusque cadet 2. Je n’ai jamais été fan de la descente, mais avec le recul je trouve que c’était vraiment bien d’en avoir fait, ça t’apprend beaucoup de choses. Ça te fait la caisse aussi.

Je n’ai pas fait les autres disciplines. J’avais fait un petit peu de pirogue plus jeune. Je n’ai jamais essayé le surfski, bizarrement. Je faisais d’autres choses. J’allais en mer pour faire d’autres activités sous-marine entre autre.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu sors du lot pendant les compétitions ?

Julien Billaut : Oui je n’étais pas mauvais, j’avais des retours positifs, je gagnais des courses en minime et cadet, j’ai gagné des courses nationales. Mais il y en avait qui étaient meilleurs que moi. On se tirait la bourre. Ils étaient plus forts, plus entraînés et plus immergés dans le sport que moi. J’étais en retard dans tout ce qui touche la compréhension du sport.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a eu un élément déclencheur pour que tu sois plus immergé dans le milieu pour progresser d’un coup ?

Julien Billaut : Pas que je sache. Ça a été progressif. J’ai de suite aimé être sur l’eau. J’étais content avec mes médailles, ça me démarquait de ce que faisait mon frère et mes parents. Je n’ai pas eu de déclic, tout s’est fait progressivement.

Les Secrets du Kayak : A partir de quel moment tu rentres en équipe de France ?

Julien Billaut : Junior 1 à 17 ans en 1998 pour les championnats du monde en Autriche. J’étais quatrième bateau. Il y avait eu des débats à savoir si on me prenait ou pas. Finalement, ils m’ont pris. Ensuite, on a fait les championnats d’Europe en Slovénie.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que pour toi le kayak reste un jeu ou bien tu prends davantage conscience des enjeux ?

Julien Billaut : Je prends cela plus au sérieux. Ce sont les championnats du monde et tu as envie de bien faire. Je prends ça au sérieux mais sans savoir comment faire. Je me pointe avec Bruno en tant qu’entraîneur. Je me mettais la pression pour avoir des résultats. Je n’avais jamais vraiment fonctionné en groupe plus jeune, je découvre cela. Ce n’étais pas facile. Je cherchais ma place. J’avais peu d’outils pour réussir, mais j’étais content, j’ai découvert des choses, je m’amusais, je rigolais bien.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as bénéficié d’un parcours scolaire aménagé ?

Julien Billaut : Quand je suis junior, je fais toutes les compétitions, tous les stages d’entraînements avec l’équipe. Mon niveau s’élève, je découvre la routine de l’entraînement.

Après le Bac, je décide un gros changement. En accord avec mes parents et Bruno, j’avais l’opportunité d’aller à Toulouse et là les aménagements étaient peu nombreux, mais je voulais tout mener de front. J’allais en STAPS, j’étais assidu, je m’entraînais à 8h avant d’aller dans les cours magistraux, parfois le midi et le soir. Il n’y avait pas d’aménagements mais il y avait un suivi des entraîneurs qui permettait de pouvoir s’entraîner et d’aller à l’Université.

En maîtrise, je commence à aménager les cours grâce aux entraîneurs et à l’Université. Je passe la maîtrise en deux ans. Et le master pro en deux ans aussi. Ça m’a permis d’avoir des résultats en kayak. J’avais pris entraînement sportif. Ça m’a permis de comprendre comment s’entraîner et ce que je faisais. Ça m’a donné de la confiance.

Les Secrets du Kayak : Tu as toujours eu la route barrée pour accéder aux Jeux ? Comment as-tu vécu ça ?

Julien Billaut : Sur le coup, c’était frustrant, j’étais envieux des résultats de mes collègues meilleurs que moi et du coup pris pour les JO. Envieux de leur confiance, mais j’ai toujours été respectueux de leur aptitude à être à 200 % engagés dans le haut niveau.

Avec le recul, c’est ce que je n’ai pas réussi à faire. Pour moi ça toujours a été une énorme opportunité parce que je ne sais pas si j’aurais atteint un tel niveau sans eux. On était un bon groupe de kayak qui se tirait la bourre. Ils m’ont emmené au plus haut niveau. Ils ont été meilleurs que moi, ils ont ramené des médailles.

Je suis honoré d’avoir pu passer du temps avec eux. Et ils m’ont permis d’avancer plus vite dans la vie en tant que personne.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi tu avais peur de t’immerger à 200 % comme eux ?

Julien Billaut : Je pense que je me suis bien immergé, j’ai fait pas mal de choses à fond, mais avec mon expérience d’aujourd’hui il y a des choses que je n’ai pas fait sans doute à cause de barrières mentales pour m’y mettre corps et âme.

Il aurait fallu que je me dise : « si tu rates, tu t’en fous » alors que à cette époque je me demandais ce qu’il se passerait si je ratais. Ça m’a bloqué. Il m’a manqué cette confiance aveugle en moi même. Il n’y a qu'en 2006 où j’ai réussi.

Les Secrets du Kayak : Il y avait eu un litige sur la coupe du monde de 2006, tu as été sacré huit mois après champion du monde ex æquo  ?

Julien Billaut : Il y a eu des problèmes de jugement. Aujourd’hui, il est bien meilleur qu’à l’époque. J’ai été couronné ex æquo en janvier 2007, et j’ai obtenu la médaille en avril ou mai. Il faut savoir lâcher prise. Tu ne peux pas tout contrôler.

La FFCK est allé au tribunal du sport pour me supporter. J’ai laissé faire, je me suis juste rendu disponible. À l’époque, la FFCK m’a tenu au courant des démarches, merci à eux, parce que moi je n’y connaissais rien.

Les Secrets du Kayak : Comment tu mets fin à ta carrière d’athlète ?

Julien Billaut : Après 2008, je ne passe pas aux Jeux, en 2009 j’emménage avec ma femme loin des rivages. J’ai fait une bonne saison 2009 avec mes derniers championnats du monde, on a eu notre premier enfant. Puis j’ai suivi ma femme en Corse, elle avait eu une mutation.

J’en avais un peu marre de m’entraîner, j’avais besoin de voir autre chose. Il me fallait faire du neuf avec du vieux pour rester dans le haut niveau mais je ne le voulais pas. J’ai manqué d’ouverture d’esprit pour me renouveler.

Je faisais des études dans le marketing du sport. J’ai découvert de nouvelles personnes et je suis passé à autre chose. La transition a été très inconfortable, mais je me suis remis en question. J’ai rebondi et je suis content d’avoir fait autre chose. Je suis par exemple parti en Chine. C’est ce qui m’a permis d’être là où j’en suis aujourd’hui, donc aucun regret.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu t’es retrouvé entraîneur en Chine ?

Julien Billaut : J’ai arrêté ma carrière, ma femme travaillait, j’aimais étudier mais je voulais travailler. Il y a eu l’opportunité de travailler avec une équipe de province en Chine. J’avais laissé sur le site de la FIC mon CV. Cette équipe m’a contacté et il m’ont proposé de passer une grosse semaine pour voir pour m’embaucher.

J’ai tenté l’occasion et ça a marché. L’entretien d’embauche a duré dix jours où j’ai fait plein de choses. J’ai été testé, je me suis mis un challenge, je passais par une traductrice. J’ai adoré. Très excité et confiant, mais chamboulé par la culture et le reste.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passait pour entraîner pour la transmission ?

Julien Billaut : C’est différent là-bas mais tant que tu n’y vis pas, tu ne le comprends pas. Je suis arrivé avec mon expérience d’athlète et très peu d’expérience d’entraîneur. J’avais ma manière de faire ma théorie d’université. Tu mets des choses en place, tu cherches l’individualisation de l’entraînement pour l’athlète, d’être à leur écoute de leur parler. Mais ce n’est pas comme ça qu’ils marchent, ils marchent en groupe.

Les coach se sentaient mal, ils pensaient que je ne les prenais pas au sérieux. Ils attendaient juste qu’on leur dise quoi faire. Donc je le comprends et je mets en place une planification des mois d’entraînement sur l’eau et en musculation. La traductrice faisait son job et on faisait des réunions de travail avec les coach pour donner du sens à tout ça. C’était la politique du bâton, ils marchaient comme cela. Faire autrement ce n’était pas possible ça aurait demandé une énergie telle pour faire plier un système enraciné dans des milliers d’années de culture chinoise, que je n’aurais pas pu changer.

Quand tu les gères de cette façon, tu gagnes leur confiance. Et tu leur expliques ensuite pourquoi tu fais comme cela et pas autrement. Tu les éduques à l’entraînement. Je me suis régalé, j’étais responsable de ce que je faisais, je devais rendre des comptes.

Cette aventure a duré presque deux ans. Je devais aller avec eux jusqu’aux Jeux nationaux. Ensuite je suis allé en Australie. Je savais que le poste allait s’ouvrir. J’en ai discuté avec ma femme et j’ai postulé.

Les Secrets du Kayak : En Australie, tu avais carte blanche comme en Chine ?

Julien Billaut : Oui avec mon petit groupe et c’est toujours le cas. Je n'étais pas head-coach mais juste entraîneur d’un groupe d’athlètes. Il y avait un réel travail de groupe. Il y avait des contraintes d’eau que je n’avais pas en Chine. On paie l’eau donc tu ne l’as qu’une heure par jour. Il fallait beaucoup de logistique et d’administratif.

J’ai appris à travailler davantage en équipe en Australie. J’arrivais avec des gens avec qui je voulais travailler, apprendre une nouvelle culture, être entouré de légendes du kayak pour apprendre le métier. J’ai beaucoup observé, appris en discutant, je suis arrivé avec mes armes et mes optimismes. Et contrairement à la Chine, j’ai vite eu un développement professionnel avec l’institut du sport australien, j’ai pu construire un réseau d’entraîneurs à l’international et interagir avec des consultants externes en communication et en gestion de groupe .Avoir des retours neufs et constructifs.

J’ai pu démultiplier ce que j’ai appris en Chine en Australie par la force du réseau et des interactions.

Les Secrets du Kayak : En Chine, ça marchait beaucoup au bâton, en Australie ça fonctionnait comment ?

Julien Billaut : Le bâton ne marche pas sur le court terme. Il faut d’abord les habituer à la discipline. En Australie, ils ne connaissent le haut niveau qu’en entrant dans les équipes nationales vers 23-25 ans. Avant ça, ils sont juste de bons pagayeurs.

Normalement ils sont censés avoir la discipline de l’entraînement d’eux même. Ça a été dur, il a fallu le faire comprendre qu’il fallait venir à l’entraînement et être prêt mentalement et physiquement à l’entraînement. Je suis toujours à la recherche du bon équilibre en Australie, parce que ce sont des gens qui sont éduqués dans le « on vit bien ».

L’économie est positive, il n’y a pas eu de pression sur les familles, tu gagnes bien ta vie. La vie y est cool. Les enfants y sont éduqués sans challenge, tout leur est donné. Le gamin ne sait pas ce que c’est que de gagner sa place. Tout leur est du ! Il y a toute une éducation à mettre en place. En Europe, tu n’as pas besoin de faire ça. Les gens sont prêts.

De l’autre côté, tu as des athlètes qui sont très bons. Et ils sont flexibles et ont une capacité à systématiser la performance, ce qui manque en Europe. En France tout un système est mis en place autour de l’athlète et de l’équipe pour permettre à un athlète non talentueux au départ, de réussir quand même. Le but est de pousser l’athlète tous les jours chez nous, et ça marche plutôt bien.

En Australie, il n’y a pas assez d’athlètes pour se le permettre, il faut les pousser et les aider pour avoir du résultat. En France ils se cherchent un peu, il y a un manque de clarté dans les structures et les mécanismes quand tu arrives au haut niveau pour pouvoir continuer à supporter les athlètes et les pousser. Quand tu es en haut, c’est à toi de créer cette structure alors que ça serait le rôle de la fédération. C’est mon ressenti vu de loin puisque je ne suis pas dans le système.

Les Secrets du Kayak : Après neuf ans en Australie, tu ne te lasses pas, comment fais-tu ?

Julien Billaut : Oui, ça fait même trop longtemps que je suis là. Ce qui me motive c’est de trouver des choses nouvelles, je suis une boîte à idées, je suis très curieux, j’aime apprendre de pleins de domaines différents. Ça permet de connecter les idées et de les ramener ensemble au haut niveau.

Ça me donne une énergie et une envie incroyable de partager autour de moi. Maintenant ça fait quelques mois depuis les JO où je suis à plat, j’ai moins d’énergie, je continue à bien faire mon job, mais j’ai une période de transition où il me faut trouver quelque chose pour me remettre dedans.

Je ne suis pas dans l’attente d’une motivation, je suis dans la détermination à trouver la rigueur et la discipline pour être curieux. Quand tu bouges tu retrouves de l’énergie de trouver des idées. Quand tu écoutes des livres audio, tu vas trouver des infos infimes qui vont te donner du sens et tu trouves un lien dans ton métier d’entraîneur.

La motivation ne revient pas toute seule. L’énergie et la motivation ne tombent pas par magie, c’est du travail. Il faut laisser les choses se faire, il faut juste être conscient de ton état du moment pour être réceptif aux informations qui vont se présenter à toi.

Le podcast que j’avais lancé était venu par une envie de partager la richesse du kayak, ce sont des trésors d’expérience, et pour moi c’était un moteur de me donner de l’énergie, et une façon de me forcer à me poser des questions. Je devrais les reprendre.

Mais la réalité de la vie me rattrape, par le travail, la vie familiale, je n’ai pas été assez bon pour rester organisé. Pourtant ça crée un cercle vertueux, ça te permet de te connaître. Je pousse les gens à être curieux. C’est la première étape pour se découvrir et découvrir les choses. C’est ce qui fait avancer dans la vie.

Tu commences par les choses que tu aimes, pour ensuite les transposer parfois dans l’entraînement. L’athlète est comme un Bonzaï, si tu as donné les bonnes contraintes au bon moment, l’athlète fleuri, s’épanouit et devient bon. Mais tu fais face à la complexité de l’être humain par les émotions, le stress. Il te faudra être flexible et adaptable toi en tant qu’entraîneur, mais aussi de la part de l’athlète.

Il faut savoir être vulnérable et travailler sur ses peurs. Il faut dépasser ces choses là pour prendre les peurs pour des moteurs et plus tu commences tôt et mieux c’est.

De plus, il ne faut pas confondre système compliqué et système complexe, c’est différent. Tu dois savoir gérer les deux l’un après l’autre. En Australie, ce n’est pas simple. Par exemple, l’introspection individuelle n’est pas dans les mœurs. A chaque pays ses challenges.

Les Secrets du Kayak : Quand tu parles de consultants externes, hormis la psychologie tu fais référence à quoi ?

Julien Billaut : Tout ce qui est nutritionniste, préparateur mentaux, psy du sport etc... sont des gens qui sont admis par le système australien. J’ai voulu travailler sur l’équilibre avec des ostéopathes, kinés et des spécialistes dans la gestion des émotions etc. Mais ce sont des gens qui n’ont pas vraiment de titre et les athlètes ne comprennent pas la démarche.

J’ai aussi eu l’idée de travailler avec des gens dont le domaine est l’oculomotricité et les réflexes primaires. J’ai fait appel à des experts reconnus mondialement en Australie, j’ai essayé de faire rentrer ça mais il y a des barrières. Je suis force de propositions mais c’est à l’athlète de saisir l’opportunité.

L’athlète à haut niveau est responsable de sa performance. Si ça n’a pas de sens pour lui je laisse tomber. Je me suis déjà brûlé les ailes à trop proposer, s’il n’est pas réceptif, ça ne marche pas. Mon travail est d’être force de propositions pour dépasser les basiques. L’athlète lui, doit individualiser sa performance. Mais si tu n’es pas curieux tu n’avances pas.

J’avais aussi fais appel à un externe pour le travail de la respiration. Ça avait eu davantage de sens pour les athlètes. On avait travaillé avec un champion d’apnée. Ça a permis de travailler sur l’état mental pour la répercussion sur l’état physique.

Si tu fais appels à des choses qui ne te parlent pas, ça n’a pas de sens tu dilues ton énergie.

Vous pouvez retrouver Julien Billaut sur son compte instagram.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Vincent Redon

Retrouvez tout sur Vincent Redon dans cet épisode des Secrets du Kayak. Il nous raconte sa carrière d’athlète de haut niveau en kayak et en canoë. Puis sa reconversion comme entraineur d’abord au Canada puis en France.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Vincent Redon en juin 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Vincent Redon : Pas mal. On reprend le bateau au printemps. Moi j’ai 55 ans, j’ai besoin que l’eau soit chaude et que le soleil brille pour naviguer. L’été dans les montagne des Alpes, l’eau reste fraîche. De temps en temps, je remonte en bateau de slalom avec mon fils.

J’ai découvert le kayak vers 7-8 ans à Lyon. Mon père avait un pote qui faisait les descentes de l’Ardèche, au club de la Mulatière. Il a rencontré la famille de Michel Doux, CTR à la grande époque des CTR. On s’est inscrit dans le club. J’ai commencé par toutes les activités du kayak, notamment de la descente jusqu’à la fin de ma carrière. J’étais le seul quasiment à faire du slalom, je voulais m’amuser avec l’eau-vive.

Les Secrets du Kayak : Les épreuves pour passer les championnats de France, c’était descente et slalom n’est-ce pas ?

Vincent Redon : Oui tu étais obligé de faire les deux, c’était une bonne chose pour maîtriser la maniabilité. C’était une bonne école de formation. C’est dommage que ça ait changé, c’était moins monotone que la spécialisation d’une pratique. Mais la société du kayak a changée.

Avant on construisait nos bateaux, ce n’est plus le cas. Au niveau matériel, ça devient cher de faire plusieurs disciplines. Aujourd’hui les jeunes doivent savoir courir en canoë et en kayak jusqu’à 15 ans, dans l’objectif d’une maîtrise d’habilités variées.

Les Secrets du Kayak : Toi aussi, tu as du apprendre à faire du canoë ?

Vincent Redon : Moi je faisais pas mal de choses entre descente, slalom, beaucoup de ski de fond, un peu de canoë sans plus. A côté de ça j’avais essayé la gym, du hand, mais rien de sérieux. Rien qu’avec le club de kayak, on faisait beaucoup d’autres choses. En fait, c’était un club de ski-canoë-kayak. On faisait du vélo de la course à pieds, beaucoup de montagne l’été.

Les Secrets du Kayak : Tu as eu rapidement des résultats en compétition ?

Vincent Redon : Ça se fait dans l’insouciance, pour moi c’était une bonne ambiance de copains. Oui j’étais champion de France en cadet du combiné. Ça marchait assez bien.

Il y avait pas mal de senior dans le club, des descendeurs, Joël Doux, Antoine Goetschy... On a toujours eu des grosses têtes d’affiche, et toujours une super ambiance avec eux. Jeune, on a été très bien encadré par eux.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi avoir choisi le slalom et non pas la descente ?

Vincent Redon : Sans doute mes qualités naturelles. La descente correspondait à de la longue distance, il n’y avait pas de sprint. J’aimais jouer dans l’eau-vive.

Les Secrets du Kayak : Comment s’est passé la suite pour toi après avoir été champion de France de cadet ?

Vincent Redon : Je n’étais pas mauvais en junior. C’est vers 18 ans que ça été compliqué pour gagner sa place en senior. J’étais toujours aux portes des piges sans les réussir, j’ai souvent été remplaçant. Je me suis accroché, il y avait une bataille, j’étais dans les 5-6 premiers.

Avec le recul, j’aimais bien m’entraîner. Les grands champions sont des «  malades mentaux », il faut être obsessionnel pour cela. Il fallait être focus sur une seule chose : devenir champion. Je n’étais pas assez investi pour aller à 120 % dans cette voie.

Les Secrets du Kayak : Parallèlement au slalom, c’était quoi ta vie ?

Vincent Redon : J’étais en STAPS, j’ai fait le CAPES et je suis devenu prof d’EPS en 1994.  J’ai eu une belle vie de sportif. On avait pas mal d’aménagement pour pratiquer le kayak. J’ai fait une option maîtrise de l’entraînement. J’ai mis deux ans pour avoir mon CAPES. Ensuite j’ai été détaché au service départemental de l’UNSS sur deux ans. Idéal pour s’entraîner.

Les Secrets du Kayak : Tu avais un entraîneur ?

Vincent Redon : On était à Lyon, j’étais quasiment seul au départ pour m’entraîner et petit à petit un groupe s’est formé, sans entraîneur. En 1994 on était une quinzaine, un bon groupe. On avait Sylvain Curinier, Anne-Lise Bardet et d’autres qui s’entraînaient fort.

J’étais suivi de loin par Pierre Salamé , Christophe Prigent par la suite jusqu’en 1997 date à laquelle j’ai arrêté. Ce n’était pas de l’encadrement au quotidien, c’était par action. Avoir un petit retour pour nous aiguiller était sympa, mais on était très autonomes à Lyon. On s’entraidait, on s’observait pour avoir des retours. Il y avait une bonne émulation.

Les Secrets du Kayak : Comment on s’entraîne pour progresser en slalom ?

Vincent Redon : Il y a des variations d’entraînement sur les durées, les intensités, tu rajoutes une composante technique avec des parcours plus ou moins durs. Tout dépend de ce que tu recherches. Il y a une partie physiologique importante, il faut être engagé au maximum, il faut être précis dans ta navigation, et travailler l’équilibre du bateau.

Tu vas faire beaucoup de répétitions sur des parcours assez faciles, pour ensuite travailler les gammes et augmenter les intensités en baissant les volumes. Il faut aussi s’habituer à travailler avec les trajectoires tendues sans perdre l’équilibre.

C’est un équilibre entre l’engagement, la vitesse, la précision, l’équilibre, la répétition ou non d’une gamme. Suivant les athlètes et les besoins de l’athlète, on s’adapte. Si tu n’as pas d’entraîneur, ce n’est pas simple, souvent tu travailles que ce que tu aimes bien, sans aller dans tes retranchements. Tomber dans la facilité c’est courant quand tu es seul.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que la physiologie se travaille aussi en bateau de slalom ? Ou c’était l’occasion de faire de la descente ?

Vincent Redon : Pour mon endurance de base je faisais un entraînement sur deux en descente. Donc sans le vouloir je faisais beaucoup d’entraînement polarisé. Je gardais le slalom pour la haute intensité et la technique.

Aujourd’hui, beaucoup le font sur du slalom. Tu n’avances pas mais là ça reste relatif par rapport à ce que tu compares. Tu cherches du relâchement, de l’amplitude, de la glisse.

Avant, je changeais souvent d’embarcation mais aujourd’hui ça se fait sur du slalom.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu arrêtes de te consacrer à ta carrière ?

Vincent Redon : Les résultats ! Quand tu n’as pas de résultats aux sélections, tu perds la motivation, tu perds l’avantage de dégagement de temps pour t’entraîner. Mais quand tu évolues, tu tournes la page. J’ai arrêté à trente ans. Ça faisait longtemps que je naviguais quand j’ai arrêté.

Les Secrets du Kayak : Tu as travaillé longtemps en tant que prof d’EPS dans les écoles ?

Vincent Redon : J’ai travaillé un an en banlieue lyonnaise, j’ai bien vu que ce n’était pas ma vocation. Ensuite j’ai répondu à un appel d’offre de l’équipe du Canada qui cherchait son head-coach pour les Jeux de 2000. J’ai postulé, je suis parti là-bas en juin 1998 à Vancouver pour deux ans.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe pour être entraîneur là-bas ?

Vincent Redon : 1991-1992, on avait fait pas mal de tournées de compétitions en Amérique du Nord, je connaissais quelques athlètes québécois. Ils cherchaient quelqu’un pour deux mois d’été en 1993 pour encadrer l’équipe, je m’étais porté candidat et j’ai été pris.

Du coup 1998, j’ai été pris en équipe nationale. Je n’avais pas un grand bagage d’entraîneur mais j’ai fait pas mal de bénévolat, de stages dans les années 1990. J’avais une petite expérience mais arriver Head coach au Canada, tu mets le pied sans trop savoir où tu vas.

Les Secrets du Kayak : Au Canada l’entraînement des jeunes est beaucoup plus professionnel ? Ce sont les parents qui financent le matériel pour leur enfant ? Est-ce que tu as vécu cela ?

Vincent Redon : C’est plus professionnel mais le slalom au Canada n’est pas au même niveau que la course en ligne. Peu de monde y fait du slalom. Tout le monde a un canoë dans son jardin là-bas. Mais la compétition est peu développée.

Si ce n’est pas un sport universitaire reconnu il n’y a pas d’aide, donc peu de pagayeurs font de la compétition. Ce n’est que de l’investissement personnel au Canada, sauf si tu es très bon on te finance ta saison, mais tu paieras toujours ton hébergement pour les compétitions. Les USA sont aussi sur ce type d’organisation.

Les Secrets du Kayak : Comment se passe cette expérience au Canada ?

Vincent Redon : Quand tu arrives là-bas sans parler anglais… ça fait un choc ! Tu te retrouves tout seul, ma compagne était restée en France. Je connaissais juste quelques athlètes, mais super expérience, et des résultats qui sont arrivés assez vite.

On a une bonne image pour la technique, nous français. Ça permet toujours d’apporter de la nouveauté, dès 1998 il y a eu des médailles en coupe du monde alors que ça faisait longtemps qu’ils n’en n’avaient pas eu.

Ça a continué en 1999, victoire non attendue. Mais les JO on a été moins performant. L’entraînement et la constitution de l’équipe c’était un peu du bricolage, beaucoup de pression aussi.

J’ai appris beaucoup à ce moment là, la formation est accélérée.

Les Secrets du Kayak : Tu parles de la touche française dans la technique, c’est à dire?

Vincent Redon : En France il y a toujours la notion de la glisse, de l’équilibre du bateau qui reste à plat. Il y a des écoles et des cultures basées sur l’engagement. Utiliser au maximum la glisse et les courants pour faire avancer le bateau.

En Amérique du nord, c’est l’engagement physique qui est mis en avant. En général ça se passe bien en slalom. Il y a aussi du monde, pas mal de compétitions, il y a une fédération dynamique. On a beaucoup de jeunes qui vont sur l’eau. Notre touche française, c’est la recherche de la technique.

Les Secrets du Kayak : Ton aventure au Canada se finit après Sydney 2000 ?

Vincent Redon : Oui. J’avais déjà été recruté pour l’après Sydney sur l’équipe de France. J’ai rejoint le pôle de Besançon. J’étais avec Michel Saïdi, nouveauté pour moi. C’était le gros centre d’entraînement de 1984-1990. Depuis, c’était plutôt des jeunes à former. Pour les dames c’était du haut niveau à gérer, il y avait pas mal de féminines.

Les Secrets du Kayak : C’était une volonté de ta part d’entraîner les féminines ?

Vincent Redon : Je ne sais plus comment ça s’est fait, je n’avais pas de préférence, c’est plus la relation qui m’intéressait plutôt que l’embarcation. J’ai aussi encadré des canoës. J’ai du choisir, je ne sais plus.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as remarqué des différences en entraînant des gars et des filles ?

Vincent Redon : La particularité des filles en 2000, c’est qu’elles étaient en minorité. De là c’était déjà différent, ce n’était pas simple pour elles de s’imposer. D’un point de vue individuel, je n’ai pas noté de différence. Ça pourrait être une tendance à être plus sur l’émotion, sans être certain de ce que j’avance.

Les Secrets du Kayak : Lorsque tu entraînes en canoë, tu peux être limité sur l’aspect technique mais que tu peux jouer sur l’aspect coaching, c’est à dire ?

Vincent Redon : L’aspect coaching c’est mettre en perspective les besoins, le plaisir et le sens. Pourquoi l’athlète s’engage autant, répondre à des besoins de progression. Comment garder du sens à ce que tu mets en place. Quelles pratiques vont me faire plaisir ? Comment rajouter le travail des besoins ? La technique fait une petite partie du travail.

Les Secrets du Kayak : Pendant combien de temps tu entraînes les kayaks féminines ?

Vincent Redon : Jusqu’à Athènes donc quatre ans. Mais ça allait tout en réduction du nombre de bateaux. Après les sélections de 2004 et jusqu’aux JO j’en garde un très bon souvenir. Mais le podium n’a pas été atteint pour une pénalité annoncée après les interviews de l’athlète à la presse. Ça été un moment très dur pour l’athlète. Mais elle a été forte. Elle en est sortie grandie.

Les Secrets du Kayak : Quand tu parles de préparation ça veut dire quoi ? Quel est l’intérêt de la musculation et de la course à pieds ?

Vincent Redon : Il y a pas mal de préparation annexe en musculation, ou en pratique course à pieds ou le vélo. Mais en préparation terminale, tu mets l’accent sur la technique. Il faut avoir confiance dans sa technique. La musculation peut altérer les capteurs sensoriels qui font que les articulations ne sont pas aussi fluides que tu le voudrais.

Il faut le bon dosage pour garder la confiance dans la technique et réussir à progresser sur les aspects physiologiques en bateau. Pour moi toutes les articulations doivent être gainées, il faut donc pouvoir préserver la fluidité articulaire pour toujours bien se placer et être efficace. Il faut de l’entretien musculaire, et travailler la confiance dans sa technique.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu fais après les JO d’Athènes ?

Vincent Redon : Il y a eu une refonte de la fédération pour la filière de haut niveau. L’organisation des équipes de France change, le Pôle de Besançon ferme et je pars à Toulouse sur le centre de formation, orienté jeune.

J’y ai pris la direction de ce pôle, avec slalom, descente et course en ligne soit 40 athlètes à gérer. J’entraînais un petit peu à l’époque pour donner un coup de main pendant un an. Ensuite j’ai laissé la direction du pôle pour reprendre l’entraînement slalom en 2004-2005.

En 2005 je reviens dans l’encadrement de l’équipe des seniors jusqu’à l’olympiade de 2008. J’étais en soutien des cadres. On préparait les posts-bac, donc la relève. Il y avait beaucoup de travail.

C’était une très bonne époque. Beaucoup ont eu de très bons résultats avec eux, ils étaient motivés, ils en voulaient. Ils sont allés très vite en senior. J’ai pu les suivre sur les échéances internationales.

Les Secrets du Kayak : Comment se passe l’olympiade de 2008 ?

Vincent Redon : Bien, les jeunes ont bien progressé dont Boris Neveu, d’autres se sont sélectionnés et sont devenus champion du monde aussi. Il y a eu la bataille des sélections pour les Jeux olympiques.

Les Secrets du Kayak : A un moment, tu sors du milieu de l’entraînement ?

Vincent Redon : Non j’y suis resté. Mais les années post 2009 j’ai eu besoin d’une coupure. J’étais juste entraîneur de la relève. Entraîner les seniors ça demande beaucoup de temps, d’investissement, d’énergie et de mental. C’était donc une bonne soupape pour se remettre d’aplomb. L’année olympique est très chargée.

Les Secrets du Kayak : Il est rare d’avoir un entraîneur avec une telle longévité à haut niveau en conciliant une vie familiale. Comment as-tu fait pour gérer ?

Vincent Redon : Tu gères comme tu peux, j’ai eu la chance d’avoir pour épouse une ex-kayakiste, mais ce n’était quand même pas facile. Entre les absences prolongées, ta famille que tu ne vois pas, c’était dur. Il y a des moments de gros coups de fatigue et il y a des moments avec de grosses satisfactions, et là, la motivation repart. Mais régulièrement, je prenais une année de relâche pour ma famille.

Après les championnats du monde de 2009, le directeur de l’équipe me propose de revenir en senior, donc j’y retourne pour une olympiade. Tu retrouves des athlètes que tu as eu jeune. Tu as envie de les accompagner, tu replonges.

Pour autant, aucun de mes athlètes n’a fait de médaille olympique. C’était la petite déception. Mais les moments passés avec eux sont des moments forts. Et depuis je suis toujours resté à Toulouse.

Les Secrets du Kayak : Est-e que tu as eu d’autres postes ? Ou bien es-tu resté entraîneur ?

Vincent Redon : Je suis resté entraîneur à chaque fois. Mon parcours a été original, mais j’ai plus une attirance pour la formation des plus jeunes. Donc après 2017 je suis en charge des équipes relèves. Jusque 2020, j’ai passé de très bonnes années. Ça me chagrinait qu’il y ait eu peu de médailles en 2017, c’était un challenge à relever. Il fallait faire vivre un réseau d’entraîneurs locaux, c’était de belles années, c’était moins prestigieux mais l’épanouissement professionnel était super.

Les Secrets du Kayak : C’est quoi le secret de ta longévité ? 25 ans dans le métier ? Qu’est-ce que qui te pousse à continuer ?

Vincent Redon : Pas l’argent en tout cas. C’est la passion. J’ai commencé petit la discipline, ça m’a permis de sortir, ça m’a beaucoup apporté, je veux le transmettre à d’autres, voir des jeunes qui progressent. En 2013 j’ai tenté de faire autre chose mais ça n’a pas marché. Je m’épanouissais auprès des jeunes athlètes. Les athlètes qui arrivent, amènent sans cesse de la nouveauté et de la remise en question. Tu as envie de continuer à t’investir, tu sers à quelque chose.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a un échange avec les entraîneurs ? Pour échanger et apprendre, ou apporter de nouvelles choses ?

Vincent Redon : Oui bien sur. Également avec des entraîneurs étrangers. Plus ça va et moins tu sais. Au débu, tu arrives avec tes recettes, et plus tu avances dans le métier et moins ça va. Cette année, je ne suis plus entraîneur, je suis directeur du pôle de Pau, je suis sur de la formation de jeunes entraîneurs, sur de l’accompagnement et du tutorat, j’ai des tâches administratives également.

Mais mes dernières années d’entraînement tu cherches encore la recette qui va marcher pour tel athlète à tel moment, c’est toujours de la recherche. Qu’est-ce que je vais apporter et qu’est-ce que l’athlète va apporter ? C’est tous les jours LA question ! Tu ne tombes jamais dans la routine.

En conclusion : dans le kayak, la complexité humaine est d’allier les besoins, le plaisir et le sens.

Vous pouvez retrouver Vincent Redon sur son compte Facebook.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Olivier Marchand

Retrouvez tout sur Olivier Marchand dans cet épisode des Secrets du Kayak. Il nous raconte sa carrière d’athlète de haut niveau en kayak et en canoë. Puis sa reconversion d’abord comme entraineur jusqu’à totalement quitter le monde kayak.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Olivier Marchand en mai 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Olivier Marchand : Bonjour Rudy, très bien.

Les Secrets du Kayak : C’est un plaisir d’échanger avec des anciens athlètes de haut niveau, et des personnes qui sont toujours dans le milieu du kayak et du canoë. Comment as-tu découvert le canoë ?

Olivier Marchand : Souvent, on commence par le kayak. Ma première expérience, c’était en kayak de mer en colonie de vacances. On essayait des embarcations de tous types. A la rentrée, avec mon frère on s’est inscrit à Pontivy. En club, j’ai fait du CAPS, un an après j’ai fait du canoë.

Les Secrets du Kayak : Comment se sont passées tes premières compétitions de kayak en CAPS ?

Olivier Marchand : Moyen. C’était assez stable, c’était la résistance et la technique qui ont été laborieux. Je devais faire un contre la montre, je n’en ai pas de souvenir particulier, on s’amusait bien.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi le canoë ensuite ?

Olivier Marchand : Pontivy est un club de canoë. Ils aiment bien la bivalence pour que tout le monde sache manœuvrer les deux types de navigation. Il y a le jeu de la stabilité, de la direction. Une fois qu’on commence à aller droit et qu’on tire sur le bateau, c’est là où tu commences à vraiment pagayer. Ce sont des étapes que tu n’as pas en kayak, qui reste plus stable. En canoë, il n’y a pas de barre de direction.

Il existe aussi un genre de CAPS en canoë, une sorte de baignoire sur l’eau, pour tomber de là, il faut y aller. Si tu te tiens en arrière dans le bateau tu t’affales, et tu n’as pas la bonne stabilité. Il faut bien tenir sur ses jambes. C’est l’étape d’après qui est plus compliquée, la coque est en V, le bateau a plus tendance à se mettre sur la gîte. Il y a plus de baignade à ce moment là.

Moi j’ai fait du canoë en minime 1 et c’était parti. L’objectif était pour le club de faire les régates de l’espoir. On s’est préparé tranquillement. C’était à Belfort, on campait au bord du bassin. C’était simple, rustique mais sympa.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi avoir choisi le canoë au kayak ?

Olivier Marchand : Le défi de tenir sur une embarcation moins stable. On est plus haut sur un canoë, on est plus libre dans les positions. Tu te crées tes propres calages pour la navigation. En kayak c’était beaucoup plus difficile de trouver les bons réglages. En canoë, c’était beaucoup plus simple.

Les Secrets du Kayak : Comment ça s’est passé tes premiers championnats de France ?

Olivier Marchand : Laborieux ! On est tombé à l’eau en C2. On a fait une course C4 500m je ne me souviens plus du résultat. C’était le déclencheur pour en vouloir plus.

Avant ça c’était pour s’amuser, sans volonté de nous pousser mais juste nous donner envie de pratiquer. On ne voyait pas le côté compétition.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’à ton jeune âge, tu mets des choses en place pour performer plus ?

Olivier Marchand : On s’entraînait deux séances par semaine, et quelques dimanches. Ce qui était super, c’était la progression qui se faisait très vite.

En minime 1, tu tiens à peine en bateau, et l’année d’après je fais deuxième aux régates de l’espoir. Tu envoies de la cadence et du rythme, tu n’es plus hésitant sur ta gestuelle, tu peux faire varier ton rythme et faire de la stratégie.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’au club de Pontivy, il y avait des athlètes de l’équipe de France ?

Olivier Marchand : Oui, à cette époque en 1992 c’était les JO de Barcelone, et il y avait Olivier Boivin qui a fait sa médaille, on le supportait tous. C’était énorme. A son retour c’était la grande fête.

Il y avait Claudine Leroux qui commençait à s’occuper de nous. On avait quand même des modèles dans notre entourage. Il y avait une dynamique et une culture sportive. On nous avait emmené voir le championnat du monde à Vaires-sur-Marne, c’était génial. On campait à côté et on pouvait approcher les athlètes. Ça fait des souvenirs un peu spectaculaires.

Les Secrets du Kayak : Tu te mets à rêver de l’équipe de France, et de faire les JO ?

Olivier Marchand : Non même pas. Je pense que j’étais dans le top trois français, mais je ne me l’imaginais pas. Le but était de progresser. Pour être en équipe de France, il fallait se confronter aux juniors, et il y avait un petit fossé. Il y avait encore une marche à franchir.

J’ai du faire un peu plus d’entraînements le soir, un peu de PPG, de course à pieds à la maison.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu es passé par un cursus sport étude ?

Olivier Marchand : Non, ça aurait été à Rennes et je n’en ai pas eu l’idée. Les pôles espoirs n’étaient pas trop développés. La dynamique Bretagne était à Pontivy. Donc on était au bon endroit au bon moment. On avait un bon encadrement avec Claudine qui faisait aussi les séances avec nous. Et on avait Jean-Pierre Lafont, CTR qui sur son temps libre s’occupait du club, tout comme aujourd’hui.

Le sport étude aurait pu aider sur certains points. J’ai réussi à concilier les études et les entraînements qui devenaient plus intensifs. Je pouvais m’entraîner presque tous les jours dès la troisième. Et en seconde, on était un groupe d’athlètes à s’entraîner ensemble, le midi on avait un créneau de deux heures, on allait à la piscine, on déjeunait et on repartait en cours. Pareil, dès qu’on avait un trou de deux heures.

Avec du recul on peut s’entraîner dans un club, à partir du moment où le volume horaire est quasiment le même, c’est une autre organisation. On s’entraîne sur des heures décalées. C’est de la motivation intrinsèque. Le tout est d’avoir un bon site d’accueil et un lycée proche du club.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu penses qu’il faut performer jeune pour performer plus tard ?

Olivier Marchand : On peut performer tôt ou tard. Mais il faut que le bagage physiologique soit présent assez tôt. Il faut de bonnes capacités d’aérobie, de résistance, d’endurance à l’effort, avoir le goût de l’effort. La culture de l’effort doit être là tôt pour moi. On peut venir plus tard sur le haut niveau en canoë et en kayak. On a de bons exemples tel que Maxime Beaumont, il est devenu fort en vieillissant.

Les Secrets du Kayak : C’est quoi la culture de l’effort et comment l’apprendre ?

Olivier Marchand : Elle est liée à l’encadrement, l’entourage familiale. Le goût de l’effort, c’est aussi de faire d’autres sports, moi c’était les sports de glisse. Il faut aussi aimer l’activité que l’on fait. On peut donner le goût à l’activité en faisant passer des caps.

Ce que tu apprends à l’initiation n’est pas la réalité de l’activité. Il faut accepter de passer par des étapes laborieuses pour se faire plaisir ensuite. A partir du moment où tu progresses, c’est là où tu prends goût à ce que tu fais.

Les Secrets du Kayak : En junior, tu es sélectionné en équipe de France, c’est une surprise ?

Olivier Marchand : Oui. En cadet, j’étais dans les deux trois premiers. Pour junior, je voyais ça de loin, l’échéance se passait au Japon, j’ai tout fait pour y arriver mais sans y croire. Aux sélections pour l’équipe de France un seul C2 pouvait être pris. On ne passe pas, on fait le monoplace et je gagne. Ça s’est joué au centième. J’étais le meilleur mais je n’allais pas aux championnats du monde.

A l’issue des piges j’échangeais avec Olivier Boivin, il a prospecté pour que le meilleur C1 soit pris dans les trois catégories. J’ai appris que j’étais pris bien plus tard. Mais si je n’avais rien fait il ne se serait rien passé. Olivier a été beaucoup pour cela. Donc oui ça été une surprise.

On a embarqué sans plus de préparation que cela. On n'a pas fait de stage ni de préparation. Tu découvrais tout sur le terrain.

Les Secrets du Kayak : C’était comment ces premiers championnats du monde ?

Olivier Marchand : C’était au Japon, une autre culture. On est parti dix jours, on a eu le temps de se poser là bas. C’était sur le lac Motosu au parc du Mont-Fuji, au milieu de nul part. Un endroit magnifique. Super accueil, l’hôtel au top style européen. En arrivant à l’hôtel on se déchausse, ils nous regardent bizarrement, on remet les chaussures à l’occidental. On pensait être complètement dépaysé.

On n’a pas voyagé avec nos bateaux, c’est un fabricant qui a fourni tout le parc à bateaux. On a eu le temps de se caler dedans, du matériel tout neuf, mieux que le miens. Et on s’est lancé, je faisais le 500m et le 1000m.

Ça se passe bien, j’enchaîne les courses. Je passe en finale sur le 1000m. Sur la finale, j’ai tout donné et je finis sixième en junior 1. C’était inattendu.

Finalement, j’ai fait la meilleure performance de tout le collectif, alors qu’on ne voulait pas me prendre. Il faut tout donner, sans se poser de question.

Les Secrets du Kayak : Comment se passe la suite pour toi en junior 2 ?

Olivier Marchand : Je ne gagnais pas les France mais les sélections équipe. Ça continue bien. C’était les championnats d’Europe en Pologne, on a eu un stage hivernal de ski. Mais c’est tout. Juste l’échéance terminale. On avait un bon effectif, et un bon collectif. La fédération avait mis les moyens. On avait une préparation en Allemagne juste avant l’échéance. Je fais 9 ème en C1.

J’accède facilement à la finale mais j’ai subit la finale, en plus c’était l’année du BAC.

Dans une organisation individuelle, il faut s’entourer. Le club était un peu plus désertique, mais j’avais ma motivation intrinsèque. On avait les séances club du mercredi et samedi, le reste je le faisais tout seul, mais avec une programmation faite par Claudine.

Les Secrets du Kayak : Tes études supérieures se sont faites en fonction de tes ambitions en canoë ?

Olivier Marchand : Oui, ça a joué. Je me suis orienté par défaut sur le Staps. Je suis passé ensuite d’entraînements club à des entraînements pôle France à Vaires-sur-Marne, hébergement à l’Insep. Donc 7j/7 et 24h/24 à l’Insep. Je ne rentrais pas souvent à Pontivy, il fallait 7 heures de route.

La structure de l’Insep protège. On faisait tout sur place, et pour aller à Vaires c’était en navette. On faisait trois entraînements par jour dès senior 1.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que le changement d’entraîneurs et d’environnement te font passer un cap supplémentaire ?

Olivier Marchand : Oui il y a une progression, mais non j’ai davantage servi de partenaire d’entraînement qu’autre chose. Il y avait un groupe qui était assez fort. L’entraînement n’est pas centré sur toi. J’ai pas mal subit mais ça se passait bien.

Mais il n’y avait pas de personnalisation de l’entraînement. Le rythme n’était pas du tout adapté à ma situation. Je rentre quand même en jeune moins de 23 ans mais les performances n’ont pas décollé.

Un hiver je me suis cassé le poignet, bref j’ai cumulé de la fatigue et perdu l’envie. On peut se professionnaliser et garder un côté ludique, mais moi je me suis trop éloigné de la structure club. Tout s’est bien passé mais je n’étais pas dans les meilleurs par rapport à mes années junior. Ce n’est pas que l’entraînement, ça vient de moi aussi. Ça manquait de vie et de dynamique.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’à un moment tu retrouves cette dynamique qui te refait progresser ?

Olivier Marchand : Non pas tant que cela. J’ai fait 5 ans à Vaires-sur-Marne, ça ne m’a pas fait décoller. Pourtant, on faisait beaucoup de stages que ce soit de ski, ou à Séville. J’étais trop dans un gros moule. Ensuite je suis parti à Angers en pôle, j’étais en couple avec ma femme. On cherchait à partir de Paris, le choix de sa scolarité s’est orienté sur Angers. J’y ai fait deux ans, et à 24 ans j’ai arrêté ce parcours. Il a fallu gagner à manger.

A Angers c’était bien, j’ai eu Fred Loyer, il était à Vaires on s’est rejoint à Angers, il a essayé des choses nouvelles. Mais financièrement ça n’allait plus, on ne vivait pas du sport, j’ai fait quelques petits jobs d’été. Mais ce n’était pas suffisant.

Je finissais mes études de Staps. J’étais en filière entraînement sportif. J’ai travaillé au club à Angers, ils étaient prêts à me détacher du temps, mais faire les deux en même temps c’était compliqué pour moi et j’avais la certitude d’être un bon entraîneur.

J’ai continué à faire les France.

Les Secrets du Kayak : Tu n’as pas de regrets d’avoir quitté Pontivy ? Si tu pouvais revenir en arrière qu’est-ce que tu changerais ?

Olivier Marchand : Beaucoup de choses. Découvrir d’autres ambiances d’entraînement, à l’étranger, c’est important. En France, on est convaincu de bien faire alors que les autres font mieux. C’est ce que j’ai fait pour un de mes jeunes, je l’ai envoyé au Canada côté anglophone. Il s’entraînait beaucoup. Il s’est aperçu qu’en France il performait facilement mais que pour réussir à l’international ce n’était pas pareil. Malheureusement il a vite arrêté après cela.

On entraîne nos jeunes pas que pour en faire des champions, mais aussi pour les expériences de vie. On est là pour donner le goût de l’activité, le goût de l’effort, toutes les valeurs nécessaires dans le travail plus tard. Apprendre à se donner les moyens d’y arriver. Pour moi un club, une fédération, une association sportive ça sert à cela. La persévérance est hyper importante.

Moi je suis content d’avoir vécu ça. Je n’ai pas été le meilleur mondial mais j’ai beaucoup appris. J’ai essayé de transmettre cela à Angers à l’époque.

Les Secrets du Kayak : Pendant combien de temps tu as été entraîneur ?

Olivier Marchand : Pendant 4 ans à Angers, ensuite ma femme a eu son concours, on a bougé en Sarthe. J’ai entraîné le club à Tours mais pas à temps plein. Ça ne collait pas vraiment, je faisais un temps plein sur un mi-temps. Il y avait une incompréhension entre ce qu’on attendait de moi et ce que je faisais.

L’entraînement club, ce n’est pas si simple. Il faut savoir faire plein de métiers en un seul métier. Dans le milieu associatif tu as le salarié, l’expert, puis après ce sont des bénévoles qui tous ne connaissent pas l’activité du kayak professionnel. Donc il peut y avoir des incompréhensions entre le dirigeant de club et les salariés. Ce qui fait qu’on a souvent du mal de trouver des gens qualifiés pour encadrer les clubs.

Donc j’ai renoncé à entraîner. Il faut être disponible le soir, les vacances, les week-end. On venait d’avoir notre premier enfant, puis notre deuxième donc j’ai changé de voie.

Je suis reparti à la FAC pour une année en alternance, licence pro dans le bâtiment, dans l’écoconstruction. J’ai fait un gros stage dans la construction de bâtiment sportif. La boîte ne pouvait pas m’embaucher à temps plein. Ensuite j’ai dérivé vers le Télécom dans un bureau d’étude, je suis reparti de zéro. Maintenant je m’occupe de tout le déploiement fibre optique d’une zone.

Je travaille comme j’entraînais, je mets beaucoup de pédagogie dans le travail, j’aime bien transmettre et accompagner, adapter le travail par rapport à la personne qu’on a en face.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’aujourd’hui tu continues à faire du canoë ?

Olivier Marchand : Oui, je suis de plus en plus mauvais et réjouis à flâner sur l’eau. Je comprends la frustration que de ne plus savoir naviguer à grande vitesse comme au temps où on est en haut niveau. Mais c’est dommage d’avoir fait tant d’années de sport, d’être bon dans un domaine, et de tout lâcher.

J’ai lâché beaucoup de fois mais je suis revenu avec des choses en moins. Il faut l’accepter ce qui permet d’avoir plus de plaisir, de passer plus de bon temps. On peut voir les choses autrement. J’ai toujours continué la course à pieds, le ski de fond. Je fais toujours une ou deux activités par semaine. Je fais du sport avec mes enfants. On essaye de redonner le goût du sport aux enfants. C’est un cycle qui se poursuit.

Je suis toujours allé là où il y avait de l’eau plate, donc j’ai toujours eu tendance à aller glisser sur l’eau.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Yves Masson

Retrouvez tout sur Yves Masson dans cet épisode des Secrets du Kayak. Qui est-il et qu’a-t-il fait pour performer et faire performer les autres ?

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Yves Masson en mai 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Yves Masson : Je vais très bien, merci.

Les Secrets du Kayak : Tu es la première personne que j’interviewe qui a écrit un livre.

Yves Masson : A vrai dire, j’en ai écrit deux. Je les ai écrit lorsque j’ai été blessé ou malade, pour m’occuper. J’aime beaucoup “Animer pour gagner”. Ce sont les commandements du jeune entraîneur pour créer de la performance, dès l’animation de base dans les clubs puisque c’est la première connexion qui se crée. Le deuxième, c’est plus un guide pratique des raids que j’ai fait.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu découvert le kayak.

Yves Masson : Je faisais de l’athlétisme enfant, et l’été avec mes parents on campait dans les Gorges de l’Ardèche. On suivait nos parents dès que c’était possible, et ensuite on s’est inscrit au club de Saint-Étienne. Ça m’a plu, j’ai laissé tomber l’athlétisme, j’ai fait du kayak pendant un an, et par hasard je suis tombé sur de la compétition.

Les Secrets du Kayak : Tu commences par quoi dans le kayak ?

Yves Masson : A Saint-Étienne, c’était de l’eau-vive dans les rivières de la région. J’ai fait un an de rivière classe III - IV. J’avais 12-13 ans. On faisait du kayak le samedi, on campait en espérant qu’il gèle pour faire sécher les vêtements.

Les Secrets du Kayak : Comment s’est passée ta première compétition ?

Yves Masson : Le club nous a demandé de jouer le jeu de la compétition à Bellegarde. C’était un combiné kayak / ski de fond au mois de janvier. Avec mon frère on gagne le ski de fond. Kayak dans le même après-midi en kayak de descente, ce qu’on n'a jamais fait.

A nouveau on gagne ! C’était mémorable. On a été pris en stage régional, c’était la grande époque mythique du kayak. On a passé des moments merveilleux, on était polyvalent. On nous a permis d’avoir un feeling de la découverte et de l’autonomie.

Les Secrets du Kayak : Moi qui suis plus jeune, j’ai lu Danger Zone, c’est un peu l’âge d’or de la descente ce livre ?

Yves Masson : L’âge d’or, c’était quand la descente allait être au JO. Quand l’eau-vive est arrivée aux JO et surtout le slalom, la descente a pris un coup sur la tête. Quand tu regardes ce qu’on faisait en descente, la gestion du risque était plus ou moins maîtrisée, aujourd’hui ça ne se ferait plus. Plus personne ne prend ces risques pour les enfants.

C’est un mouvement naturel, dans un sport comme celui ci les Jeux c’est énorme. Si tu te projettes, tu verras que les jeunes d’aujourd’hui feront du boardercross, ce qui tuera le slalom. Le kayak a l’illusion d’être moderne et créatif, alors que c’est une activité patrimoniale, archaïque et traditionnelle.

Si tu fais le parallèle comme avec le ski ou le vélo, c’est la même chose. Mais en kayak tu restes figé et tu n’es pas capable de faire ces évolutions.

Je pense aussi qu’il y a eu de grosses erreurs de faites sur les normes des bateaux. L’activité est déjà d’elle même en difficulté et à cela se rajoute des normes qui la rendent encore plus difficile. Et au final tout le monde fait du kayak. Évoluer n’est pas une insulte à la pratique.

Les Secrets du Kayak : Moi je trouve que le kayak c’est très difficile de s’y mettre âgé, c’est compliqué que d’acheter un bateau dans lequel tu peux rentrer dedans, c’est pour cela que je suis dans un surfski parce que c’est accessible.

Yves Masson : Le surfski a résolu un problème énorme, ça a été inventé par des nouveaux pratiquants du kayak. Pourquoi s’embêter avec un kayak fermé ? Demain, tu fais des bateaux de courses en ligne en surfski, l’hiver tu t’équipes, tu règles pas mal de problème de sécurité en surfski dans la pratique chez les jeunes.

Pour l’accès à la pratique, on essaie de maintenir la jauge. Et pour quelqu’un de ton gabarit, tu trouveras un bateau d’eau-vive pour descendre le Fier en toute sécurité, aller à Bourg-st-Maurice... Mais si tu habitais en Allemagne ou en Hollande, tu n’aurais pas ces problèmes de gabarit.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu as pu performer au niveau mondial ?

Yves Masson : J’ai fait une petite rupture pour passer la première année de médecine, j’y arrive du premier coup. J’ai arrêté médecine en troisième année. Pendant ces années, je m’entraînais deux fois par semaine, mais pour ma détente psychologique.

Ensuite je me suis davantage entraîné. D’avoir fait médecine, j’avais un réel avantage pour comprendre la physiologie et l’anatomie. A cette époque se développait l’entraînement sur les filières énergétiques.

Dans les années 1980 c’était le début du fractionné, ce n’était pas facile d’accès. Sans être un super athlète, tu arrivais par cette méthode à performer le jour J.

C’est avec l’arrivée de la pagaie creuse que j’ai compris que je pouvais performer au niveau mondial. La pagaie plate demandait un certain feeling dans l’eau. La pagaie creuse permettait la transposition de la musculation dans la pagaie. Je n’avais pas de don physiologique extraordinaire, mais j’ai gagné grâce à ça.

Ensuite j’ai voulu faire de la course en ligne, je m’entraînais avec Lubac, Bregeon,Vavasseur, puisque j’étais à l’Insep. En 1993, j’ai tenté la sélection des JO, mais être dans les trois meilleurs français n’était pas suffisant. Si tu n’as pas le quota c’est mort. Le jeu n’en valait pas la chandelle donc j’ai arrêté.

Ensuite je me suis retrouvé sur les Raids Gauloises. Toujours essayer de trouver des choses, s’inspirer des autres sports. La natation m’a aidé. Ma théorie était de dire que c’est l’athlète qui crée l’appui, tu ne subis pas l’appui généré par la pagaie. Si tu la subis ton potentiel d’accélération est moindre.

J’ai aussi souligné le problème de la cadence. En vélo les gars avant appuyaient fort pour une faible cadence, ils se sont aperçus que pour générer la même puissance un braquet un peu plus petit avec une cadence élevée travaillent moins musculairement. Dans le kayak, les gens se perdent dans un appui trop important qui ne leur permet pas de générer suffisamment de cadence propre en phase contrôlée.

J’ai adoré faire du sprint en kayak de descente parce que les montées en cadence étaient super importantes. Il faut de la puissance musculaire mais aussi de la coordination à très haute fréquence, et ça s’apprend à côté. Quand tu regardes les cyclistes, ils font beaucoup d’exercices de coordination de pédalage à vide pour pouvoir pédaler très vite. En kayak on a toujours qu’un seul braquet sans autoriser le travail de la coordination fine.

J’ai aussi fait des sports de combat, tu y travailles aussi la vitesse. C’est la vitesse qui te rend plus fort. En athlétisme toutes les gammes de vitesse t’aident. Si j’étais resté dans le kayak cet aspect du travail puissance-force / cadence-coordination m’aurait intéressé.

Les Secrets du Kayak : Quand tu t’entraînais ça t’arrivait de changer de pagaie en fonction de la séance ?

Yves Masson : Oui et si je pouvais m’entraîner avec Lubac je changeais de matériel et de bateau pour augmenter mon panel de sensations. Et c’était contemporain, d’autant plus que la préparation mentale à l’époque à l’Insep c’était pour les gens en difficulté.

Moi j’ai fait de la préparation mentale accès pour optimiser ce que tu vas faire le jour J. C’était intéressant car tu explorais différentes sensations. Plus tu le fais loin des échéances, moins tu mets de pression et plus ça te rassures. La performance pour moi c’est tuer l’incertitude, mentalement ça te crée une marge de créativité énorme, et ça te permet de sentir les bons coups.

Si tu es submergé par des doutes, tu n’es pas disponible mentalement. Ça permet aussi de faire un travail d’analyse des paramètres qui dépendent de toi et qui ne dépendent pas de toi.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as une explication sur le fait que beaucoup de français sont forts en descente ?

Yves Masson : Il subsiste une tradition d’entraînement de la descente qui semble plus pertinente que pour la course en ligne. Ce que tu ne retrouves pas forcément dans les clubs de course en ligne. Le niveau de compétition à l’international n’est pas celui de la course en ligne en descente.

En France il manque de moyens financiers, à l’étranger les finances sont concentrées sur l’Olympisme. Avec beaucoup de respect, leur niveau n’est pas celui de la course en ligne. On ne parle pas des mêmes choses.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu as arrêté le kayak pour passer au raid ?

Yves Masson : Le hasard. J’ai remplacé un gars qui a planté l’équipe. J’ai fait des entraînements pour voir, ça m’a plu, j’ai fait de l’endurance longue, j’ai atteint un haut niveau.

L’endurance c’est transporter son poids, donc en maigrissant ça passe bien. J’ai beaucoup maigri. En marathon 1 kg = 4 minutes. Ça s’est fait naturellement, j’ai gagné assez vite. A 40 ans je n’avais plus trop le temps pour ça. Ensuite, j’ai fait 3 fois l’UTMB.

Les Secrets du Kayak : En dehors du kayak, tu as fait beaucoup d’activités annexes ?

Yves Masson : Ce qui m’a fait le plus progresser, c’est la natation. Je faisais des journées triathlon. Je savais que les hongrois faisaient beaucoup de natation, ce n’est pas par hasard. Mais il faut aimer nager.

Et je courais une heure et demie par ci et par là. Mais ça crée des micro-traumatismes, donc c’est une fatigue pour l’organisme qui impacte la performance. Pour moi ça handicapait ma récupération générale. Je faisais des séquences assez courte, et je faisais beaucoup de vélo l’été, qui ne génère pas de micro-traumatismes.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi avoir arrêté les raids ?

Yves Masson : Il y a eu pas mal d’accidents avec des décès. Et économiquement ce n’était plus trop possible. Tu as une phase optimale sur ce type d’épreuve et ensuite ça descend. Le trail a émergé en même temps, et c’est plus facile et plus économique que de faire du raid.

Tous les amis que j’ai préparé pour l’UTMB ont tous terminé l’épreuve, et proprement. C’est une autre annexe de ma philosophie de l’entraînement. Avant de te prendre la tête avec le spécifique, il faut des bases qui sont communes à tout les sports.

Analyser ses forces et ses faiblesses, travailler les points faibles à grande distance de l’échéance, travailler les points forts intensément dès que tu approches de l’échéance, avoir une programmation d’entraînement béton, fuir les gens qui te disent que ça va le faire.

Faire beaucoup d’évaluation. Être au clair sur les paramètres physiologiques, la préparation mentale, la visualisation. Créer une structure de préparation de l’entraînement. Connaître sa réalité socio-professionnelle pour les prendre en compte. Il faut tout prendre en compte pour programmer son entraînement. Souvent les gens ne prennent pas en compte la fatigue mentale. Tous les stress et fatigues s’accumulent.

Les Secrets du Kayak : Tu as entraîné les autres mais est-ce que toi on t’a entraîné ?

Yves Masson : Non on m’a donné envie de m’entraîner, mais j’étais curieux grâce à mes études de médecine. Donc j’ai lu beaucoup sur les entraînements de natation, de course à pieds, de vélo. En théorie de l’entraînement j’avais les bases, c’était de la logistique qu’il me fallait de la part d’un entraîneur.

J’ai échangé avec des entraîneurs mais que sur des analyses techniques. Ensuite il y a eu une génération d’entraîneurs qui s’est formée.

En emmenant mon enfant sur les compétitions, je me suis aperçu que pendant dix ans rien n’avait changé, l’entraînement n’était pas même remis en question.

Ce qui fait que tu te retrouves dans des impasses psychologiques, comme l’obsession de la cadence basse. Tu t’enfermes dans des trucs. Ce manque de curiosité me tue. Surtout à l’heure de l’internet et de la technologie. Pour moi ça génère une perte de la mesure scientifique importante.

Les Secrets du Kayak : Moi j’ai l’impression que les jeunes athlètes sont forts assistés par les entraîneurs, et de fait ne sont pas curieux.

Yves Masson : Les jeunes athlètes ont le droit de ne pas savoir ni lire ni écrire et d’avoir un bon entraîneur. Ils peuvent être curieux, mais en même temps si ni l’un ni l’autre n’est curieux et que tu continues à t’entraîner pareil alors que tu te prends une claque aux JO, à un moment il faut changer quelque chose.

Je n’en voudrais jamais à quelqu’un de tenter des choses, quitte à se tromper, mais refaire éternellement les mêmes choses pour avoir les mêmes résultats, c’est ce qui me choque. Tout ça est financé par l’argent public. Leur travail est de réussir, il y a un degré d’exigence à demander.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi être parti de jeunesse et sport ?

Yves Masson : Quand on a fait le livre Animer pour gagner, il fallait aussi innover et donc changer les personnes, on a appliqué du sang neuf, on est sorti du système et je suis parti dans le taekwondo qui devenait sport olympique. Ils avaient besoin d'un cadre de fédération bien organisé. J’y ai vu un autre modèle d’encadrement. Sur les compétitions tu ne connais personne. Du coup tu peux te faire défoncer facilement par quelqu’un que personne ne connaît.

J’ai arrêté au bout de trois ans, je suis devenu directeur de cabinet de la mairie du 4è arrondissement de Lyon. J’ai démarré une carrière politique, j’ai replacé le sport dans la vision de la société, mais finalement c’était le même métier, j’ai coaché pour atteindre des objectifs.

Ensuite j’ai eu d’autres belles opportunités pour faire comprendre toutes ces idées géniales. J’ai mieux cerné la place du sport dans la société et comprendre comment la financer. Il fallait trouver des convergences dans mon métier en politique entre tous les partenaires, publics, privés et les athlètes. Trouver des points communs pour travailler sur les réalités socio-économiques et leurs enjeux. Pour moi le haut niveau est un produit d’appel, du développement marketing au développement d’une fédération. Il est censé évoluer en fonction des attentes du moment.

Pourquoi dans la majorité des autres pays la navigation en mer a été développée ? Il suffit de supprimer le K2 500m pour le développer et intéresser le grand public pour exister, peu importe que ce soit de la pirogue, du surfski, on s’en fou, juste être sur la mer avec des kayaks, le rendre populaire pour que les gens achètent le même kayak pour en faire.

Le but est de rendre accessible le kayak au grand public. On ne peut pas vivre dans une bulle qui se recroqueville sur elle même et qui se débat dans tous les sens, au risque de se refermer sur soi dans la pratique du haut niveau.

En France tout est rendu compliqué dans le kayak. Le vrai sujet c’est qui doit payer le vrai coût du kayak. Les partenaires publics se désengagent, peu de clubs arrivent à avoir des partenaires privés, donc c’est le pratiquant qui paie. Donc comment réduire les coûts ? Il y a des standards d’accession à des diplômes et d’organisation qui génèrent des coûts invraisemblables qui ne sont plus pris en charge par les associations.

Confondre le coût de la pratique et son impact social n’a rien à voir. Plus le kayak est bradé moins il y a de jeunes qui en font.

Les Secrets du Kayak : Le monde du kayak est assez fermé, du coup il y a moins de pratiquants et l’activité n’est pas assez valorisée pour permettre aux pratiquants de payer plus et participer à son coût.

Yves Masson : En fonction de ton club, le tarif n’est pas le même. Exemple à Lyon, tu paies pour une prestation, pour un prêt de matériel, un encadrement. Le prix de la licence est trop peu élevée par rapport à d’autres sports pour lesquels il n’y a pas de coût de transport etc. Le premier truc qui va sauter c’est le coût du transport. Les gens s’organisent assez bien entre eux.

Les Secrets du Kayak : S’il y avait une chose que tu devais refaire dans ta carrière sportive ?

Yves Masson : J’aurais fait une petite pause pour aller voir quelques coupes du monde en tant que spectateur. Prendre le temps de regarder ce qu’il se passe, ce que tu ne peux pas faire quand tu pratiques. Le but : avoir un regard neuf sur ce qu’il se passe, et donner quelques astuces après la saison.

J’ai fait des choses, des postes dans ma vie que je n’aurais jamais imaginé. Je ne m’interdis rien, et je reste souvent à l’écoute des propositions et surtout quand elles sont un peu décalées.

Vous pouvez retrouver Yves Masson sur son compte Facebook.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Olivier Berthou

Retrouvez tout sur Olivier Berthou dans cet épisode des Secrets du Kayak. Comment a-t-il débuté le Kayak de course en ligne ? Quel est son parcours ? Qu’a-t-il fait pour performer ?

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Olivier Berthou en mai 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Olivier Berthou : Très bien merci, bonjour à toi.

Les Secrets du Kayak : Tu es un ancien champion, peux-tu nous rappeler ton premier souvenir de kayak ?

Olivier Berthou : C’était à Boulogne-Billancourt, le club était sous la forme d’une maison en bois installée sur trois péniches. Les hangars à bateaux étaient dans les péniches.

J’ai fait pas mal de natation jusque dix ans. Mes parents voulaient que je fasse du sport mais pas de la compétition, ils m’ont donc poussé à faire une autre activité, donc ça a été le kayak. J’ai commencé en 1979 à 14 ans.

Au début c’était de l’amusement, on essayait un peu de tout, il y avait une bonne ambiance. Il y avait un groupe de compétition, mais je n’en faisais pas partie.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as commencé de suite par la course en ligne, ou par une autre pratique de kayak ?

Olivier Berthou : Au départ tu commences sur des bateaux d’initiation, le club ne faisait que de la course en ligne. Donc le but était d’avoir un bateau de course en ligne, c’était l’objectif des jeunes de mon âge.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui a fait que tu as rejoins le groupe de compétition ?

Olivier Berthou : Xavier Bregeon avait un an de moins que moi, il montait en bateau seul, et moi aussi. Au bout d’un moment on s’est rejoint de par et d’autre de la Seine. On a navigué ensemble en K2 et on a pu suivre les gens plus forts.

Mes parents m’ont laissé aller aux championnats de France en 1980. J’ai du faire dernier. Je n’étais pas doué pour rester dans le bateau. Je me baignais souvent.

Les Secrets du Kayak : Ça m’intéresse, comment as-tu résolu ces problèmes de stabilité ?

Olivier Berthou : C’est l’entraînement, plus tu en fais et plus tu es à l’aise. Ça ne me décourageait pas de tomber, le plus dur était de remonter. Quand il fait beau ça va. Je me suis baigné une fois en hiver en crue, mais je n’étais pas tout seul.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu as persévéré après les championnats minimes ?

Olivier Berthou : En 1980, Bernard Bregeon fait sa première médaille en championnat de France. Je le connaissais de vue, et je voulais faire comme lui. L’année d’après j’étais sur le podium. Je disais à mes parents que j’allais travailler le soir chez des copains. Je m’entraînais en réalité.

Les Secrets du Kayak : Comment se passe l’entraînement à ce moment là ?

Olivier Berthou : Bernard était le catalyseur, il nous entraînait pour performer. Du mardi au dimanche, on montait jusqu’à 5 fois par semaine. En période de vacances, on montait matin et après-midi. On ne faisait pas encore d’entraînement annexe.

Passer de dernier au podium c’était bien, mais j’ai eu de la chance, j’avais un ancien bagage de course à pieds, de natation, et j’étais assez grand. Et j’étais entouré de gens qui pagayaient bien et qui connaissaient l’activité.

Les Secrets du Kayak : A ce moment là en faisant podium, tu rentres en équipe de France ?

Olivier Berthou : Non, plutôt en junior, je faisais partie de l’équipe jeune. Je suis resté ultra motivé. On appréciait l’activité, on avait de la reconnaissance des dirigeants du club, ça faisait plaisir. Là je faisais partie du groupe. En 1982 je gagne tout.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu avais une scolarité aménagée ?

Olivier Berthou : L’école n’était pas mon fort, j’étais en école privée, pas loin du club. Je performais dans le sport, j’ai eu un peu plus de liberté de la part de mes parents, je n’allais donc pas en cours de seconde langue. Ça me laissait plus de temps.

Les Secrets du Kayak : Dès le début de ton intégration dans l’équipe jeune tu fais des compétitions internationales ?

Olivier Berthou : En 1983 il y a les championnats du monde junior. Ils n’ont pas voulu présenter notre K2 avec Xavier Bregeon, on l’a fait en k1 et j’ai fait deux fois sixième.

J’étais un peu déçu, mais je n’avais pas la capacité de faire mieux. Mais j’avais accès à la finale, c’était un belle performance.

Les Secrets du Kayak : Tu t’es ensuite fixé des objectifs plus importants ?

Olivier Berthou : Dès que Bernard est allé à Los Angeles, j’ai eu envie de faire comme lui. En 1985, je suis allé aux championnats du Monde, mais dans ma génération j’étais le seul à avoir continué la pratique du kayak, les autres ont arrêté. Donc j’étais pris par les seniors qui avaient deux à trois ans de plus que moi.

Les Secrets du Kayak : En équipe jeune, il y a un encadrement par la fédération ?

Olivier Berthou : Oui, l’entraîneur c’était notre CTR Bernard Bouffinier. Il nous faisait des programmes qu’on a essayé d’ajuster plus ou moins. Comme je faisais du K1, ils n’étaient pas trop regardants.

Les Secrets du Kayak : A quoi ça ressemblait une semaine d’entraînement à l’époque ?

Olivier Berthou : Il y avait deux théories, soit tu commences par la vitesse, soit tu finis par la vitesse. En France on commençait par la vitesse, la puissance, l’aérobie et des fois du lactique. En Allemagne de l’Est ou en Russie, ils commencent par le moins rapide pour finir par le plus rapide.

L’aérobie tu faisais de la distance à 155 pulses. On n’avait aucune notion de la vitesse du coup de pagaie. On travaillait à la FC, à la ceinture cardio. On faisait un test en laboratoire à l’insep pour les prise de lactate.

Je m’entraînais quasiment deux fois par jour tous les jours.

Les Secrets du Kayak : Beaucoup de personnes de ta génération sont passées par le bataillon de Joinville. C’était le passage obligatoire de l’époque pour performer ?

Olivier Berthou : Ça nous permettait de ne penser qu’au kayak pendant un an. On avait fait des déplacements à l’étranger, notre entraîneur était un ancien capitaine de l’armée en retraite. On était reçu dans les casernes.

Les Secrets du Kayak : Comment c’était les championnats du monde militaire ?

Olivier Berthou : Je dois être l’un des seuls à l’avoir fait. On avait été reçu dans un endroit magnifique. On s’entraînait dans une eau saumâtre. C’était sympa.

En fin de compte, il n’y avait que deux nations, l’Italie et la France.

Le bataillon de Joinville m’a fait progresser mais aussi à faire davantage la fête. On n'est pas assez épaulé là-bas.

Les Secrets du Kayak : Après le bataillon tu reprends tes études en parallèle du kayak ?

Olivier Berthou : J’avais mon CAP électromécanique, mon père est allé voir directement la fédération pour me trouver du travail s’ils voulaient que je continue le kayak. Ça a pris 7 mois, je suis ensuite rentré à la mairie de Paris comme sportif de haut niveau.

J’étais totalement détaché, et rémunéré. J’étais un peu seul, j’étais encore jeune dans ma tête, pas assez mature.

Les Secrets du Kayak : Quand tu sors du bataillon de Joinville tu retrouves ensuite ton groupe d’entraînement à Boulogne ?

Olivier Berthou : Non, chacun a pris sa route, je me retrouve seul, livré à moi même. Vaires-sur-Marne n’existait pas encore. Je n’avais pas encore de voiture, je vivais chez mes parents. De temps en temps il y avait des regroupements le week-end, mais la semaine j’étais vraiment seul.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que par la suite, dans ta carrière, il y a eu un moment où tu as été mieux encadré ?

Olivier Berthou : En fait, à un moment donné je ne progressais plus. J’ai rencontré ma femme, et ensuite j’ai déménagé au Perreux, proche de l’Insep, et c’est là que j’ai été mieux encadré.

En gros entre 1985 et 1986, j’étais tout seul. Je n’avais aucune obligation, et c’était simple de ne rien faire. Donc en arrivant à l’Insep on se retrouvait entre athlètes. On avait un programme cadré mais on était livré aussi à nous même.

A l’époque on était super encadré pour la mise à disposition du matériel, mais aucun encadrement pour le côté humain.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’à partir du moment où tu es entré à l’Insep, tu as commencé à reprogresser ?

Olivier Berthou : Je stagnais, je me posais beaucoup de questions, je ne progressais plus aussi vite. J’en ai parlé à Jean-Paul César qui m’a fait un programme puisqu’il avait un BE3. Et la personne en charge à la recherche à l’Insep me faisait faire des tests pour calculer la vitesse de ma main quand je pagayais avec la force que je produisais quand je faisais du développé couché ou du tirage planche.

Ensuite on m’a dit il faut que tu travailles à tel poids, parce que c’est ce qu’il y a de plus proche de ton activité. Ça m’a permis de passer un cap.

Les Secrets du Kayak : Tu progresses assez pour penser aux JO ?

Olivier Berthou : Oui mais en 1991 il y a les championnats du monde en France et je ne suis pas sélectionné, j’ai pris une grande claque. J’étais trop limite, je prenais de l’âge, des jeunes sont arrivés comme François During, supérieurs à moi.

En 1988, il y a eu deux K4 de fait, un des deux K4 devait être choisi pour aller aux JO. Mais les bateaux étaient à égalité, difficile de choisir lequel irait aux Jeux. Donc ils nous on convoqué pour savoir si on était prêt à casser notre K4 pour en faire un tout autre. On a dit non, mais les autres on dit oui. On est resté à la maison.

Les Secrets du Kayak : Tu sais quand le pôle de Vaires a été créé ?

Olivier Berthou : Oui, c’est moi qui l’ai ouvert. C’était en 1990. J’étais un des premiers à avoir navigué dessus. On était sur les listes ministérielles, mais on n’était admis à aucun stage de l’équipe de France. Mon collègue part s’entraîner en Nouvelle-Zélande, et moi je reste tout seul.

J’avais rencontré un Russe qui m’avait donné son programme d’entraînement. C’était 5 entraînements - 1/2 journée de repos - 5 entraînements, sans compter la musculation. Et toujours quasiment les mêmes séances que tu faisais varier.

Le but du jeu c’était d’être régulier, c’est là où j’ai pris en compte la cadence du coup de pagaie. Les Russes sont des extraterrestres, mais c’est efficace.

Là je progresse vraiment, Bernard suit aussi cet entraînement en revenant de voyage. On va aux France et là on gagne tout ! Il fallait travailler pour performer.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’en plus de ce volume d’entraînement tu faisais de la musculation ?

Olivier Berthou : En musculation je n’étais pas mauvais mais je ne progressais pas. Tu te poses pas de question, tu fais ce que tu peux mais tu le fais. Parfois c’était plus la technique qui me faisait soulever la barre que la force.

Les Secrets du Kayak : Tu performes avec Bernard, mais pourquoi ne pas avoir fait les JO de 1992 ?

Olivier Berthou : C’est là où on est en équipe olympique, mais on n'est pas invité au stage olympique. Pour des raisons que j’ignore. On était les mal-aimés, on dérangeait. Ils ne croyaient pas en nous.

On était bon mais sans plus à leurs yeux. Au moins on était sur les listes olympiques. Donc pendant ce temps où les autres étaient à l’étranger, moi je m’entraînais seul à Vaires-sur-Marne. C’est moi qui ai étrenné le bassin.

Les Secrets du Kayak : En 1992 au moment des sélections vous n’êtes pas passés ?

Olivier Berthou : En 1992, je me suis fait mon propre programme, j’étais à Temple-sur-Lot avec ma femme. Je rencontre un entraîneur de club allemand. J’ai demandé à m’entraîner avec eux, ils ont dit oui.

Les entraînements étaient complètement différents. Quatre entraînements d’une heure par jour, musculation et course à pieds compris. Et tous les deux jours tu fais un chrono. Pendant le stage ça a été, ils m’ont fait un programme pour aller aux sélections.

Il m’a expliqué que je n’étais pas assez fort en endurance musculaire. J’applique en rentrant ce qu’il me demande, deux jours ensuite j’ai cru que mes bras allaient exploser. Je ne pouvais plus les plier, je me suis forcer à pagayer, j’étais plus fort qu’avant. C’était dur mais efficace.

J’ai été efficace à chaque changement de méthode d’entraînement. Il n’y a que la méthode hongroise que je n’ai pas essayé.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que c’est ce qui t’a manqué l’encadrement de la technique pour avoir une meilleure gestuelle ?

Olivier Berthou : Sûrement, après il y a des éducatifs.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qu’il se passe en 1992 pour toi ?

Olivier Berthou : Bernard ne savait pas s’il continuait. Il est parti deux mois. Et me rappelle pour me dire ok pour faire un K2 ensemble. Il rentre la veille des championnats de fond, on ne les fait pas ensemble, mais moi je les ai fait.

On refait le K2 on fait une course internationale en K2 mais il y avait Boccara/Boucherit et on les bat. On est content. On pensait aller en Hongrie. Mais on nous a refusé l’accès.

On continue à s’entraîner. Ensuite on fait Paris, on les bat à nouveau et aussi Lazac/Lancereau. On est content. La fédération ne nous parle pas, il restait une course avant les JO. Deux bateaux par pays. On n'a pas performé en 500m, en K2 1000 on se retrouve en finale avec Boccara/Boucherit, on fait quatrième et eux huitième mais c’est eux qui vont aux JO.

Les Secrets du Kayak : Le fait que les portes se ferment ça te pousse à prendre ta retraite ?

Olivier Berthou : C’est un peu compliqué, on essaie de remuer ciel et terre. On fait une procédure contre la fédération. Notre erreur est d’avoir fait une requête Berthou/Bregeon contre FFCK. On aurait du faire ACBB contre FFCK. On avait moins de poids. Entre le moment où tu fais la requête et où le tribunal statut, les JO étaient passés. On se retrouve à signer un protocole d’accord au comité olympique français pour rester dans l’équipe. Et comme par magie en une année je me suis tapé dix contrôles antidopage, alors qu’en quinze ans je n’en n’avais fait qu’un seul...

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe du coup en 1994 ?

Olivier Berthou : 1993-1994 le corps fatigue, j’ai eu des bons moments et des moins bons. J’ai duré jusqu’en 1996, où je me fait battre par Vincent Olla.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as eu le temps de rencontrer Kersten Neuman et de t’entraîner sous ses ordres ?

Olivier Berthou : Hervé Madoré a eu l’idée de le faire venir en voyant mes performances après avoir fréquenté les allemands. Le seul problème c’est que Kersten Neuman faisait des programmes d’entraînement pensant que les entraîneurs français avaient eu sa propre formation.

Du coup ça n’a pas eu autant de résultats que prévu. Entre ce qu’il souhaitait et ce qui était proposé, ce n’était pas ça.

Les Secrets du Kayak : Tout au long de ta carrière tu n’as pas eu l’encadrement qu’ont eu les jeunes de l’équipe de France. As-tu l’impression d’avoir fait ta carrière au mauvais moment ?

Olivier Berthou : Non, j’ai appris beaucoup de choses, après c’est comme ça. J’ai pu accomplir mon rêve, faire de belles choses. Ça fait toujours progresser.

Les Secrets du Kayak : Tu as connu l’évolution du matériel avec les nouveaux matériaux. Comment c’était de passer par ces différentes phases d’évolution technique ?

Olivier Berthou : Entre la pagaie plate et la Wing c’était compliqué et surprenant. La fédération a demandé de fabriquer des Wing en carbone. On ne maîtrisait pas la longueur idéale, ensuite les angles ont changé, et après Kersten est arrivé. En général nos pagaies sont à 70-75°.

Pour les bateaux, moi j’ai toujours navigué en bateau bois. Je n’ai pas connu les nouvelles formes de bateau.

Les Secrets du Kayak : Quant tu prends ta retraite en 1997 tu continues le kayak pour le plaisir ?

Olivier Berthou : En fait mon président de club ne voulait plus se représenter, donc avec les anciens on a reformé un bureau. Je devais être vice président et au dernier moment j’ai été propulsé président du club pour huit ans.

C’était intéressant mais compliqué. Beaucoup de réunions jusque tard la nuit, je me levais à six heures le lendemain, des fois c’était dur.

Je travaillais à cette époque à plein temps. J’ai aussi un peu entraîné, mais je faisais plus des programmes, je n’allais pas sur les bassins voir leur technique.

Les Secrets du Kayak : Après cette présidence, tu sors définitivement du monde du kayak ?

Olivier Berthou : Je regarde de loin ce qu’il s’y passe, je navigue très peu à peine trois fois par an. La logistique est compliquée à Paris. Même si on a une bonne équipe de vétérans.

Les Secrets du Kayak : Tes enfants font du kayak ?

Olivier Berthou : Non ils ont fait d’autres sports, mais pour la condition physique.

Les Secrets du Kayak : Si tu revenais en arrière et que tu devais changer quelque chose dans ta carrière, qu’est-ce que ça serait ?

Olivier Berthou : Il aurait fallu que je mange plus pour être plus fort en musculation. Je le vois avec le recul puisque j’ai continué la musculation. L’alimentation et la musculation en kayak ça peut changer énormément de choses.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passait l’alimentation pendant ta carrière ?

Olivier Berthou : A l’Insep il y avait une diététicienne et j’aimais bien faire à manger. Il n’y avait qu’en stage où tu mangeais ce qu’on te proposait. On n’avait pas de compléments alimentaires, on faisait attention.

Les Secrets du Kayak : Tu t’entraînais toute l’année ou bien tu faisais des coupures l’hiver ?

Olivier Berthou : J’essayais de monter toute l’année, j’avais été en sport étude à Besançon, je n’avais pas supporté la grosse coupure.

Les Secrets du Kayak : J’ai l’impression que tu n’as pas fait beaucoup de stages à l’étranger ?

Olivier Berthou : Quand j’étais plus jeune j’étais partis deux trois mois en Pologne en junior. Idem en 1991 mais pour 15 jours. Ensuite Hongrie, puis Mexico. Les stages entre athlètes c’était compliqué, ma femme travaillait, j’ai fait l’Afrique du Sud, Séville.

Ce que j’ai apprécié c’était les entraînements avec les Russes où les Allemands de l’Est. Leur façon de voir les choses était différente, c’était très réfléchis.

Les Secrets du Kayak : Des regrets pour ta carrière ?

Olivier Berthou : Le regret c’est de ne pas être allé aux JO. Mais le fait d’avoir écouté tes podcasts ça m’a fait comme une thérapie. Et je voulais t’en remercier. D’autant plus qu’on est des amis entre nous quand on est jeunes mais on ne se connaît pas vraiment en réalité. Grâce à ton travail, on apprend à connaître les personnes différemment.

Les Secrets du Kayak : Mon but est aussi d’essayer de découvrir qui se cache derrière les champions et de montrer qu’il y a davantage d’humanité qu’on ne le pense, et qu’on est pas si différents.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Bernard Bregeon

Retrouvez tout sur Bernard Bregeon dans cet épisode des Secrets du Kayak. Retour sur sa carrière d’athlète de haut-niveau en kayak de course en ligne. Bernard nous parle d’une époque où la pagaie était en bois, de belles anecdotes !

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Bernard Bregeon en avril 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Bernard Bregeon : Très bien, merci.

Les Secrets du Kayak : Quel est le premier souvenir de kayak que tu peux te remémorer ?

Bernard Bregeon : J’étais nageur à l’époque et mon club de Boulogne-Billancourt venait faire des séances d’esquimautage à la piscine. J’ai sympathisé avec quelque gars qui m’ont proposé de faire un tour, et j’ai accepté.

Au départ, j’étais un petit nageur. Mais j’ai touché à tout comme beaucoup d’enfants, sans être performant dans une discipline. C’était plus par amitié que j’ai fait du kayak que par la connaissance de la discipline.

Les Secrets du Kayak : Cela veut dire que la première chose que tu as appris, c’est l’esquimautage ?

Bernard Bregeon : Ça devait être dans mes premiers apprentissages avec le kayak polo. Ensuite je me suis rendu au ponton, au club dans les six mois qui ont suivi. Je devais avoir 12 ou 13 ans.

Les Secrets du Kayak : Tu n’as pas commencé de suite par la course en ligne ?

Bernard Bregeon : Non mais rapidement c’est venu. J’en ai fait sans faire de compétition, dans des bateaux faciles.

Je n’étais pas du tout bon, j’ai commencé plus tard. Mes premières compétitions c’était en cadet.

Les gars du club avant moi étaient performants, moi je suis arrivé pendant un creux d’athlètes moins performants. On faisait du kayak pour s’amuser.

Les Secrets du Kayak : A cette époque tu faisais combien de séances par semaine ?

Bernard Bregeon : Le mercredi après midi, le samedi après-midi. Parfois quelques dimanches. En cadet on devait courir un peu l’hiver quand le plan d’eau était moins praticable. On naviguait tout simplement, on se tirait la bourre sur notre tour de bateau.

Les Secrets du Kayak : Comment ça s’est passé pour progresser et atteindre le haut niveau ?

Bernard Bregeon : Comment, je ne sais pas. Mais après junior 1 c’était plus intensif. Tout de suite il y a eu de bons résultats, j’ai fait les championnats d’Europe junior, aux France ça a bien marché aussi. C’était plus sérieux.

Les premières compétitions et les stages étaient plus présents à cette période. J’ai vraiment évolué entre junior 1 et junior 2.

Tout s’est fait de fil en aiguille, c’est à ce moment où j’ai eu mes premières médailles.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ton entraînement change drastiquement de ce fait là ?

Bernard Bregeon : Entre mon début et ma fin de carrière on n'a jamais eu d’entraîneur, on a toujours été autodidacte, on se faisait nos plans d’entraînement tout seul, même en équipe nationale. On a eu des personnes qui géraient juste la logistique.

On continuait à avoir toujours le même type d’entraînement tout au cours de l’année. Un peu comme en vélo, on avait juste des rituels, et tu essayais de larguer les copains. Ce n’était que vers mars-avril où on essayait de faire des entraînements structurés.

On avait juste les piges de mars avec une épreuve de course à pieds, donc on courait un peu pour se préparer. C’était un peu la carotte pour être pris pour le premier stage.

C’est après ce premier stage qu’on fait des choses chronométriques.

De junior 2 à senior 1, je suivais un plan d’entraînement structuré que je m’étais fait et que j’ai ensuite partagé autour de moi. Avec des entraînements réfléchis.

Les Secrets du Kayak : Comment tu en arrives à enrichir tes connaissances en entraînement ? Tu as fait des études sur le sujet ? Tu étais aussi autodidacte en lisant des livres ?

Bernard Bregeon : Je crois que je n’ai pas beaucoup lu. Les bases physio sont arrivées bien plus tard mais ça ne m’a pas aidé. Je crois que j’ai été autodidacte. J’avais envie de tester un mélange de toutes sortes d’entraînements pour être sur de ne rien manquer.

Ensuite ça s’est bien structuré sur une combinaison de trois semaines dès senior 1. J’avais fait un plan d’entraînement sur 21 jours. Celui qui voulait se joindre à mon plan le pouvait, mais je ne faisais pas le plan des autres, je suivais le miens uniquement. Ça s’est fait progressivement sur un an.

Les Secrets du Kayak : A ce moment là, tu avais des études aménagées ?

Bernard Bregeon : Je ne suis pas allé en sport-étude et c’est un tort. C’était vraiment une bonne structure à l’époque. Je suis resté sur Paris, c’était galère au lycée pour s’entraîner. Et quand je suis passé en études supérieures de kiné j’ai eu des horaires aménagés. Avec l’INSEP et l’école il y avait une entente. Donc c’était mieux.

Les Secrets du Kayak : L’hiver tu faisais de l’aérobie. Est-ce comme il y avait les tests, tu t’es mis à la course à pieds et à la musculation ?

Bernard Bregeon : Je pense que la musculation on l’a commencé tardivement en dernière année junior. La course à pieds je n’étais pas bon, je ne faisais que le minimum requis. C’était par nécessité, pas par plaisir. Ensuite j’ai couru par plaisir.

Les Secrets du Kayak : Sur les plans d’entraînement que tu te faisais, est-ce qu’il y a des erreurs que tu as pu faire, et que tu ne referais pas ?

Bernard Bregeon : Ce n’est pas facile à dire. Je ne suis pas proche du milieu fédéral, on faisait tout tout seul à notre époque. Parfois on était pris en main par une structure fédérale mais c’était tard, sur les stages terminaux. On devait s’occuper de tout.

Mon regret c’est de ne pas avoir eu des gens autour de nous pour nous aider sur certains points logistiques. On aurait du s’occuper du principal : s’entraîner.

Mais je n’ai aucun regret. On avait juste besoin de gens pour prendre en charge le relais de certaines choses. On était une époque où on satisfaisait certains résultats parce qu’on avait l’impression de se battre contre les pays de l’Est, c’est à dire que nous pays de l’Ouest les gens pas chargés, contre les gens des pays de l’Est chargés.

C’était la bagarre contre les pays de l’Est très fort à cette époque.

Les Secrets du Kayak : Tu t’entraînais seul au club, ou bien il y avait des gens qui te tiraient un peu ?

Bernard Bregeon : Seul ça arrivait. Mais il y avait des entraînements que tu ne pouvais pas louper, avec forcément un peu de monde. Il y avait les deux.

Notre club était extra en terme d’ambiance, de logistique, il y avait une émulation, un esprit d’équipe. Je suis arrivé à la fin d’un cycle, et en fait on a remonté toute une équipe.

On était entre nous, on n’avait pas de mentor, juste une grande bande de copains. On connaissait nos niveaux, pas de mensonge, on se connaissait. Je préférais m’entraîner là qu’à Joinville.

Les Secrets du Kayak : Rapidement tu as eu des médailles en senior à l’international ? C’était une surprise pour toi ?

Bernard Bregeon : Tu t’entraînes pour ça, donc ce n’était pas une surprise. Quand tu vas sur une compétition internationale, tu sais ce que tu vaux. Tu n’arrives pas aux JO comme tu vas gagner au loto. Tu y vas parce que tu as fait ce qu’il fallait pour y aller.

Le meilleur sélectionneur d’une équipe, c’est l’athlète. Les médailles tu en fais, tu es préparé à en faire. Il y a toujours une part d’incertitude, de réussite. Sur une carrière ça s’équilibre. Personne n’est chanceux.

Tu ne peux pas être sur de rien. Parfois on montait et on savait qu’on n’était pas médaillable. Je n’ai jamais été surpris, ça s’est bien déroulé. Parfois ça se passe moins bien.

Ensuite j’ai commencé tard le kayak, je ne pouvais pas être performant tôt. C’est un sport de maturité. Et ce n’est pas parce que tu commences tôt que tu perdures dans la discipline. On peut très bien être fort à trente ans, sur le tard.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que les Jeux Olympiques étaient un objectif pour toi ?

Bernard Bregeon : Ça le devient, mais pas du jour au lendemain. Il y a toute une gradation dans les compétition, et ensuite vient la sélection. Non tu n’y penses pas au début. Tu montes les marches petit à petit. Tu n’es pas projeté du jour au lendemain comme ça. C’est progressif, et quand tu es dedans ça se fait naturellement.

Après tu as des gens qui en rêvent toute leur vie, et pour eux c’est un Graal. Nous on n’a pas fait beaucoup d’effort pour cela. C’était la suite logique de notre carrière.

Les Secrets du Kayak : L’objectif quand tu t’entraînais, c’était d’être performant pour la compétition suivante ? C’était du court terme ?

Bernard Bregeon : Au début oui. Mais une fois que tu fais les JO ou les championnats du monde l’objectif est bien précis. Tout ce que tu fais n’est qu’une préparation pour les Jeux. On n’avait pas de problème pour se sélectionner. A partir des années 1982-1983, l’objectif c’était la performance lors des compétitions internationales pour être performant le jour J aux JO.

Les Secrets du Kayak : Comment s’est construit le K2 avec Patrick Lefoulon ? Qui a décidé que vous ferez un K2 ?

Bernard Bregeon : Avec Patrick, les meilleurs se mettent ensemble pour la performance. J’étais de la génération d’après. Il n’y avait pas de copinage au début. Tu peux devenir ami ensuite. Il était un laborieux de l’entraînement. J’ai appris à l’apprécier en naviguant avec lui.

Peu de personnes montaient ensemble par amitié. C’est très changeant le kayak, d’une année à l’autre tu peux changer d’équipier pour la recherche de la performance. En France c’est l’athlète qui choisi sont équipage. Le sélectionneur fera un travail en amont.

Les Secrets du Kayak : Comment se passent les JO de Los Angeles pour toi ?

Bernard Bregeon : Déçu du K1 500m puisque je ne fais que troisième. Si je pouvais je changerais plein de choses, mais si ça se trouve le résultat serait encore moins bon. C’était le seul matin avec vent de face. J’aurais peut être dû aller un tout petit peu plus vite. C’est bizarre parce que souvent quand tu remontes ce sont les autres qui s’effondrent. J’aurai du juste partir une seconde plus vite certainement.

Au K2 1000m on aurait pu faire deuxième comme on a fait ou bien sixième, on avait eu de la chance parce qu’on était à côté des canadiens qui nous ont bien tiré pour la course. On a fini deuxième dans leur élan.

Ma médaille de bronze était en dessous de ce que j’aurais pu faire, notre médaille d’argent au dessus de nos objectifs.

Les Secrets du Kayak : A ton époque, tu avais des pagaies plates en bois ?

Bernard Bregeon : Oui, que des pagaies bois à 90 %. je pagayais très très long à l’époque, voir 2,24m. Les Wings sont arrivées bien plus tard, nous étions principalement en Struer.

Je pagayais sur une pagaie légèrement plus longue. Je cherchais à développer la force avec la pagaie. En moyenne les pagaies étaient à 2,20m.

Les Secrets du Kayak : Tu ressors motivé des JO de Los Angeles pour ceux de Séoul ?

Bernard Bregeon : Hyper motivé, non. Je pense d’abord aux autres championnats du monde. Je savais qu’avec Patrick c’était la dernière année, mes objectifs étaient donc annuel. Je savais que je serai sélectionné. On était un peu choyé et protégé pour les sélections à l’époque.

Ça s’est toujours bien passé en général. En 1985 j’étais bien mieux qu’en 1984, j’étais content. En général ça se passe bien ensuite.

En 1987 je suis tombé malade aux championnats du monde, je n’étais pas médaillable, j’en ai profité pour changer mon entraînement. Je n’étais pas du tout dans le coup.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a des choses qui ont changé dans ton entraînement au fil du temps ?

Bernard Bregeon : Oui, on passe de l’entraînement de volume à gogo, à un entraînement plus qualitatif. On faisait moins de kilomètres. On montait en bateau en ayant un plan d’entraînement, un objectif pour la séance, tout l’inverse de ce qu’on faisait avant.

Et quand je revenais dans mon club, on faisait une sortie longue en groupe. Tout était structuré entre le bateau et la musculation.

On avait eu la chance d’avoir eu des étrangers qui étaient venus s’entraîner avec nous, ça nous a permis de structurer un peu plus les entraînements.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu étais fort en musculation ? Était-ce grâce à ta pagaie longue ?

Bernard Bregeon : J’étais dans les bons de l’époque, en rapport poids-puissance. En plus j’aimais ça. Je pense que j’avais de bonnes barres. C’était de la musculation DC, Tirage Barre.

On ne pariait pas sur moi, je n’avais pas le profil type de quelqu’un qui gagne au kayak avec un poids de forme de seulement 68kg.

Je suis hors gabarit. Je ne l’ai jamais expliqué, j’avais envie de performer, ne rien lâcher. Je crois même qu’au niveau de la ligue parisienne, on m’avait dit que je n’étais pas fait pour le kayak.

Ça ne m’a pas empêché d’aller au sommet mondial. Le poids n’est pas un handicap pour le bateau, il vaut mieux être plus imposant.

Je ne sais pas si un gabarit comme le mien peut encore passer aujourd’hui, mais je pense que tout peut exister.

Vu mon classement dans l’équipe de France, on ne pouvait pas me virer par rapport à ma taille.

Les Secrets du Kayak : Tu as voulu reformer un K2 par la suite ?

Bernard Bregeon : Je l’ai fait avec Olivier Lasak. Il était très fort sur le 500m. Mais un jour nous étions forts, puis l’autre mauvais. Ça n’a pas été constant. On s’est bien entendu, mais on pouvait être très bon et très mauvais sans comprendre pourquoi.

Avant les JO de Séoul on a changé l’ordre de nos places dans le bateau. Ça m’a défavorisé pour le K1 aux JO. Mais ça ne nous a pas aidé. On a cherché, on a pas compris. L’ambiance des Jeux était compliquée également. On ne m’a pas laissé le choix de faire ce que je voulais pour une histoire d’argent.

Et plein de choses qui font qu’il y avait une mauvaise ambiance. Donc pas de performance, pas d’ambiance, pas de résultat. Mauvaise olympiade.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi quand on monte en K2 derrière, ça pénalise pour le K1 ensuite ?

Bernard Bregeon : Parce qu’on s’adapte au geste du mec devant. Quand tu es devant, tu restes avec ton geste de K1. J’ai senti que d’être derrière ce n’était pas bon pour le K1. Si j’avais été entraîneur, je n’aurais jamais mis un mec du K1 derrière dans un K2, même s’il avait un gros gabarit.

Mais avec Olivier, c’est juste la sauce qui n’a pas prise.

A contrario quand je faisais du K4 j’aimais bien être en deuxième pour me délaisser un peu parce que c’est beaucoup de contraintes que d’être devant. Mais sinon de mon point de vue, c’est mieux d’être devant.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu arrêtes le kayak de haut niveau ?

Bernard Bregeon : Je ne sais pas si tu es assez proche de la course en ligne, mais en 1992 je suis en procès contre la fédération. Donc j’arrête, ça m’a déçu, d’être le meilleur et de ne pas aller aux JO c’est très décevant. C’est arrivé à d’autres athlètes. Quand ça t’arrive à toi… ça laisse des traces.

Ça s’est fait naturellement. Je n’avais plus aucune relation avec le milieu du kayak, je n’étais pas entraîneur, je n’avais pas d’ambition de projet professionnel dans le kayak, donc ça ne m’a rien coûté que d’arrêter le haut niveau.

J’ai poursuivi l’activité au club, mais plus pour donner un coup de main. Ensuite j’en ai fait dans le domaine du sauvetage côtier plus pour l’ambiance. J’avais fait le tour de la question. Il faut savoir s’arrêter au bon moment.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu travaillais en même temps en tant que kiné ?

Bernard Bregeon : Je travaillais depuis les quatre dernières années, je fonctionnais assez bien pour tout concilier. J’avais trouvé une convention avec un centre de rééducation qui me détachait du temps. Je n’ai pas eu de soucis pour partir à l’étranger quand j’en ai eu besoin.

La chance que j’avais c’est qu’on nous laissait beaucoup de liberté pour l’entraînement. On partait s’entraîner à l’étranger, on n'était pas obligé de faire les stages avec l’équipe de France. On ne faisait que les stages terminaux avec l’équipe de France.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a eu des étrangers qui t’ont marqué ?

Bernard Bregeon : Ah oui. Il y en a qui étaient impressionnants. Je n’ai pas eu de mentor dans mon club, mais oui il y avait pas mal de noms qui revenaient. Je suis allé m’entraîner avec les Néo-Zélandais, j’ai vu leurs entraînements et leur façon de fonctionner. Ça donne des idées et d’autres façons de voir les choses.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qu’ils faisaient de différent de toi ?

Bernard Bregeon : Ils n’avaient qu’une seule vitesse, tous les entraînements se faisaient à fond, au maximum des possibilités. Un entraînement très tôt le matin et très tard le soir pour avoir un maximum de récupération. Tu n’as jamais le droit de prendre une vague. Tu vaux ce que tu vaux au moment T.

Nous on avait du mal à vouloir connaître sa valeur, et vouloir s’arracher à 100% de ses moyens du jour. Il y a du mauvais aussi parce que c’est traumatisant de s’entraîner de la sorte, et mentalement aussi. Mais ils savent se faire mal.

Les Secrets du Kayak : Tu n’as jamais voulu devenir entraîneur ?

Bernard Bregeon : Le DTN de l’époque avait voulu faire une réunion pour me permettre de devenir entraîneur. Je rentre dans son jeu et je lui explique que c’est le boulot de DTN qui m'intéresserait. Et là je l’ai vu moins sourire.

Non. J’aurais aimé le faire mais j’étais trop en froid avec la fédération. J’ai quand même eu un statut de micro-entraîneur. Je distribuais beaucoup de plans d’entraînement. Mais j’avais envie de voir autre chose.

Je pense que ça peut être un travail très intéressant. Mais pas avec ce que j’ai vécu autour de moi. Si j’avais voulu faire quelque chose, ça aurait été pour avoir une vue globale de la discipline.

Les Secrets du Kayak : Tu dis avoir fait un peu de sauvetage côtier ? Est-ce que tu as touché à d’autres pratiques dans le kayak ?

Bernard Bregeon : J’ai fait du kayak-polo une fois ou deux pour rigoler. De la descente j’y ai touché un peu mais j’ai été super mauvais. En patrouille je n’étais pas mauvais. Mais tout seul je ne savais pas lire les lignes, je devais sans cesse réparer mon bateau. On n’était pas assez fins en navigation. Et slalom c’est une discipline vraiment différente, j’en ai fait comme ça sans plus.

En revanche après le kayak j’ai fait beaucoup de raids multi-activités, j’en ai fait pendant dix ans. En parallèle je faisais aussi du kayak en club. J’ai fait d’autres activités, et depuis 15 ans je me suis mis au golf.

De temps en temps je remonte dans un kayak quand l’envie me prend. Mais il a fallu que je m’arrête dans les compétitions. Ça devenait de plus en plus difficile.

Ce n’est pas facile l’après kayak de haut niveau, de continuer à faire du kayak parce que tu n’as pas les mêmes résultats, tu perds des secondes au fil des années. C’est plus facile de démarrer une nouvelle discipline, car même si tu n’es pas bon, tu te vois progresser.

Mais ça m’arrive de naviguer pour le plaisir.

Les Secrets du Kayak : Ta femme pratique aussi le kayak, elle a été une force pour toi durant ta carrière ?

Bernard Bregeon : On s’est connu dans le milieu du kayak, on a fait les JO ensemble. On s’est entraîné ensemble. Nos deux carrières n’auraient pas été possibles si on les avait faites individuellement. On partait ensemble à l’étranger. C’était limite une obligation pour avoir une carrière telle qu’on l’a eu.

On bougeait beaucoup, on a eu de bonnes conditions d’entraînement parce qu’on se les a crées. Si elle n’avait pas été kayakiste, ça aurait été très compliqué.

C’est agréable de pouvoir s’entraîner ensemble, on parle de la même chose, la même passion, c’est important. Si elle n’avait pas été là, ça aurait été très compliqué de faire une carrière longue de kayakiste.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui tu es kiné, tu as ton propre cabinet ?

Bernard Bregeon : Oui depuis trente ans, dans le sud de la France quand on a décidé avec ma femme d’arrêter le bateau et de bouger.

A Biscarrosse c’est un endroit super pour naviguer 360 jours par an. Il y a deux grands lacs qui se rejoignent par un canal. Il ne gèle quasiment jamais et on est protégé du vent.

Le seul problème c’est que la course en ligne n’est pas faite pour le sud de la France. Trop de logistique pour remonter pour les compétitions qui se passent essentiellement dans le nord. C’est un bon endroit mais seulement pour s’entraîner.

C’est sympa de discuter de tout et de rien sur le kayak. On pourrait discuter encore des heures, les anecdotes sont inépuisables. C’est dur de résumer 15 ans de carrière sportive en une heure. Ça me fait penser aux discussions d’apéro quand tu commences à 19h et qu’il est trois heures du matin. Tu peux venir à Biscarrosse avec grand plaisir !

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Xavier Fleuriot

Retrouvez tout sur Xavier Fleuriot dans cet épisode des Secrets du Kayak. D’abord athlète puis entraîneur et enfin dirigeant au sein de la fédération. Il nous raconte sa carrière et sa reconversion.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Xavier Fleuriot en avril 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Xavier Fleuriot : Je te remercie, ça va très bien. Je n’étais pas aux sélections kayak hier, j’ai pris mon nouveau poste en tant que directeur de la performance de la fédération française de danse en septembre. Il y avait le championnat de France de danse hier à Mulhouse.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu découvert le kayak ?

Xavier Fleuriot : A la base, je voulais faire de l’aviron. Comme beaucoup, je me suis cherché dans d’autres sports avant ça. Il me fallait une activité moins stressante et plus physique que le tennis de table.

J’habitais proche de la Seine, il n’y avait pas de club d’aviron mais j’avais un camarade de classe qui faisait du kayak. J’ai commencé en quatrième. Ça été une révélation. J’ai pris ma première licence en 1982.

Ce qui m’a plu c’est cette liberté, être seul maître à bord, tout dépendait de moi. Les premières séances étaient douloureuses. On naviguait entre copains, on se débrouillait. J’étais rageux de ne pas réussir à suivre les copains, ça m’a forgé. Je me suis abandonné à cette activité entièrement.

Les Secrets du Kayak : A cette époque les entraînements c’était à quelle fréquence ?

Xavier Fleuriot : On s’entraînait tous les jours, il n’y avait pas de limite, c’était un petit club. On avait les clés, on était autonome. Pas d’entraîneur, la liberté de venir quand je le voulais. Ça m’a permis de me révéler à moi même, de me positionner sur une ambition et des envies. Tout dépendait de moi.

Mes limites c’était le week-end, j’étais obligé de partir avec les parents. J’ai fait beaucoup de bateau, donc j’ai progressé vite. J’étais plutôt vieux par rapport aux autres, j’ai commencé plus tard. Mais j’y ai mis beaucoup d’engagement. Je voulais gagner des courses.

J’ai commencé dans un genre de bouchon, un kayak de base de l’époque. Rapidement j’ai pris des bateaux de descente. J’ai ensuite progressé sur un bateau rapide, directeur. Je faisais beaucoup de descente. J’avais un entourage de descendeurs.

De temps en temps je faisais de la course en ligne sur un CAPS, ensuite je suis passé sur des bateaux instables. J’ai navigué entre la descente et la course en ligne.

J’avais envie de me former sur plein de choses, je savais que je voudrais entraîner. Jusqu’en senior, j’étais autant descendeur que course en ligne.

Les Secrets du Kayak : Comment on fait de la descente à Vernon ? Existait-il des stages ?

Xavier Fleuriot : On avait des stages régulièrement sur les rivières les plus proches ou en Normandie. On faisait beaucoup de kilomètres. Je voulais être un champion, gagner des courses. En descente ça me plaisait mais il me manquait des choses pour gagner.

J’avais fait les championnats de France en cadet 2, pour débutants. Tu pouvais participer aux régates de l’espoir. Tout le monde avait le même bateau, ça permettait de se battre avec des gens de même niveaux. J’y ai fait deux fois deuxième. J’ai trouvé ça génial, c’était ma voie.

J’ai essayé de continuer en descente, on avait de grands noms à Vernon, j’ai fait le championnat de France descente, j’y ai fait 8-9ème. Mais il a fallu choisir en senior, je n’étais pas assez fort pour gagner les deux. Le choix s’est fait géographiquement.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui a fait que tu voulais être champion dès ton plus jeune âge ?

Xavier Fleuriot : Bonne question. Je suis convaincu qu’il y a des gens qui ont ça en eux. J’ai voulu être un grand champion mais je ne l’ai pas été. Certainement pas assez d’investissement nécessaire.

J’adore l’activité sportive, ça permet de se mesurer dans le respect de ce que sont les athlètes. Ce n’est pas pour autant que j’ai l’impression d’avoir raté quelque chose. Ça permet de se connecter avec ce qu’on est, pour moi c’est le premier enseignement que j’ai pu en tirer.

Je ne vis pas dans le fantasme, mais dans la réalité. On a la satisfaction d’avoir poussé son curseur avec les conditions du moment.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu n’es pas devenu champion ?

Xavier Fleuriot : C’est moi même. Aujourd’hui j’ai eu le temps de réfléchir sur ce que j’ai fait, j’ai mené beaucoup de choses dans ma vie. Je suis devenu moniteur très vite, puis élu au comité régional de Normandie, président d’ailleurs, j’avais 25 ans.

J’avais des activités parallèles que je menais de front. J’avais des idées, envie de faire des choses dans ce domaine. A 18 ans, j’étais représentant des athlètes à l’échelle régionale. Donc ça à toujours fait partie de ma vie, et c’était en décalage par rapport à des gens qui faisaient du haut niveau. Je ne me suis pas assez investi pour ça.

C’est un choix personnel pour lequel je suis fier. Je suis reconnaissant de l’activité sportive pour ce qu’elle t’apporte. Il n’arrive rien par hasard.

Je ne savais pas quel métier je ferais, mais je savais que je ne voulais pas travailler dans le sport, pour moi ce n’était pas un métier. Je voulais faire des choses, construire des choses. J’avais fait une filière technique.

J’avais une petite carrière sportive, j’ai découvert des gens incroyables. On a créé des amitiés profondes. Je me suis lancé comme professeur. Je me suis retrouvé avec mes enseignants qui sont devenus mes collègues. Et au final ça a duré peu, en même temps je préparais les JO de Barcelone mais ça n’a pas marché.

Finalement, je deviens président du comité régional de Normandie et le DTN de l’époque, Hervé Madoré, est venu me chercher pour devenir cadre en course en ligne pour la fédération. J’avais un poste magnifique, je venais de me marier, un salaire confortable. J’ai accepté le poste et donc de perdre 25% de mon salaire pour partir à Caen, devenir responsable de la Direction Sport Étude, avec une possibilité de rentrer au professorat de sport à l’INSEP si je passais le concours.

Encore aujourd’hui avec le recul, je me demande ce qui m’a motivé à partir dans cette voie.

Xavier Fleuriot

Les Secrets du Kayak : Peut-être voulais-tu apporter ce que toi tu n’avais pas eu quand tu étais athlète aux jeunes ?

Xavier Fleuriot : Certainement. C’est possible. J’avoue que je ne suis pas allé jusque là. Je l’ai fait, je n’avais pas de diplôme de sport, il a fallu passer le brevet de sport en urgence. Je passe le diplôme en candidat libre, à l’arrache, avec une dérogation.

Mon passé d’eau-vive m’a bien aidé. J’avais un bagage suite à mes jeunes années. J’avais ma carte professionnelle. J’ai fait l’encadrement de très bons athlètes. Ça été un vrai challenge. Ça touché le haut niveau. Ça m’a fait grandir, me positionner sur ma propre pratique.

A la fin de l’année il y avait le concours de prof de sport, j’ai été reçu et je suis renté à l’INSEP pour deux ans de formation pour le concours final de professorat de sport que j’ai eu en 1996. En sortant de là j’ai eu un poste direct, et en Normandie. C’était le schéma idéal. Je suis devenu le CTR de Normandie.

Sachant que j’étais impliqué au sein de la fédération en tant qu’entraîneur avec Frédéric Loyer, José Ruiz et François During. On s’est retrouvés aux JO d’Atlanta, on faisait un travail sur la captation d’images vidéo et de données data sur les fréquences de pagayage, des chronos intermédiaires. Toute une étude statistique qui permettait aux entraîneurs et aux athlètes d’adapter leurs stratégies. J’étais pleinement investi.

Les Secrets du Kayak : Comment vous étiez entraînés à Vernon, vous étiez encadrés ?

Xavier Fleuriot : Il n’y avait pas de cadre dans le club. Il y avait des compétiteurs de très bon niveau. Mon mentor c’était Francis Letord, champion du monde de descente en 1981 en C2, il a un parcours hallucinant et c’était Hervé Madoré son coéquipier.

L’autre c’est Pascal Boucherit. C’est Francis qui a éclairé ma voie, mon passage en kayak. Il m’a montré ce qui était possible. Pascal, pareil je me suis beaucoup entraîné avec lui, c’était un éclaireur et un ami. Il est un puis sans fond d’humanisme. Son chemin est formidable, je suis admirateur de son parcours.

Les vrais champions, ceux qui gagnent des médailles d’or au plus haut niveau, ils doivent être centrés sur eux même pour sortir quelque chose d’exceptionnel. Ils sont souvent centrés sur eux-même et sont souvent individualistes. Et il y a quelques champions hors normes avec ce supplément d’âme, et ce sentiment de partage et de collaboration. Ils sont rares.

Tu as raison de faire référence à mon envie de transmettre quelque chose, une espèce de stratégie de construction, finalement les projets de performances beaucoup en parlent, peu savent de quoi il en retourne, et encore moins peu de personnes savent comment ça se construit.

Les gens ont beaucoup de visions égocentriques. Et quand l’entraîneur met son ego au dessus de celui de l’athlète, il y a un souci. Et c’est malheureusement commun. Je le vois aujourd’hui dans la danse également. Christophe Rouffet le précise, l’athlète est au centre du projet. Je me suis approprié ses propos, mais tout le monde est d’accord avec ça.

Dans la réalité, ce n’est pas ce qu’il se passe. Moi j’ai un projet de mise en œuvre pour déployer des moyens pour le projet des athlètes, mais si eux les athlètes n’ont pas pour projet d’être champion, moi je ne vois pas ce que j’aurais pu faire. Comme le disait Pascal, qui fait quoi ? Qui est responsable de quoi ? Je suis responsable de l’administratif.

Aujourd’hui je ne suis pas danseur, ce n’est pas moi qui vais danser. Je suis là pour accompagner les projets. Il faut donner du sens, et je remercie les gens qui m’ont accompagné pour donner du sens à mes actions.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’en tant qu’athlète tu as déjà été confronté à des entraîneurs qui faisaient passer leurs intérêts avant les tiens ?

Xavier Fleuriot : Oui, c’est presque du quotidien. En haut niveau on est dans le bal des ego. Sans ego tu ne peux pas réussir, c’est vrai. J’ai fait un master en management à l’INSEP qui a bouleversé beaucoup de choses dans ma vie dans tous les domaines.

J’ai fait la connaissance d’une personne spécialiste dans le marketing, qui précise que dans un projet le premier destructeur de valeur c’est l’ego. Peu importe le projet. Ça se retranscrit dans tous les domaines.

A l’époque tout le monde connaissait le nom de l’entraîneur de l’athlète, c’était l’athlète de tel entraîneur. Aujourd’hui tout le monde s’en fout, personne ne connaît l’entraîneur de l’athlète. C’est dans l’athlétisme que la voie a été montrée. Aujourd’hui on est dans une belle ère, les entraîneurs ont complètement été effacés.

L’ego de l’entraîneur, on s’en fout. On se doit de comprendre la complexité et les paramètres qui régissent la performance de l’athlète, avec humilité et détachement.

Les Secrets du Kayak : Comment tu fais pour gérer des athlètes qui veulent devenir champion, qui le disent, mais qui dans leurs actes ne font rien de ce qu’il faut pour le devenir ? Comment leur insuffler les fondamentaux ?

Xavier Fleuriot : A l’époque où j’encadrais le marathon, j’ai essayé de me poser les bonnes questions. C’était une activité non-olympique, on avait des athlètes qui venaient par défaut, on avait quelques descendeurs talentueux, des athlètes de course en ligne qui ne perçaient pas et qui venaient en marathon. Et on avait des résultats médiocres voir mauvais, avec de temps en temps des coups d’éclat.

Il fallait aborder le projet différemment. Comment faire en sorte qu’ils soient pleinement engagés dans ce projet et pas simplement en étant là par défaut. J’ai beaucoup travaillé dessus, et aussi avec Pascal sans qu’il soit à la fédération à ce moment là. Je voulais qu’ils réfléchissent à leur projet.

Mes espérances ont été décuplées, les athlètes se sont sentis concernés, et en clair les athlètes n’avaient pas le choix. C’était soit la course en ligne soit le marathon. Certains ont fait le choix du marathon, et la suite les a servi.

Il fallait mettre toutes les chances de son côté et ne pas être les athlètes ratés de la course en ligne qui essaient d’exister. Il leur fallait être déterminés pour exprimer leur potentiel. Ils m’ont ravi, c’est un grand bonheur que d’avoir connu ça. Simplement en donnant du sens à sa pratique on arrive à exprimer un potentiel. C’est la seule clé.

Xavier Fleuriot 1

Les Secrets du Kayak : Jusqu’à quel niveau tu es allé avant de prendre ta retraite ?

Xavier Fleuriot : J’étais un petit athlète international. J’ai surtout été coach entraîneur sur quatre olympiades. J’ai eu une partie intéressante en tant que consultant France Télévision pendant trois olympiades, et aussi sur Eurosport, ça m’a bien plu.

Ça me permettait de prendre un peu de hauteur et de mesurer à quel point on était loin du compte, et de la représentation réelle de notre sport au niveau des média. Ça m’a permis de prendre un peu de distance avec le monde du kayak, et ça m’a permis de comprendre les éléments pour les mettre en perspective, et au final ma nomination en tant que directeur de l’équipe de France en marathon puis en en course en ligne reste cohérente.

J’avais tout ces bagages pour être dans la mise à disposition du projet des athlètes, à définir et à poser par eux. On est des instruments au service du projet de performance.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a un poste que tu aurais aimé avoir, mais que tu n’as pas eu l’occasion d’avoir ?

Xavier Fleuriot : Non, j’ai ardemment voulu celui de directeur de l’équipe de France, je me sentais manager dans l’âme, et mon cheminement de carrière fait que j’avais certainement des choses à proposer, et rapidement je me suis senti incompétent en tant qu’entraîneur.

Je le dis avec une grande sincérité, c’est François During qui a apporté beaucoup à l’équipe de France. J’ai vu l’équipe de Kersten Neuman, il avait un palmarès en tant qu’entraîneur, la France le voulait, très bien.

Moi, jeune entraîneur, je le vois arriver, on fait les premiers entraînements en Normandie, un stage de trois semaines. C’était inédit. Il ne parlait pas un mot de français, il parlait peu anglais. On faisait faire beaucoup de kilomètres aux athlètes. Pour lui on ne devait pas donner de conseils techniques, les athlètes de l’équipe de France selon lui devaient connaître la technique, sinon c’est qu’on les avaient mal sélectionnés.

Et là j’ai mesuré le décalage qu’il y avait entre l’Allemagne et nous. Je me suis rendu compte à quel point il avait raison. C’est lui qui a ensuite motivé ma carrière. Pour lui le rôle de l’entraîneur, c’est de vérifier que l’athlète a suivi le plan qu’on leur a fait. Mais moi je ne me voyais pas faire des heures en bateau moteur pour vérifier les chronos.

On est resté en très bon terme, et il m’a donné du sens sur ce que je voulais faire. Je me suis retrouvé à la mise en œuvre du premier système de départ automatique créé en 1991. J’étais jeune cadre et athlète à ce moment là. Je me suis naturellement retrouvé technicien.

Rapidement je me suis retrouvé à la fédération pour la mise en place des bassins. C’était un retour à mon parcours de ma jeunesse. Les bassins étaient bien montés, fiables, et ça participait efficacement au projet de performance. J’ai adoré ça.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu quittes le milieu du kayak ?

Xavier Fleuriot : Beaucoup de choses. Tout d’abord le changement d’équipe fédérale de 2016. Le projet ne me correspondait pas. L’histoire me donne raison puisque je ne croyais pas à la pertinence du projet. Il y a eu une nouvelle organisation, un nouvel organigramme et finalement le résultat renforce l’idée que je m’en faisais à savoir un manque de pertinence.

Beaucoup de perte de collègues. C’est la vie démocratique de la fédération, c’est comme ça. Pour moi et Pascal ça ne pouvait pas marcher, ça allait être difficile à gérer et ça aurait joué sur ma motivation.

Et à titre personnel, avec ma femme on s’est découvert des âmes de danseur. C’est ce partage à deux qui m’a motivé pour la danse. J’ai eu la chance de participer à un championnat de danse, et je me projetais déjà avant devoir quitter le kayak. Il y avait eu un appel d’offre. J’ai postulé, et j’ai eu le poste sur le breaking, une discipline qui n’était même pas présente au sein de la fédération de danse.

Et j’adore ce que je fais. Tout est similaire avec ce que je pouvais faire en tant que cadre dans le kayak. Je suis fier de participer à cette aventure. Ça m’a permis de me remettre en question sur mes projets et mes a priori. Je n’ai pas de nostalgie du kayak même si je reste attentif à ce qu’il s’y passe.

Dans la danse, je dois prouver tous les jours que je suis pertinent dans ce que je fais, j’apporte des arguments et je donne du sens aux choses.

Les Secrets du Kayak : Lors du changement de l’équipe en 2016 tu ne te reconnais pas là dedans, moi j’ai l’impression au fil des podcasts que dès qu’il y a du changement, on ne s’appuie pas sur ce qui a pu être fait auparavant. Selon toi, qu’est-ce qu’il convient de faire pour faire en sorte de performer ? Quelles sont les erreurs à ne pas reproduire pour toi ? Que faudrait-il mettre en place pour une construction pérenne ?

Xavier Fleuriot : Je crois que tu as tout compris. L’activité sportive du kayak est singulière, il y a un manque de recul et de vision d’elle même. On est dans une valse des ego. On préfère la terre brûlée à la construction. Je fais partie des anciens, j’ai vu différents systèmes, et je vois bien que l’histoire se répète.

A un moment donné si on ne prend pas de recul voir ce qui fonctionne ou pas, on prend le risque de reproduire les erreurs du passé. Dans la danse, je me rends compte à quel point le culturel et l’artistique prennent le pas sur les égos.

Dans le sport, des personnalités vivent pour elles-mêmes et autour d’elles-mêmes, sans prendre en compte l’histoire de ce sport. C’est un peu triste. Rien que ton travail est fondamental, le travail que tu fais sur la culture du kayak est importante.

Une des forces des kayakistes de slalom, quand tu discutes avec eux : la culture du slalom, le partage et la transmission des savoirs étaient bien présente jusqu’en 2016.

De tout temps, qu’on gagne ou qu’on perde, personne ne sait expliquer pourquoi. Il n’y a aucune analyse en réalité. C’est dommage. Pour moi on gagne parce qu’on bâti sur les générations précédentes. Regarde tous les talents qu’on a pu avoir sur les générations précédentes… Ils ont tout reposé sur leur talent, et finalement le travail n’a pas été à la hauteur et n’a pas tenu compte de la réalité de la génération précédente, des niveaux de volumes nécessaires. Il y a eu un trou de deux olympiades pour mettre les gens devant l’évidence, les remettre sur les rails du travail. En France, on est à la recherche de l’être exceptionnel.

Les Secrets du Kayak : On ne met pas en avant la culture de l’effort. Pour moi, le talent ce n’est que de la répétition. On ne le met jamais en avant. C’est le travail qui fait gagner à la fin. On minimise ce travail.

Xavier Fleuriot : Tu as raison, en France on est beaucoup dans la perception. A l’époque, on avait des gens talentueux mais aussi des gens qui faisaient des heures et des heures d’entraînement. La différence entre les deux, c’est qu’il y en a qui ont gagné. La performance de haut niveau ne souffre pas de médiocrité, elle est forcément quelque chose d’absolu, et malheureusement on est passé à côté.

Mais certains n’étaient pas courageux. Et puis il y a eu l’arrivé des nouveaux matériels, de nouvelles techniques. Aujourd’hui les choses sont normées. Il a fallu passer par aller chercher une ressource extérieure pour aller ramener quelque chose à la France et faire un espèce d’électrochoc. Ça a été le travail de Kersten. Il a amené la notion du travail, de la répétition, des entraînements mornes et répétitifs.

Pour certains athlètes ils en perdent le goût, la passion du kayak, mais c’est intéressant. Il a apporté la réalité du travail, il a remis la course en ligne dans les rails. Et il a réussi à enfanter une génération qui a été productive en terme de résultats.

C’est Hervé Madoré qui est allé le chercher. Le kayak demande d’avoir une préparation physique solide, avec des fondamentaux et un volume d’entraînement important. Si on ne veut pas faire ça, il ne faut pas faire de course en ligne.

Les Secrets du Kayak : C’est aussi la société actuelle qui est dans la recherche du plaisir et du bonheur à tout instant. On perd cette notion de travail, que ce qui doit être fait doit être fait. Je le vois dans le milieu de la musculation, l’évolution des mentalités.

Xavier Fleuriot : Tu parles de l’alimentation aussi et c’est un bon exemple, c’était le sujet il y a quelque temps. Aujourd’hui c’est la préparation mentale. On est exactement dans le même sujet. Je suis confronté tous les jours à des genre d’offre de préparateurs mentaux.

Je n’arrête pas de leur dire que rien que le terme c’est impropre. On accompagne un projet et une personne. On parle de l’âme humaine. Pour moi c’est un abus de langage. Ce n’est pas une recette de cuisine.

Il faut veiller, accepter la complexité, accepter que des choses fonctionnent ou pas. Tu peux le voir dans d’autres sports, même si tu y mets toutes les ressources financières ou autres, parfois ça ne fonctionne pas.

L’humain reste à la barre. Il y a tellement d’interactions à prendre en compte. On parle de l’humain et de la transmission de l’humanité à l’humanité.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu fais encore un peu de kayak aujourd’hui ?

Xavier Fleuriot : J’ai repris, ma dernière compétition c’était les championnats de France en 2016 en vétéran. C’était un vrai bonheur, ma dernière course. Depuis j’ai coupé et j’ai repris il y a quelques mois, et j’avoue que ça me manque.

Je m’étais dit que je devais faire autre chose en arrêtant le kayak, et je m’étais mis à faire du vélo. J’ai fait des compétitions de VTT. Ça m’a permis de passer le cap, j’étais un anonyme parmi des anonymes. Mes intérêts n’étaient plus d’aller chercher la gagne.

Et là l’envie de faire du bateau me revient. Ça me donne du plaisir. Et en fait c’est comme le vélo, ça revient. J’adore.

Je te remercie de m’avoir permis de me replonger dans ces années là. C’est presque quarante ans de ma vie. C’est une grande émotion. Je te remercie de m’avoir sollicité et de la bienveillance de tes questions et de ton propos. Bravo pour ce que tu fais.

C’est comme cela qu’on construit l’avenir, en ressassant le passé. En le posant, en l’analysant pour un avenir meilleur. Je viendrai naviguer avec toi au mois de Mai. Je viendrai te défier !

Vous pouvez retrouver Xavier Fleuriot sur Facebook.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Sébastien Zimmer

Retrouvez tout sur Sébastien Zimmer dans cet épisode des Secrets du Kayak. Posturologue spécialisé en neuro. Il nous explique en quoi cela consiste, et comment cela peut nous aider à performer.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Sébastien Zimmer en avril 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Sébastien Zimmer : Salut Rudy, ça va bien merci.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui c’est un épisode un peu spécial, on va parler d’entraînement neurologique. Avant ça, est-ce que tu peux te présenter rapidement ?

Sébastien Zimmer : J’ai 30 ans, je vis en Suisse à côté de Lausanne, j’ai fait une Licence Master STAPS à Strasbourg. A la base, je viens du monde du football. Une fois arrivé à la Fac, j’ai du faire un choix : soit je continue à jouer au foot soit j’entraîne. J’ai choisi d’entraîner au foot essentiellement des jeunes jusqu’aux senior. A côté de ça, je fais du coaching classique et de la préparation physique individuelle.

Aujourd’hui je travaille plutôt sur la partie neuro de l’entraînement, et je travaille en lien avec d’autres spécialistes dans le domaine de l’entraînement pour permettre un travail plus efficace pour optimiser les performances de l’athlète.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que c’est que la neuro ?

Sébastien Zimmer : La neuro agit tout le temps dès lors que tu vas interagir avec ton environnement. Donc c’est comment ton système nerveux fonctionne et comment l’optimiser d’un point de vue de la performance.

Ton cerveau prend une information, il l’interprète, il prend une décision et renvoie dans le corps l’information pour une décision motrice. Ça peut être marcher, courir, sprinter, porter mon téléphone, prendre ma tasse de thé ou de café etc.

Tu vas donc porter une lentille neuro et analyser certaines taches sous un autre aspect.

Les Secrets du Kayak : Mais tout cela ne se fait pas naturellement ? Tout ne fonctionne pas à mesure que tu passes les différentes phases de l’apprentissage ?

Sébastien Zimmer : Normalement si, c’est fait mais pas de manière optimale. Il existe 72 réflexes archaïques qui vont permettre le développement moteur de l’enfant physique, émotionnel et cognitif.

L’enfant va passer ces étapes de développement pour devenir un adulte équilibré. Mais ces étapes ne sont pas toujours bien placées. Le premier système sensoriel à développer c’est l’oreille interne, dans le ventre de sa mère. Si la mère n’a pas suffisamment bougé pendant la grossesse tu nés avec un déficit de l’oreille interne.

Donc tout le reste va se créer sur une base déjà déséquilibrée. Mais les gens ne le savent pas.

Les Secrets du Kayak : Quels sont les conseils à donner à une femme enceinte pour justement ne pas créer de déséquilibre chez son enfant ?

Sébastien Zimmer : Être active, bouger. Il y a des réflexes qui se développent lors de l’accouchement. Si la mère accouche par césarienne certains réflexes ne vont pas maturer par le passage du bébé dans le canal. Tu as beau tout faire, mais tu ne maîtrises pas tout.

Les conseils sont bateaux mais dans notre développement philo-génétique on a plein de choses pour favoriser notre développement, sauf qu’à la base on sait le faire tout seul, et cela est censé se faire naturellement. Il faut savoir qu’il existe une réelle compétition entre parents pour leur enfant.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qu’il se passe si on n’apprend pas les choses dans le bon ordre, et qu’on a des manques au niveau de l’intégration de ses réflexes ? Quels seront les problèmes que l’on va rencontrer ?

Sébastien Zimmer : Il y a toujours la triple sphère émotionnelle-cognitive-moteur. Je suis préparateur physique, je ne travaille pas forcément avec des personnes en difficulté émotionnelle cognitive.

J’ai des amis qui ont concentré leur travail sur des personnes qui présentent des déséquilibres cognitifs, des déficits d’attention etc. moi ce qui m’intéresse c’est la composante motrice et comment optimiser les performances. Tu auras des balancements posturaux, des muscles plus faibles, d’autres plus forts.

Le job n°1 pour le cerveau c’est la survie. De l’autre côté tu auras la performance. Mais si tu ne matures pas tes réflexes cognitifs et que tu restes sur des réflexes primitifs, tu restes en mode survie. Et de fait tu ne seras jamais dans la performance maximale.

Les Secrets du Kayak : Comment on peut savoir qu’on est plus en mode survie que en mode performance ? Est-ce que c’est parce que parfois on n’arrive pas à apprendre certains gestes ?

Sébastien Zimmer : L’analyse de l’attache simple peut aider. Par exemple un service en tennis pour deux personnes, l’une y arrive bien, l’autre non. Cette motricité libre va permettre de myeliniser toutes les connexions nerveuses.

Donc je vais demander à mon cerveau d’être maître de mon corps pour faire ce tennis. On cherche donc à développer l’homme, ce qui va permettre d’aller chercher de la performance. Il faut lui donner les capacités de le faire et de la manière la plus optimale possible.

Il y a des tests qui permettront de mesurer l’état du fonctionnement du système nerveux et l’intégration de ses réflexes primitifs.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ça arrive que quelqu’un ait tout bien intégré naturellement ?

Sébastien Zimmer : Personnellement non, il y a toujours moyen d’optimiser. Oui ça se développe chez l’enfant, mais si tu ne l’utilises pas, tu le perds. Tu peux être très bien calibré à 7 ans, mais si tu ne fait rien derrière, tu le perds. Ce n’est pas normal d’être équilibré mais c’est normal dans le sens où presque tout le monde l’est.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu découvert la neuro ?

Sébastien Zimmer : D’abord par la posturologie et ensuite par le côté neuro. Pendant la fac, donc génération réseau sociaux, je vois un post de Vincent Estignard partagé par Didier Reiss. Ce post parlait des réflexes primitifs.

J’ai commencé à suivre Vincent. J’ai suivi un séminaire pour allier la préparation physique et la posturologie. J’y suis allé, ça m’a intéressé, j’ai fait une formation en neuro fonctionnelle, puis une formation en posturologie, et depuis j’ai sans cesse voulu me spécialiser dans ce domaine. Non seulement je suis passionné mais ça donne des résultats.

Les Secrets du Kayak : Donc tu as déjà pu observer que toi même tu avais des déficits et que de toi même en les comblant ça allait beaucoup mieux ? Tu étais plus performant ?

Sébastien Zimmer : Dans la performance l’idée c’est d’être dans le continuum de la performance et s’éloigner du mode survie. Dans le mode survie, la douleur est un mécanisme de protection, que le cerveau crée pour te protéger.

Quand je faisais des séances de squat lourd, pendant deux jours j’étais couché au lit parce que j’avais mal au dos. C’était contre productif par rapport à l’effet souhaité. C’est de là que j’ai testé les principes sur moi, que j’ai vu que je déplaçais les curseurs de survie sur ceux de la performance parce qu’ensuite, je faisais une séance de squat et je n’avais plus mal au dos.

Les Secrets du Kayak : De ce que je me souviens de mes lectures, les capteurs principaux du corps sont les pieds, les yeux, et la mâchoire. Est-ce que c’est toujours ça la posturologie ? Ce sont toujours les mêmes capteurs aujourd’hui ? Il y en a t-il d’autres ?

Sébastien Zimmer : Quand on parle neuro ça veut tout et rien dire. Dans la posturologie classique, il y a trois capteurs principaux qui sont les yeux, les pieds et la mâchoire. Il va y avoir des capteurs secondaires avec les facteurs émotionnels, les réflexes archaïques, les cicatrices, les nitro-galvanismes, et les contraintes articulaires entres-autres.

La posture reste un carrefour entre le mouvement et le statique. L’équilibre parfait n’existe pas. Ce sont des micros moments qui seront plus ou moins négociés. Donc c’est qu’il y a d’autres capteurs qui vont agir. Notamment la proprioception qui est la représentation du corps dans l’espace, et l’oreille interne.

Donc quand on parle de reprogrammation neuro-posturale, ce n’est pas se limiter à quelques capteurs, mais on va mettre tout cela dans un melting-pot de tout ce qu’il y aura comme incidence pour le mouvement et pour la performance avec cette lentille neuro. Le but est d’optimiser la performance.

C’est comme la nutrition, tu ingères quelque chose qui va ensuite utiliser d’autres capteurs, ça en fait de la neuro aussi de manière indirecte. Et si tu t’alimentes mal ce n’est pas bon pour toi, ça va générer plus de mécanismes de protection que de performance. Et ça va s’ajouter à tout ce que tu as déjà, un mauvais sommeil, une mauvaise nutrition, de mauvaises entrées sensorielles, des mauvais traitements, tu seras toujours en mode survie.

C’est pour cela que ne serait-ce qu’améliorer le sommeil ou la nutrition tu peux avoir des réponses positives sur la performance, sur la posture…

Les Secrets du Kayak : Comment les cicatrices peuvent influer sur la réponse motrice ?

Sébastien Zimmer : Je parlais de cicatrices de pathologies. Tu as une coupure, ça crée un défaut de sensibilité. Il y a des courants qui expliquent que la cicatrice peut être pathologique. Malgré tout ce que tu peux faire pour récupérer, tu ne récupères jamais la sensibilité autour de la cicatrice. Il y aura toujours certains déséquilibres à cet endroit.

Moi pour la mienne, j’ai tout tenté. Ce n’est pas grave, je continue de travailler ce que je sais faire dessus et à côté de ça j’essaye d’optimiser tout les autres trucs à côté. Ça peut compenser jusqu’à certains points.

Les Secrets du Kayak : On a travaillé ensemble pendant un an. On avait travaillé ensemble de la proprioception, afin de déterminer quels étaient les capteurs les plus importants pour aller vers la performance.

Sébastien Zimmer : On avait utilisé avec l’homonculus sensoriel et moteur. Dans notre cerveau chaque partie de notre corps est représenté d’une certaine manière. Toutes les parties ne le sont pas de la même manière.

Souvent ce qui se passe au niveau des mouvements se passe au niveau des carrefours moteurs, comme par exemple entre une épaule et une main. Si ta main est moins bien répertoriée, tu vas faire des mouvements un peu moins précis, et tu ne pourras pas faire tout ce que tu veux car pas suffisamment sécuritaire pour moi.

Exemple le squat, tu as un pied moins bien cartographié que l’autre. Donc tu vas faire un squat jusqu’à une certaine charge, tu descends, mais sur un pied tu es en sécurité, et sur l’autre tu es en survie. Dont tu vas te mettre là où tu sais que tu es en sécurité, et donc tu vas pouvoir pousser.

On blasphème le shift de bassin, mais c’est juste une réponse adéquate à une problématique de l’instant T pour pouvoir réaliser la tâche qu’on vient de lui demander de faire. Mais à la base c’est parce que le pied gauche est comme un trou noir pour ton cerveau.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu remarques le plus souvent comme déficit sensoriel ? Moi c’est plutôt les pieds !

Sébastien Zimmer : Les pieds c’est un truc de fou. Tu as l’impression que pour certaines personnes la jambe s’arrête au niveau de la cheville, qu’il n’y a pas de pied. Le pied c’est le seul contact physique que tu as avec l’environnement. Si ton pied est mal représenté, tu seras sans cesse dans un système menaçant pour toi. Donc toutes tes chaînes ascendantes sont instables donc dangereuses.

Les cervicales aussi. Faire juste des glissements latéraux de gauche à droite, il n’y a plus personne. C’est tellement dure mais tellement important pour garder le regard droit sur l’horizon. C’est le carrefour visuel avec le cerveau et la proprioception cervicale et le système vestibulaire.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que tout ce qui se passe au dessus des cervicales est important parce que ça retient le cerveau. Ça un gros impact dans la représentation et le mouvement. Il faut obliger à bouger et forcer certaines mobilisations et mouvements.

C’est comme pour le dos, pour être le plus adaptatif possible il faut pouvoir bouger son dos, c’est ce qui sera sécuritaire. A force d’avoir peur de bouger certaines articulations, tu les rends plus fragiles.

Les Secrets du Kayak : De ce que je comprends tu parles d’une méthode de développement de la mobilité, comme on en parlait dans l’épisode 65 avec Alex. Avec la neuro, ça s’inscrit avant le travail de mobilité. C’est parfois en travaillant sur le signal d’entrée que tu débloques de nouvelles amplitudes, bloquées par des déséquilibres de récepteurs sensoriels.

Sébastien Zimmer : Tu as très bien résumé. Une articulation peut se retrouver non pas limitée par l’articulation mais peut être par l’oreille interne. Si on ne travaille pas sur l’origine du blocage, le blocage peut revenir à un certain moment.

Travaille d’abord sur le blocage puis sur l’articulation qui se retrouvait bloquée pour la rendre plus forte, plus stable dans ces amplitudes là. C’est pour cela qu’il peut y avoir des dérives en neuro avec les gains de mobilité. Tu vas faire des tests mécaniques, une simulation de l’oreille interne ou des tests visuels, c’est bien mais si tu n’en fais rien derrière ça ne sert à rien. On a montré à ton cerveau que tu es capable de, mais une fois que tu es capable de, à toi de l’entraîner.

La question c’est : à quoi la neuro va m’être utile pour la suite et le réel objectif ?

Les Secrets du Kayak : Tu as beaucoup parlé de l’oreille interne, mais existe-t -il d’autres structures importantes sur lesquelles on va travailler en neuro pour débloquer du mouvement ?

Sébastien Zimmer : On travaille sur tous les récepteurs, et beaucoup sur deux autres. On vient pour activer le cerveau. Le cerveau va se nourrir de la respiration et du glucose. Tu as beau faire tous les exercices d’activation au monde, si tu ne respires pas bien et que tu n’as pas suffisamment de glucose, ton cerveau ne pourra jamais bien fonctionner.

Certains auteurs parlent de l’impact du système visuel jusqu’à 70%, le système vestibulaire jusqu’à 20-30% et le système proprioceptif 10%. Mais pour moi si l’un des systèmes est défaillant les autres vont vouloir compenser cela et s’adapter, et les autres vont devenir mauvais. Pour moi tous les systèmes sont importants.

Les Secrets du Kayak : Tu parles du système visuel, est-ce que ça veut dire que si je suis myope avec des lunettes, je pars avec un handicap ?

Sébastien Zimmer : Dans le système visuel, c’est complexe. Avant de faire un examen, il est conseillé d’avoir vu un médecin ou un orthoptiste qui peut te conseiller, de sorte à ne pas faire de choses erronées et contre productives.

L’ophtalmo va vérifier l’acuité visuelle, c’est bien mais ce n’est pas assez. L’orthoptiste va regarder comment fonctionne les muscles oculaires. Donc travailler sur le système visuel, c’est travailler sur toute la composante de l’œil. Soit tu travailles sur tous les aspects, soit tu comprends ce dont a besoin le cerveau et tu travailles dessus. Les deux sont justes, c’est l’approche qui va être différente. L’idée c’est de trouver le maillon faible et de remonter la chaîne pour les travailler un à un.

Les Secrets du Kayak : Donc ce n’est pas parce que je vois mal, que je ne peux pas entraîner mes muscles oculaires pour avoir un meilleur système visuel et me rapprocher du curseur de la performance.

Sébastien Zimmer : Il y a beaucoup de fonctions de l’œil, l’acuité visuelle n’en est qu’une. Ce n’est pas parce que tu es myope ou hypermétrope que tu ne peux pas travailler, au contraire. Travailler sur les muscles oculaires peut avoir une incidence sur l’acuité visuelle.

Les Secrets du Kayak : Tu parlais de neuroplasticité. Est-ce qu’on peut travailler sur les entrées d’informations pour avoir une meilleure réponse, à tout âge ? Ou bien est-ce qu’il y a un moment où c’est trop tard ?

Sébastien Zimmer : Dans la neuroplasticité, il y a l’âge mais aussi dix critères : la fréquence, l’intensité, le volume etc. il y a un impact de l’âge mais jusqu’à un certain point. C’est toujours plus facile quand tu es jeune, mais ce n’est pas parce que tu as 77 ans que tu ne peux pas travailler.

Les Secrets du Kayak : Comment se placent les réflexes archaïques dans ces intégrations ? Est-ce qu’il faut les travailler en amont ?

Sébastien Zimmer : Ça se fait en même temps. Quand on dit qu’on travaille en neuro, on va chercher à isoler les parties. Ça va générer une interaction de plusieurs systèmes en même temps. Un réflexe peut s’installer un peu avant et ça peut biaiser beaucoup de choses. Ça permet de mettre en lumière certaines choses, mais tu vas les travailler en même temps parce qu’on ne peut pas différencier.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’on arrive toujours à intégrer un réflexe ou bien c’est comme les cicatrices, parfois on n’y arrive pas, ça bloque ?

Sébastien Zimmer : En théorie oui, mais je connais des personnes pour qui c’est plus compliqué, ça dépend aussi du contexte du réflexe. Il y a ton environnement qui va entretenir ton réflexe. On le constate beaucoup au niveau des pieds où tu peux passer parfois 15h par jour dans des chaussures trop petites, tu vas prendre de mauvaises habitudes. Et ce n’est pas de l’exercice pendant 20 minutes contre 15 heures qui changeront la donne.

Les Secrets du Kayak : Quelles chaussures tu conseilles, pour ne pas contrecarrer tous ces efforts ?

Sébastien Zimmer : On pourrait privilégier les chaussures minimalistes, pieds-nus, jusqu’à un certain point. Mais parfois elles peuvent être menaçantes pour la personne. Un des moyens de corriger la posture, c’est la semelle posturale. Mais il te faudra une chaussure « rigide ». Ça dépendra de la personne. Il faut mieux privilégier le pieds-nus. C’est compliqué de définir la chaussure, ça dépend de la personne.

Les Secrets du Kayak : Quand tu parles de semelles posturales, c’est quoi ?

Sébastien Zimmer : Les semelles posturales se différencient des semelles types orthopédiques qui vont jouer sur les leviers osseux, on va mettre des talonnettes. Les semelles posturales sont plates, avec un relief uniforme partout sur la semelle. Les deux peuvent être bonnes.

Les Secrets du Kayak : En fait, il y a beaucoup de choses à faire. Combien de temps ça prend par jour en moyenne pour corriger ses déséquilibres, et pendant combien de temps doit se faire le travail ?

Sébastien Zimmer : On va prendre l’exemple d’un néophyte qui va vouloir faire une compétition de bodybuilding, combien de temps ça me prend et qu’est-ce que je dois faire ?

Il y a la partie cardio, nutrition, musculaire, tes points forts, tes points faibles, la morpho anatomie… mais c’est toi le coach qui va prioriser le plus important à travailler.

J’aime donner cinq exercices, cinq minutes, cinq fois par jour. C’est juste une mentalité, de la régularité, et une discipline à avoir. Et il faut trouver le bon exercice pour la personne. C’est la répétition et la fréquence qui va jouer dans la neuro.

Les Secrets du Kayak : Combien de temps ça prend tout ce travail ?

Sébastien Zimmer : Le but c’est de normaliser, mais il y a deux approches. La question est de connaître son objectif. Dans la vie de tous les jours tout travaille ensemble. Comment être capable d’intégrer toutes ces informations en même temps ? Est-ce que tu cherches à être normal, ou à optimiser ? Pour arriver à une certaine norme, ça peut se faire en un an.

A côté de ça tu peux travailler sur l’optimisation de la performance à travers des exercices spécifiques, à travers la séance ou la discipline. En kayak, c’est la stabilisation de l’oreille interne qui va être recherchée, sinon on finit à l’eau. On peut faire des programmes sur mesure inhérent à la performance.

Le but de la neuro est de permettre la stabilité réflective qui va permettre le mouvement. Tu vas chercher en kayak à te stabiliser, ce qui te permettra de faire les mouvements que tu veux.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’à un moment on arrive à une stagnation ?

Sébastien Zimmer : Au début, la personne déficitaire au niveau neuro va très vite progresser jusqu’à un certain degré. Ensuite ça devient plus difficile de trouver le bon exercice qui va matcher pour la personne. Mais ça fait partie de l’expertise.

Les Secrets du Kayak : Ça veut dire que le travail peut se faire à vie ?

Sébastien Zimmer : Ce n’est pas sans fin, mais il y a de l’entretien. La continuité, la régularité, et faire les mouvements naturels de MovNat c’est là que tu exploites les articulations et tous les mouvements ou les systèmes qui travaillent en même temps. Ça irait dans la continuité.

Les Secrets du Kayak : J’ai l’impression qu’on découvre sans cesse de nouvelles choses sur la neuro ? Aujourd’hui comment tu fais pour progresser de ce côté là ?

Sébastien Zimmer : Oui on en apprend tous les jours. A la base la neuro se fait sur une population de malades, type Alzheimer. Ce côté lié à la performance est très nouveau. Donc les critères de normalité ne sont pas les mêmes.

Nous on ne va pas regarder la pathologie, on va chercher l’optimisation. Il y a peu de littérature à ce sujet. Mais l’avantage c’est qu’on se forme continuellement là-dedans. On comprend comment fonctionne le cerveau et on l’applique pour la performance. On prendra le même papier de critère, mais on n’aura pas la même lecture.

Les Secrets du Kayak : Quel pourcentage de gain peut-on espérer en travaillant ce côté neuro ? Combien de secondes puis-je gagner en kayak ?

Sébastien Zimmer : Ça dépend de la personne. On a testé et jusqu’à un certain point on peut espérer un gain de 5-10% sur un niveau élite ça se prend direct, même 2 %. La neuro est là pour optimiser le développement de la capacité physique, non pas remplacer la préparation physique. Ça permet d’avoir moins de fuite d’énergie.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ça veut dire qu’on y gagne plus sur des sports explosifs que endurants ?

Sébastien Zimmer : Un des premiers tests qu’on fait c’est la marche, car c’est une activité contrôlée et automatique. C’est une succession de chutes contrôlées. Si tu ne recrutes pas les bons muscles, ça te crée des fuites d’énergie. Donc à un moment donné tu vas être moins efficace. Ça fait tellement sens également pour l’endurance.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe si on veut travailler ce côté neuro ?

Sébastien Zimmer : Si des personnes veulent se former, tout le monde peut avoir un impact dans ce qu’on a évoqué. C’est là où c’est un peu compliqué.

Nous on a créée une formation labo, on y réfère nos élèves pour faire des bilans. Aujourd’hui on a presque 200 élèves, un peu partout en France, au Luxembourg, en Belgique et en Suisse. On l’a appelé Formation.labo-rnp.com

On communique sur les réseaux. On a une grande communauté francophone.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a des livres qui tu conseillerais en plus de la formation ?

Sébastien Zimmer : Oui. Les livres sur les réflexes comme Ressource primordiales. Le Grand livres des réflexes. Le Manuel pour bouger. il y en a d’autres en anglais, en allemand aussi. Tu prends un livre de neuro c’est indigeste, mais c’est ce que tu vas en faire et comment tu l’appliques qui va jouer.

Moi mes conseils sont à destination d’un athlète, il faut se dire que la neuro c’est pour optimiser ce qu’il fait déjà. Il faut avoir un but derrière. Comment adapter les principes dans son entraînement. A quoi ça va servir ?

Il faut l’appliquer dans son programme d’entraînement, ce sont des principes d’entraînement. Mais on peut aller tellement plus loin.

Ça ne fait pas tout.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Michael Fargier

Retrouvez tout sur Michael Fargier dans cet épisode des Secrets du Kayak. Comment a-t-il débuté le Kayak de descente ? Quel est son parcours ? Qu’a-t-il fait pour performer ? Comment s’est passée sa reconversion en tant qu’entraineur ?

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Michael Fargier en avril 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Michael Fargier : Ça va bien je suis dans le Sud sous Fréjus. Il fait beau, tout va bien.

Les Secrets du Kayak : C’est un plaisir de t’avoir sur le podcast, comment as-tu commencé le kayak ?

Michael Fargier : Simplement vers 8-10 ans, j’habitais à 300m du club de kayak, je m’ennuyais l’été donc mes parents m’ont inscrit avec ma cousine au club.

Avant ça j’ai fait comme tout le monde un peu de football, mais j’ai surtout fait du BMX. En fait mon père faisait du motocross et souvent sur les courses il y avait des petites courses de vélo.

Les Secrets du Kayak : Quand tu as commencé le kayak, tu as commencé directement par de l’eau-vive ?

Michael Fargier : Moi je suis Ardéchois donc j’ai commencé par des esquimautages, un max de tour ; et mon club faisait surtout de la haute-rivière qu’on passait avec des bateaux courts. Ce sont des bateaux prévus pour la haute-rivière, plus larges et plus courts que la moyenne. Ils sont prévus pour faire du franchissement de rivière.

Les Secrets du Kayak : Quand tu as commencé le kayak, tu as fait d’autres activités sportives en parallèle ?

Michael Fargier : Je me suis concentré uniquement sur le kayak à partir de cadet, vers 13-14 ans. Mon parcours se résume à des rencontres et des opportunités. En Ardèche, j’ai pu bénéficier de la création du centre d’entraînement d’Aubenas. Une sorte de pôle espoir.

On avait les services d’un pôle espoir sur notre lieu de vie. C’est ce qui nous a permis de nous sélectionner aux championnats de France. On a fait des médailles en équipe avec le club. C’est parti assez vite.

Avant ça j’avais fait des petites compétitions départementales sur le plat. Mais j’étais adepte des efforts courts à l’époque et orienté davantage slalom.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui t’a fait passer sur la descente après ?

Michael Fargier : C’est la régularité. En slalom je n’étais pas régulier, et en slalom tu as des touches qui te coûtent 5 points de pénalités. Il valait mieux ne pas en faire.

En descente il y a moins d’incertitude, j’étais plus régulier dans les entraînements. Notre entraîneur était plus tourné vers la descente. Il y avait aussi Sabine à cette époque en Ardèche, on la voyait le mercredi, elle nous donnait des conseils. Il y avait une bonne dynamique.

Les Secrets du Kayak : Quand tu rentres au centre d’entraînement d’Aubenas, comment ça se structure les entraînements ?

Michael Fargier : Il y avait le mercredi et le soir après les cours. On se retrouvait sur un petit plan d’eau de 300m, on y faisait des tours, il y avait des portes en slalom et des rapides pour faire des exercices. Il y a même eu le projet du bassin semi-artificiel et en 1992 il y a eu une crue qui a emporté le bassin.

J’ai bénéficié d’une grosse dynamique locale. C’était tout petit mais on maîtrisait bien la gîte, les contrôles de dérapage, les relances... on pouvait sans doute se démotiver plus vite de tourner en rond, mais quand on est jeune il n’y a pas de problème.

On avait la chance d’avoir un entraîneur compétent. Il nous a amené plein de choses pour performer plus tard.

Les Secrets du Kayak : Tu dis que le club d’Aubenas fonctionnait comme un pôle, est-ce que cela veut dire que tu as pu bénéficier d’un pôle d’entraînement pour t’entraîner plus ?

Michael Fargier : Il y avait des petites ententes avec les lycées, et oui il y avait des ramassages mis à disposition comme on peut le retrouver dans un pôle espoir aujourd’hui.

Les Secrets du Kayak : Quel était ton projet ? Tu avais des ambitions de compétitions en kayak ?

Michael Fargier : Cadet 2 j’ai commencé à avoir une médaille de bronze en descente. Ça a commencé par là. Mais à ce moment là jusqu’à junior 2, moment où j’intègre le pôle national à Lyon, je m’entraînais sur ce plan d’eau.

On faisait des séances de 35-40min, on ne faisait pas 20km sur le plan d’eau. Quand il y avait un peu d’eau on pouvait remonter en rapide, ça permettait d’agrandir un peu le tour. Les changements de rythme permettent aussi de changer d’appui.

Nous, les descendeurs on cherchait vraiment à avoir une gamme d’appuis en fonction du courant, de la profondeur. Le but étant d’être capable de faire aller vite ton bateau. La descente permet d’avoir un changement de rythme, influencé par le profil de la rivière. Tu l’as aussi en mer mais en eau calme moins.

Les Secrets du Kayak : Combien de gammes d’appuis il faut selon toi ?

Michael Fargier : Il n’y a pas de combien, c’est plutôt avoir des styles adaptés en fonction du profil des rivières. Tu vas avoir des nuances plus ou moins verticalisées, plus ou moins allongées, et par rapport au touché d’eau faire durer ton appui.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu penses que de faire de la descente ou de l’eau-vive c’est un prérequis indispensable pour performer et avoir plus de registre en fonction des conditions ?

Michael Fargier : Ce sont les résultats qui parlent. Chez les descendeurs, il y en a pour qui ça a très bien marché. En France on a, par exemple, Arnaud Hybois qui a performé dans les deux disciplines.

Est-ce pour autant un prérequis, non. Ce n’est pas une tare non plus. En descente il y a de bons volumes d’entraînements. Par rapport à la course en ligne on a moins le registre musculaire. Il y a des sportifs qui sont bien passés de la descente à la course en ligne.

Après par exemple en Australie, ils n’ont pas de descente mais ils ont du surfski et ça fonctionne bien de passer du surfski à la course en ligne aussi.

Les Secrets du Kayak : Je te pose cette question par rapport à ma pratique. Je n’ai jamais fait d’eau-vive. Je me disais que peut être c’était une piste.

Michael Fargier : L’eau-vive ou le surfski, la mer va t’obliger à faire des petits changements en fonction de là où tu te positionnes sur la vague. La mer peut être un bon moyen de le travailler et de travailler le volume, faire des bornes pour changer un peu.

Les Secrets du Kayak : Pour revenir sur ton parcours, tu as ensuite intégré le centre à Lyon ?

Michael Fargier : En fait en junior je me suis sélectionné pour les championnats du monde junior. J’ai fait troisième. J’avais eu mon Bac, donc je suis parti à l’UFR Staps, c’était soit Grenoble soit Lyon. Pour le projet kayak, c’était mieux de faire Lyon. J’ai été pris à Lyon, il y avait une grosse dynamique descente.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qu’il y a eu comme changements en terme d’entraînement, entre les deux centres ?

Michael Fargier : Il y a eu une grosse dynamique à Lyon, tu arrives chez les grands. Tu passes un cap. On a surmultiplié les séances. En championnat de France en senior 1 je fais troisième, une surprise. Ça a été le début de ma carrière sportive en descente.

L’année d’après je me sélectionne pour les championnats du monde, puis l’année d’après je gagne la coupe du monde. C’est allé assez vite.

Les Secrets du Kayak : Je te parle d’entraînement parce que j’ai lu le livre “Danger Zone”, que tu dois connaître. Quand tu lis ce livre, on voit que les choses ont changé. Donc quand tu arrives à Lyon est-ce que les volumes d’entraînement ont augmenté, la qualité des séances a changé ?

Michael Fargier : Moi je pense que le volume a augmenté mais il y a eu l’émulation. Ça envoyait les entraînements. On était dans la quantité mais on avait un entraîneur qui nous suivait. Lyon stratégiquement c’est bien placé pour les stages dans les bassins alentours.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que à Aubenas de la même manière, il n’y avait pas de séances faciles ?

Michael Fargier : Je ne me souviens plus trop. Les séances étaient plus courtes. A Lyon, on se retrouvait on était nombreux. Il y avait un gros décalage entre les deux. J’ai du travailler le concept d’anti-fragilité, je ne me suis pas blessé. Avec du recul c’était assez brutal.

Les Secrets du Kayak : Tu disais avoir gagné la coupe du monde en descente, l’ensemble des championnats se passent bien. Est-ce qu’à ce moment tu te dis que tu veux devenir champion du monde de descente ?

Michael Fargier : Oui. Je suis de la même année que Bâbak, il gagne et moi je fais troisième à peu de choses. Je pense que en senior 1, j’ai eu un déclic technique et mental, et j’ai changé de vitesse de base. J’ai gagné à 19 ans les France, à 20 ans je fais mes premiers championnats du monde, à 21ans je gagne la coupe du monde. Mais j’ai arrêté tôt.

Les Secrets du Kayak : Et quand tu veux devenir champion du monde, que tu as ce déclic, est-ce que tu t’investis encore plus dans les séances ? Qu’est ce que tu fais de plus ?

Michael Fargier : Physiquement je ne me sentais pas trop dans le jeu. Il me fallait m’entraîner quand tu regardes les adversaires à l’époque. Et de l’autre côté je cherchais à gratter du temps sur chaque coup de pagaie, centième de seconde par centième. C’est ce qui m’a permis de progresser vite. Et j’étais capable d’aller loin dans l’effort. Je savais accepter la douleur.

Les championnats du monde à l’époque, ce n’était qu’en classique. Ce n’est qu’en 2002 que le sprint est arrivé aux championnats du monde. Et je ne deviens pas champion du monde, je fais deuxième.

On gagne en équipe ensuite. En 2000, je fais septième mais c’est l’année où je suis devenu prof de sport et que je travaillais.

Les Secrets du Kayak : A un moment tu as un peu perdu le truc pour devenir champion du monde ?

Michael Fargier : Oui, mais je me suis dispersé. Pour être champion du monde, il faut être centré sur la tache à accomplir.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu faisais des choses en dehors du bateau pour performer davantage ?

Michael Fargier : Dans mon parcours, j’ai eu la chance d’avoir René Même, le préparateur physique. Il nous a amené la musculation de façon assez variée. C’était assez sympa. Avec toutes les techniques assez pointues. Donc la musculation est assez bien passée. En course en ligne, ce n’était pas aussi varié.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu faisais de l’entraînement aérobique avec de la course à pieds en dehors du bateau ?

Michael Fargier : Au début non, mais oui ensuite avec du ski de fond.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu faisais attention à tout ce qu’il y avait autour de l’entraînement, l’alimentation, aller régulièrement chez le kiné, est-ce que tu avais un petit staff autour de toi ?

Michael Fargier : Sur Lyon oui, pas toutes les semaines mais presque, et René nous faisait un peu de micro-nutrition. J’étais en Staps en plus, il était calé, c’est une chance pour moi de l’avoir eu.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu arrêtes ta carrière d’athlète et que tu deviens entraîneur ?

Michael Fargier : Je ne suis pas devenu entraîneur de suite. Mais j’ai pesé le pour et le contre avant de savoir si je repartais pour une saison olympique, et quand les moins l’emportent tu te retrouves moins investi. Ça ne me plaisait plus. Je commençais à régresser.

Avec le travail, le plan d’eau le plus proche était à 17km, ce n’était plus jouable par rapport à mon niveau de motivation.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu arrêtes de naviguer même pour le plaisir ?

Michael Fargier : Encore le jeu des rencontres ! Je me suis retrouvé à partir dans les raids aventure. Je faisais pas mal de VTT, de Bicross. On m’a proposé ce raid, ça s’est bien passé et je suis parti sur ce type de carrière. J’habitais à Privas donc plutôt loin du plan d’eau. Je faisais du trail, de la course d’orientation, des activités terrestres pour préparer le raid. Ça se fait en équipe et c’est top pour voyager.

Nous descendeurs, nos courses sont dans les montagnes, faire un footing en montagne c’est fréquent. Ce côté nature aventure, longue distance, je l’ai fait de 2000 à 2007. Ensuite j’ai fait des gros raids. A ce moment là j’étais prof de sports en direction départementale jeunesse et sport en Ardèche. Donc je m’occupais des emplois jeunes.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui te pousse à devenir entraîneur ensuite ? Comment ça s’est passé ?

Michael Fargier : Les rencontres. Je suis parti en région parisienne. Le DTN de l’époque m’a proposé un poste sur le pôle France de Vaires-sur-Marne. Au début il y avait un pôle descente. Sur le pôle France ce sont principalement les sportifs qui passent pour une formation sur l’INSEP. On s’entraînait beaucoup à Champigny-sur-Marne.

Sur le pôle, on était quatre entraîneurs. J’étais intéressé par la recherche du détail, l’optimisation de la performance. En descente je connaissais beaucoup les sites, les rivières.

Les athlètes ont eu de bons résultats en junior, en kayak et en canoë. On fonctionnait sur la Marne, on faisait de la musculation à l’INSEP, on faisait des stages pour rechercher de l’eau-vive.

Les Secrets du Kayak : Tu parlais de musculation et on m’a beaucoup parlé de la musculation en déséquilibre que tu mettais en place. Est-ce que tu peux définir ce point là ? Quel retour tu en as eu ?

Michael Fargier : Ça part du principe de rechercher une gamme d’appuis. Ce qui compte c’est le concept de transmission. La force de la chaîne dépend de la résistance de son maillon le plus faible.

L’idée c’est d’avoir une panoplie de mouvements et d’angulation, et nous kayakistes sommes assis sur l’eau, c’est instable. Donc le but était de développer de la force et de la puissance sur un support instable. C’est parti de ce constat.

J’ai mis en place plein de stratagèmes et d’ateliers. Ça marchait bien, c’était nouveau, différent, c’était plutôt apprécié.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu faisais aussi des mouvements de tirage et de poussée en instabilité ?

Michael Fargier : Pas forcément. J’avais installé un système à base de cordes, avec une poulie en haut. Tu gérais ton instabilité. Comme toutes les méthodes c’était progressif. Il fallait que ça reste un outil pour performer dans le kayak, ne pas se disperser.

Quand tu es en stage tu peux aussi faire beaucoup de choses.

Le geste sportif est toujours demandeur d’adaptation de ta part dans le kayak. L’idée était de pouvoir amener la force là où tu le voulais.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait qu’après tu passes entraîneur de course en ligne ?

Michael Fargier : Le pôle descente s’est réduit donc on m’a proposé de passer entraîneur de course en ligne en restant entraîneur des quelques sportifs de descente qu’il y avait.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu avais déjà fait de la course en ligne auparavant ?

Michael Fargier : Oui, j’avais fait un peu de course en ligne. Je m’étais dit que c’était une possibilité sauf que mon petit gabarit a fait que je n’étais pas bon. Par contre, j’avais fait du marathon type Ardèche, ce n’est pas de la course en ligne de 500m ou de 1000m.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu changes ta manière d’entraîner entre les deux pratiques ?

Michael Fargier : Course en ligne je suis arrivé au moment un peu charnière, où il y a un changement dans le règlement avec l’arrivée du 200m aux JO. Et puis il y avait la possibilité de récolter des data de course.

En parallèle j’avais découvert la lettre des entraîneurs, et je tombe sur un article sur le mini-max. Je trouve quelqu’un qui me l’a prêté. Je suis rentré sur la course en ligne pour amené un peu de données chiffrés et d'objectifs. L’idée c’était de modéliser au max les particularités des 1000m 500m et 200m, et comment on peut être performant pour gratter des millimètres sur chaque appui, comment gagner du temps sur le retour aérien.

Le mini-max était intéressant sur les stratégies d’allure. Celui qui gagne c’est celui qui a la meilleure vitesse moyenne.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu peux mesurer la gîte du bateau, le comment il avance, est-ce qu’il y a des conclusions un peu universelles ?

Michael Fargier : Non, à mon niveau on s’en est servi sur les cadences, la vitesse, la distance par cycle. Sur les angulations, la gîte, le lacet, le dauphinage et le pitch, il y avait un max de données, il fallait aller à l’essentiel et je ne sais pas aujourd’hui où on en est.

Les Secrets du Kayak : Comment on entretient sa vitesse une fois qu’on a atteint son pic de vitesse ?

Michael Fargier : Passer sur un peu moins de charge dans l’appui et tenir la cadence. Trouver le compromis cadence et appui max. Ensuite il y avait une stratégie de se désynchroniser dans une partie de la course en équipage. Dans ce fonctionnement là, la phase aquatique était augmentée c’est à dire la phase d’accélération du bateau.

Pour les piges pour les JO, les athlètes étaient très serrés. On s’apercevait que même si le temps de la course était le même, dans la manière de pagayer il y avait un temps d’accélération plus long. Mais ils avaient aussi des formes de pagaies différentes. Donc difficile de bien cibler la chose.

Les Secrets du Kayak : Comment on fait en tant qu’entraîneur pour déterminer la meilleure pagaie pour son athlète ?

Michael Fargier : Tu es dans les sensations. C’est souvent l’athlète qui va te le dire. Ça dépend surtout des pagaies que tu as eu tôt, sur lesquelles tu as pu t’habituer. Nous on peut influencer sur les tailles.

Le mini-max avait le mérite d’amener des résultats objectifs. On s’inspirait aussi de la natation au sujet de l’indice de glisse. A vitesse égale celui qui a la cadence basse a un niveau supérieur à son collègue. Mais ce n’est pas révolutionnaire.

Mon but était de savoir comment optimiser l’accélération de mon kayak, comment je peux influencer et minimiser la décélération sur chaque coup de pagaie.

Il n’y a pas de conclusion, l’objectif était d’avoir une base de données.

Ce qu’il faut c’est être solide, être flex. Ce qui compte c’est le passage dans l’eau, la qualité de l’impulsion, la verticalité de la pagaie.

Les Secrets du Kayak : Combien de temps restes-tu à Vaires-sur-Marne ?

Michael Fargier : Je suis resté jusqu’en 2012. L’aventure prend fin par les Jeux et l'arrivée d'une nouvelle équipe. Mon côté poil à gratter ne convenait pas pour eux. Je suis parfois un peu trop franc.

Je me suis retrouvé à la fédération sur une position où je passe sur la formation des entraîneurs par la mise en place des DEJEPS. C’était intéressant.

J’ai fait ça deux ans. Et puis on est parti de la vie parisienne, et aujourd’hui on est à Fréjus.

Les Secrets du Kayak : Est-ce à ce moment là que tu te mets au surfski ?

Michael Fargier : Non c’était en région parisienne. La Normandie était à 2h30. C’était sympa. J’ai repris environ 10 ans après avoir arrêté le kayak. J’ai commencé avec un Nelo Ocean. La position était typée course en ligne. Il était confortable mais pas très stable. Le siège est un peu haut.

Par la suite j’ai fait des compétions dès lors que je n’étais plus entraîneur. Je n’ai pas performé plus que ça à mon niveau Master, j’étais entre 5-10ème français. La notion de progression est importante pour moi.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a des points communs avec la descente ?

Michael Fargier : Sur le changement de rythme, l’adaptation, un peu. Les reconnaissances en descente ne sont pas limitées, donc tu connais par cœur le parcours. La mer c’est différent, tu as des flux, tu tiens compte de ta vitesse de déplacement et tu dois tenir compte de la vitesse des vagues et de leur période. Il y a un gros travail de lecture et d’anticipation.

En descente et en surfski, mes pagaies sont quasiment les mêmes. Athlète, j’avais fait une pagaie où l’objectif c’était d’enlever du poids du bateau, diminuer la traînée du bateau. J’avais fait une forme en haricot, mais je n’ai même pas couru les championnats du monde avec. Je l’ai réutilisé en surfski. Au niveau de la tenue en mains c’est spécial.

Les Secrets du Kayak : J’ai vu que tu faisais aussi du paddle à haut niveau ?

Michael Fargier : A Fréjus il n’y a pas de dynamique en surfski. Donc je me suis mis au paddle. Il y a énormément de transfert avec le kayak de mon point de vu. Tout est pareil sauf que tu es debout.

Il y a le challenge de la notion d’équilibre.

Le paddle tu es un peu plus dans le musculaire, en surfski tu vas être un peu plus dans le cardio. Le surfski pour le paddle permet de travailler symétriquement. En paddle tu as un bordé préférentiel. Je ne dirais pas au surfski qu’il faut faire du paddle pour performer.

Les Secrets du Kayak : Mais est-ce que ça aide pour l’équilibre ?

Michael Fargier : C’est différent, l’équilibre n’est pas le même. Tu restes debout, ce n’est pas les mêmes chaînes musculaires qui vont travailler, il faut de la sensibilité au niveau des fesses. Quand tu es debout tu as besoin de tes jambes, de tes chevilles pour t’équilibrer.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui tu t’entraînes comment, tu t’entraînes tous les jours ?

Michael Fargier : Non aujourd’hui je ne peux plus. Je m’entraîne deux à trois fois par semaine mais pas tout le temps. Mais j’ai rajouté du gainage à la maison, refaire de l’alignement, ça me fait du bien. Et j’ai l’impression que ça limite la perte de niveau lié à mon manque de pratique. J’alterne entre paddle et surfski.

Aujourd’hui je suis formateur au CREPS de Boulouris. Je forme le BPJEPS généraliste.

Les Secrets du Kayak : Tu dois chercher comment fonctionne les autres disciplines pour pouvoir les enseigner ?

Michael Fargier : Pas vraiment ce BPJEPS reste un incitateur à l’activité. Tu ne vas pas très loin. Ensuite j’ai des activités où j’ai des intervenants. C’est un diplôme très ouvert pour avoir une carte pro. C’est un diplôme pour un cursus court. On vit dans une belle région donc c’est assez cool.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ça veut dire que l’entraînement doit être une compétition ?

Michael Fargier : Non mais l’entraînement doit comporter des séances qui comptent, dans lesquelles il faut être capable de reproduire des vitesses de déplacement et des situations qu’on va retrouver en course. Il n’y a pas la même pression ni les mêmes enjeux, mais il faut s’habituer à cette allure.

Les Secrets du Kayak : Tu parlais de fraîcheur mentale, mais c’est quoi pour toi ?

Michael Fargier : Quand tu es fatigué tu es moins disponible pour être au top, lucide, concentré, gainé, afin de contrôler et agir sur un max d’éléments. Quand tu es fatigué tu es plus dans le subi et ce n’est pas à ce moment là que tu fais tes meilleures perf.

La performance peut être liée à ce que tu fais à côté et à ton projet de vie aussi. Donc si tu ne dors pas bien, que tu n’es pas bien dans ta vie, tu as beau récupérer ça peut être compliqué aussi.

En tant qu’entraîneur, mon idée principale restait de rapprocher le bassin de la pagaie dans tout ce que j’ai pu travailler. Il faut maîtriser son mouvement d’où tout ce travail en déséquilibre et tous les exercices que j’ai pu mettre en place.

Les athlètes qui performent sont ceux qui se donnent le moyen d’atteindre leur rêve.

C’est le côté mental et la fraîcheur de l’athlète qui va permettre d’accepter la souffrance pour faire la différence. A cela va se rajouter la technique qui va permettre d’y arriver. Ça veut dire qu’à l’entraînement il faut être capable de se mettre dans cet état pour le faire en course.

Entraînement facile = course difficile.

Vous pouvez retrouver Michael Fargier sur son compte Facebook.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : François Barouh

Retrouvez tout sur François Barouh dans cet épisode des Secrets du Kayak. Comment a-t-il débuté le Kayak de course en ligne ? Quel est son parcours ? Qu’a-t-il fait pour performer ? Il nous raconte son expérience olympique !

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec François Barouh en mars 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

François Barouh : Bonjour Rudy, tout va bien.

Les Secrets du Kayak : C’est un plaisir de t’avoir sur le podcast moi qui ai pu interviewer Maxence à Marcillac au mois de décembre, ton fils. Quand et comment as-tu commencé le kayak ?

François Barouh : Je suis né dans une famille avec trois sœurs dans une maison proche d’une rivière. Mon père a toujours été impliqué dans le bénévolat. Il a emmené ma mère dans cette dynamique. Je me souviens d’un club de football qui se dépeuplait, donc c’est devenu une équipe de hand-ball. Puis ça se dépeuplait encore le club est de venu un club de majorettes, puis un club de judo.

Et puis un gars du club est tombé chez moi sur ce qu’on appelait une nourrice, pour alimenter les avions, c’était un cylindre avec des flotteurs, mon grand-père devait l’utiliser pour aller pêcher. Ce gars du club a bricolé un truc qui ressemblait à une pagaie pour aller naviguer. Une dynamique s’est créée, les gamins sont allés en stage de construction d’engins en polyester. A leurs retours, les premiers canoës étaient fabriqués.

Je devais avoir 8 ans et j’avais l’interdiction de monter dedans. C’est à 12 ans que j’en ai eu le droit. En attendant j’ai fait beaucoup de judo. Ensuite j’ai fait du kayak.

On n’avait pas beaucoup de moyens. La municipalité mettait juste à disposition une salle pour faire du judo, mais en fait le club c’était chez moi, c’était familial. A un moment j’ai du choisir entre le judo ou le kayak. Mais le judo me générait des traumatismes articulaires. Le kayak c’était l’aventure, le camping, l’évasion.

On a commencé à faire des compétitions, mais on n’avait rien, ni savoir faire ni savoir être, des bateaux fabriqués maison. On faisait des compétitions de descente sur une rivière toute plate, pendant une heure dans des bateaux de slalom à vrai dire.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’à un moment il y a eu un entraîneur qui est arrivé ? Comment tu fais pour apprendre ?

François Barouh : On était au début des années 1970. Les autres clubs du département comme nous découvraient ce sport par eux même. Il n’y avait pas de structures de club. On n’intéressait pas grand monde.

Mes trois sœurs étaient investies dans le kayak également. Elles avaient moins de concurrence donc elles ramassaient des médailles, et moi non. J’aimais la compétition non pas pour la récompense mais pour la compétition, mais il me fallait être devant les autres. On a progressé comme ça.

Ensuite il y a eu la création du comité régional Champagne-Ardennes. Et on a vu débarquer un conseiller technique de la fédération française qui a mal vu nos résultats. Il voulait imposer une façon de faire qui n’était pas la nôtre. Nous c’était le plaisir, le partage, l’aventure. On a eu des problèmes relationnels avec la ligue. On a continué à se débrouiller tout seul.

Dès minimes, j’étais toujours en finale, et mes sœurs sur le podium.

J’ai passé mon BAC et j’ai eu l’opportunité extraordinaire de partir pour le bataillon de Joinville en 1975. Avec trois autres ligneux Michel Pernice, Schwarz et Legrand, on s’y est retrouvé. Et j’ai découvert ce que c’était que de s’entraîner. J’ai découvert que courir est intéressant, la musculation est intéressante, il ne suffisait pas de faire 10km tranquillement pour aller vite.

Les Secrets du Kayak : Avant que d’aller au bataillon de Joinville, comment étaient les entraînements au club ?

François Barouh : On a tout découvert par nous même jusqu’au moment où je suis allé là-bas. Mon entraîneur était Jean-François Millot, il préparait les JO de Montréal avec Gérald Delacroix. On ne savait pas ce que c’était l’entraînement, la planification. Moi c’était les mercredi et samedi après-midi. Il n’y avait pas de technique, on se débrouillait.

En 1976 on a regardé les JO de Montréal à la télé, c’était surnaturel pour nous. C’était incroyable. Jamais personne ne s’est propulsé dans l’idée de faire ce qui était nécessaire pour en arriver jusque là. Quatre ans après j’y étais.

Les Secrets du Kayak : Ça te motive de découvrir tout cela et de progresser ?

François Barouh : J’en ai bavé ! Ça a été le socle de tout. J’ai quitté le bataillon de Joinville au bout d’un an pour rentrer chez moi, pendant neuf mois je n’ai pas touché un bateau. Je me suis concentré sur les gamins du club, pour m’occuper d’eux. Je voulais partager ce que j’avais appris.

J’étais fatigué par mon année là-bas. Fin 1976 j’étais un piètre compétiteur, mais en fin d’année ça m’a démangé, la passion était revenue. Je me suis organisé entre mon envie d’être meilleur en kayak, et avoir un avenir professionnel.

J’avais la chance d’avoir l’usine Béghin-Say à côté de chez moi. Je faisais la saison d’hiver en travaillant la nuit, ce qui me permettait les huit mois suivants de m’entraîner. Ça a duré quatre hivers comme ça.

L’objectif était prendre du plaisir et d’aller plus vite que les autres. J’aimais le stress de la compétition, l’environnement, la rigueur des entraînements, le partage avec mon club.

En 1979 je fais quatrième du championnat de France en senior. L’entraîneur national m’appelle un soir pour rejoindre les athlètes préolympique de Moscou, donc rejoindre l’INSEP. J’ai pris le train en route au mois de janvier. J’ai été obligé de laisser tomber les gamins du club que j’encadrais par plaisir. J’ai terminé au classement général des six courses de sélection à la quatrième place, en battant Bruno Bicocchi, décédé il y a peu de temps. Il était important pour moi d’en parler aujourd’hui.

On s’est retrouvé parmi les 125 français présents à Moscou tous sports confondus. On avait un contrat moral fixé par le ministère et le collectif national olympique et sportif français, n’allaient à Moscou que les français susceptibles de finir dans les neufs premiers.

En kayak, il fallait être en finale. J’étais sélectionné en K4 avec Philippe Boccara, Patrick Lefoulon, et Patrick Bérard. On a fait notre demi-finale et on a été fêté dans le village olympique comme des pseudo héros par le comité national olympique parce qu’on avait rempli le contrat moral. Le problème c’est qu’après tout le monde s’en est désintéressé, que ce soit la fédération comme l’CNOSF…

Précédemment j’ai omis une précision : la fédération nous oriente vers l’hôpital de la Piété Salpêtrière pour nous faire des tests hormonaux. On nous a prescrit une pommade pour rétablir un équilibre.

Il y a eu les JO on finit sixième dans le désintérêt le plus total. Personne n’était présent, ce qui est assez peu motivant quand tu es athlète sur une finale olympique.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’être sixième en finale c’était bien pour toi comme résultat ?

François Barouh : Non. On savait que ce n’était pas bien mais il y avait des circonstances, on était dans les prémices d’un orage. Il y avait des rafales terribles et la distribution des lignes d’eau était déterminante. Ce sont des imprévus. On était trop jeunes et trop livrés à nous mêmes. C’était encore du bricolage.

En 1981, le même K4 on fait cinquième aux championnats du monde à Nottingham. En 1982 la fédération décide de tout casser, de faire deux K4. Mais en 1981 je demandais à Alain Lebas pourquoi des norvégiens, suédois, polonais…, étaient-ils plus performants que nous alors qu’ils ont de la glace pendant un temps infini ?

Je suis allé m’entraîner chez un ami en Pologne, champion du monde de kayak, on s’est entraîné aux pieds d’une centrale nucléaire l’hiver. Sa réponse était que s’ils ne faisaient pas de kayak faute d’eau, c’est qu’ils font de la préparation physique. Donc on a travaillé sur un plan d’entraînement que j’ai mis en œuvre dès le premier janvier 1982.

L’idée c’était de décembre à février pas de séance de kayak mais de la PPG avec des séances de musculation, de courses à pieds et de piscine. Mais je faisais des séries même en course à pieds, avec des sprints à la fin de chaque série, et il fallait que la séance dure au moins quarante minutes minimum.

La musculation c’était des séances de puissance. Je ne cherchais pas à faire des records de poids. Mais un développé couché avec une barre à 60 kg me suffisait. Je cherchais de la puissance en répétitions mais pas en force.

Deux fois par semaine je faisais des circuits trainings, j’étais au CREPS de Wattignies, et j’avais la salle de musculation pour moi tout seul. Je faisais six circuits de huit minutes, il me fallait faire monter les pulsations. Pour la natation c’était faire de la physio et des apnées. Je faisais plusieurs entraînements par jour pour combler une situation de manque de mes adversaires, j’avais faim de kayak. Je cherchais à devenir plus fort en kayak. J’étais Lillois, parfois je supprimais des séances de courses à pieds à cause du temps pour refaire une séance musculation.

Les Secrets du Kayak : Comment s’est passée ta reprise sur l’eau ?

François Barouh : Début mars 1982, je suis remonté pour la première fois dans mon kayak. J’avais perdu toute sensibilité sur mon coup de pagaie, je n’avais pas perdu la stabilité, j’étais content de remonter mais au bout de trois minutes j’avais déjà mal partout.

Le lendemain matin à Choisy-le-Roi il y avait les tests hivernaux. Il y avait un chrono sur 9km à faire pour gagner sa place pour les stages de kayak. J’ai eu très mal, j’ai terminé deuxième derrière Patrick Lefoulon. Ça s’est super bien passé en performance, mais pas du tout en sensation ni en plaisir.

J’étais passé du diesel au turbo diesel. Ma reprise s’est faite avec deux fois 20km de kayak par jour. J’avais des déclinaisons de séance, mais il me fallait sortir de cette situation de turbo diesel. J’avais une capacité énorme. J’ai fait ça pendant deux mois, 11 séances par semaine.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as retrouvé tes sensations avec tout ce volume ?

François Barouh : Oui, mais ce qui a été terrible c’était de repasser dans le lactique, j’étais seul, les sélections approchaient il me fallait sortir de ma zone de confort. Toute la PPG se mettait en place avec le volume mais les séances de lactique en solo, j’ai vraiment souffert.

Les Secrets du Kayak : Comment cela se fait-il que tu étais seul ?

François Barouh : J’étais seul parce que j’étais en poste à la direction départementale de Lille, en 1982 la fédération a cassé le K4 pour en faire deux K4 expérimentaux. Les équipiers étaient juste appelés pour faire une compétition internationale, monter un coup ensemble, ils faisaient ce qu’ils pouvaient.

Aucun des deux K4 français n’avaient atteint les repêchages lors des sélections en Allemagne cette année 1982, hormis ce que j’ai mis en œuvre.

Lorsque je suis arrivé au stage préparatoire aux championnats du monde 1982, j’avais une faim de loup de kayak, je dévorais les séances de lactique comme si j’avais un soleil dans la tête, sans fatigue dans le corps. Je volais sur l’eau, j’allais plus vite que les autres.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que cette forme a duré, est-ce que tu as fait d’autres championnats ensuite ?

François Barouh : Non, ils nous arrivaient souvent de ne pas participer aux championnats de France, pour être focus sur les championnats du monde ou les JO. Limiter les déplacements inutiles. Le monoplace ne m’intéressait pas. J’y trouvais de la joie et du plaisir dans le K4. Le kayak est vraiment un sport collectif.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’après ces mauvais résultats en K4, est-ce qu’il y a eu des changements d’organisation pour mieux s’entraîner ensemble ?

François Barouh : En 1983, la fédération change à nouveau les choses. Ils forment à nouveau deux K4. Les lieux de stages n’étaient pas du tout les mêmes, le A allait à Séville, le B à Mâcon. Le A faisait des compétitions internationales, le B des petites compétitions de clubs étrangers.

La finalité était qu’en juin sur le bassin de Choisy-le-Roi il y ait une course entre les deux K4 et celui qui arrivait premier choisissait ses distances pour les championnats du monde, l’idée c’était de placer ses pions pour les sélections olympiques de l’année suivante.

Je me suis retrouvé dans le B avec Didier Vavasseur, Pascal Boucherit et Patrick Berlin, on a été entraîné par Gérald Delacroix, on avait une soif de revanche, on était considéré comme des losers, comme la peste.

On a tout explosé. On avait une telle envie de réagir, impossible de perdre. Ça a été une boucherie. J’étais obligé de laisser tomber mon entraînement, je devais faire comme les autres, rentrer dans le collectif. On a terminé dixième au final, mais c’était bien mieux que l’année précédente.

Début 1983-1984, la fédération convoque les athlètes présélectionnés aux JO. Elle voulait rassurer les athlètes olympiques en les sélectionnant un an avant. Les sélections n’étant que l’aboutissement de résultats à l’international.

La fédération nous a demandé ce qu’on attendait du service médical. Sans concertation, on a demandé un psychologue pour préparer les JO, on ne l’a jamais eu.

Je refais une parenthèse sur les Jeux de Moscou et la prescription de la pommade pour rééquilibrer les déséquilibres hormonaux. En sept 1980 après les JO, la première chose qu’on faisait à l’INSEP pour préparer la nouvelle saison, c’est qu’on passait un entretien auprès d’un médecin pour faire un bilan. On nous demande si on prend des produits, je dis que non, sauf une pommade qu’on nous avait prescrit pendant deux mois. Il m’a demandé s’il m’en restait. Je lui ai apporté dès le lendemain, et j’ai appris que c’était de la testostérone, prescrit complètement à notre insu. J’ai ouvert ma gueule, le médecin s’est fait virer mais il n’avait pas pris ses décisions tout seul selon moi.

Donc en 1983, on demande un psy et pour beaucoup dans l’équipe il n’était plus question de prendre quoique ce soit, et de faire confiance à quiconque. Les rapports avec les médecins faisaient qu’on n’attendait rien d’eux. Le psy nous semblait être important.

Je me suis retrouvé dans un K4 avec Pascal Boucherit, Didier Vavasseur, et Patrick Bérard qui n’a pas été retenu par la fédération, ils ont préféré mettre Patrick Lefoulon. On s’est entraîné l’hiver et ça ne nous a pas plu. On a préféré attendre le retour de Philippe Boccara des USA pour lui proposer de travailler avec lui.

On était un K4 lourd, on s’est bercé d’illusion pensant que même si on partait moins vite, on pourrait rattraper les autres. La première course était décevante, c’est Alain Lebas qui nous entraînait, il nous a demandé de hacher notre gestuelle pour atteindre la beauté du geste. Il fallait être grand, ample, détendu, souple, facile. C’est une attitude à travailler, on laissait de côté la technique avec cette gestuelle lente avec énormément de temps en suspension pour se relâcher. On en arrivait à créer notre monde. Les progrès ont été fulgurants.

On a fini quatrième en Allemagne en juin. En juillet, à Copenhague on est sur le podium ! On a continué en stage, il fallait préparer le décalage horaire pour les JO de Los Angeles. Le bassin là-bas n’était navigable que le matin. Pour la fédération, il fallait éviter qu’on ait des après-midi à ne rien faire.

On a vécu pendant deux mois en France avec six heures de décalage sur la France. On était censé ne pas se coucher avant quatre heures du matin. Dormir jusque midi. Le troisième entraînement de la journée se faisait de nuit. Les séances les plus bénéfiques étaient dans la nuit noire, on se repérait avec le kinesthésique et l’audition, pour la synchronisation du K4 c’était fabuleux. Les dix premiers soirs on les passait en boîte de nuit pour ne pas dormir avant quatre heure du matin.

On est arrivé la veille de notre première série à Los Angeles. On faisait des chronos géniaux. J’ai entendu des commentaires du type Jeux un peu tronqués comme ceux de Moscou parce qu’il y a eu des boycotts. Pas mal de pays de l’Est ont boycotté les JO de Los Angeles. Mais en ce qui concerne les champions du Monde, les Roumains, ils étaient présents.

Notre course n’en était pas dénaturée. Le jour des finales on était bien et beau en gestuelle. Philippe a complètement foiré sa finale de K1 1000m, s’en est suivi son errance sur l’eau après sa finale ratée. Nous, on montait en bateau 45 minutes avant la course, on faisait un échauffement progressif et on s’arrachait vraiment. Avant de monter en bateau, on s’est retrouvé sur une petite plage proche du plan d’eau, tous les quatre à regarder un grain de sable devant nous. On ne savait pas ce qu’il fallait faire ou dire. Le doute complet. Un psychologue nous aurait bien aidé à ce moment là.

On a évolué dans ce doute, on est monté en bateau, et ensuite on a tout fait sauf de respecter notre plan de course. En fait, on a exprimé ce qu’on ressentait dans la pagaie. On n’a pas respecté le plan avec la récup. On pouvait, on voulait et on devait gagner, mais ça ne l’a pas fait.

Les Secrets du Kayak : Avec le recul c’est tout de même une bonne place que vous avez fait ?

François Barouh : Mon regret n’est pas là. Dans mon fort intérieur, ce n’était pas fini. Entre 1984 et cette date je ne cherchais pas une coupe, je voulais aller plus vite que les autres et me faire plaisir. Donc je n’avais pas fini. Mais la fédération m’a annoncé que je n’étais plus sélectionné en équipe de France, on m’a obligé à raccrocher pour aller encadrer le centre d’entraînement et de formation de Lille. Il est là mon regret, on me met en retraite.

Aujourd’hui on voit que ça a changé et encore heureux. J’ai été le second à entrer tard en équipe de France à 25 ans sans avoir jamais eu de parcours en junior.

La porte que j’ai entrouverte a été ouverte par d’autres ensuite. D’autres se sont imposés en senior sans avoir eu de passé dans les jeunes catégories. J’avais 29 ans à Los Angeles.

J’ai tenté de m’investir dans ma mission sur Lille et je me suis vite fatigué de ce poste. Les crédits étaient bloqués, je n’avais pas de matériel, j’avais trois athlètes dont deux blessés aux épaules. Je passais ma vie dans des réunions pour tenter de lever des crédits. Je suis parti en me rapprochant de ma famille aux USA en Oregon. Ça m’a permis de m’éloigner de tout ce milieu.

Les Secrets du Kayak : Tu as complètement arrêté de naviguer ?

François Barouh : En 1985, je naviguais juste pour le plaisir, j’ai fait une paire de compétitions. Tout le travail que tu fournis tu le récupères l’année suivante. Je ne m’entraînais pas beaucoup mais j’avais une pêche fabuleuse.

C’était devenu insupportable pour moi d’être au bord d’un bassin et de voir des bateaux lutter pour aller plus vite que les autres. Je ne pouvais pas être spectateur.

Je n’ai pas touché une pagaie aux USA, et à mon retour je suis rentré dans des missions de conseiller départemental et de secteur pour la DDJS du Nord. J’ai découvert un autre monde. Ça été les prémices de ma vie professionnelle que j'ai passé au ministère de la Jeunesse et des Sports.

En 1988, la fédération est venue me solliciter pour remplir une mission de développement du kayak en Polynésie. Deux amis y étaient allés donc j’y suis allé aussi. La fédération de kayak venait d’intégrer le Va’a aux activités. Je me suis aperçu très vite que c’était impossible de travailler avec les hommes qui préféraient faire la fête. Mais ça été très facile de travailler avec les filles.

Je me suis retrouvé avec cinq tahitiennes, toutes championnes du monde, âgées de 17 à 37 ans. Elles ne connaissaient que les pagaies de pirogue, elles ont découvert le kayak de course en ligne avec la pagaie plate. On est arrivé en France pour un stage en métropole pour les acclimater. Elles ont eu particulièrement froid, c’était à Lille, mais c’était le but. La compétition devait se faire en Belgique.

Elles ont découvert sur place les pagaies creuses et se sont adaptées très vite. On a fait du beau travail. J’ai réadapté le bateau en réintégrant Catherine Mathevon, laissée pour compte par la fédération. Il y avait un potentiel extraordinaire.

Le développement du kayak en Polynésie venait d’une subvention du ministère des DOM-TOM. Il n’y a pas eu de fuite, tout ce qui n’a pas été dépensé a simplement disparu. J’avais l’espoir de la poursuite de cette expérience, les résultats des filles étaient fabuleux. J’ai participé à l’AG de la fédération en décembre 1988 et je me suis intéressé à la lecture des comptes, toutes mes dépenses n’étaient pas dans le budget de la fédération, de même que la subvention. L’opération a purement cessé lorsque je n’y étais plus. Les comptes n’étaient clairement pas suivis de la même façon qu’aujourd’hui. Certaines pratiques peu orthodoxes existaient. On comprend pourquoi il y a eu quelques réglementations par la suite.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe pour toi la suite ? Puisqu’il n’y a plus de poste en Polynésie.

François Barouh : Je reprends mon travail à la direction départementale du nord. Tu ne crois plus en rien ni en personne après ça. J’ai vécu ma vie professionnelle. Je suis intervenu dans le sud ouest dans l’encadrement de minimes, j’avais besoin de partager quelque chose. Mais j’ai eu trop de déception au niveau des dirigeants et des cadres techniques. Utiliser les enfants pour sa propre promotion… Je déteste cela. Je ne me suis plus intéressé au kayak.

Je me suis vu missionner pour être référent de l’UF6. Parler de cadence, de glisse, pas de problème. Mais parler de gestion de l’espace et du rythme, je n’avais rien à apporter. J’ai eu une idée de faire appel à un directeur d’école de mime, sportif. Il a accepté de les encadrer, débriefer sur le mime. Grâce à cette expérience j’ai compris beaucoup de choses qui aurait pu me servir dans ma vie de pagayeur. Le mime c’est une gestion de l’énergie. Ça rejoignait la recherche de la beauté dans le K4. C’était comme découvrir les mouvements que tu faisais.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui t’a amené dans le sud-ouest ensuite ?

François Barouh : J’ai passé une bonne partie de ma vie à faire et défaire mes valises. J’ai quitté Lille pour me rapprocher de ma femme. Je l’ai suivi dans chacune de ses mutations professionnelles. Toutes les régions de France sont belles et intéressantes.

Les Secrets du Kayak : Même si tu dis être sorti du milieu du kayak tu es un peu dedans puisque tu écoutes les épisodes des Secrets du Kayak. Qu’est-ce qui fait que tu es resté connecté au milieu toutes ces années ?

François Barouh : Le kayak est toujours mon grand amour. Ça ne m’a jamais déçu. Ce sont les comportements humains qui m’ont déçu. Je n’ai pas grand-chose à faire avec les individus. Je considère qu’un athlète n’a pas besoin de dirigeant ni d’entraîneur. Il se suffit à lui même.

L’entraîneur est essentiel s’il ne se trompe pas dans sa mission. Pour moi il doit rendre l’athlète autonome. Le dirigeant est indispensable, mais pour l’organisation et les normes. Si tu supprimes les athlètes il n’y a pas besoin de toute ce monde.

Le cœur de l’activité c’est l’athlète ! Peu importe la pratique. Avec les minimes il n’y a pas d’erreur sur les objectifs, pas de tricheries. En retour tu sais quand tu les intéresses ou pas, ils sont natures, sans arrières pensées.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que les choses ont changé depuis ces années où tu étais athlète ? Est-ce qu’on est mieux accompagné et soutenu ? Moins de magouilles ?

François Barouh : Aujourd’hui je m’en fous ! Quand je suis les vidéos, que je vois les résultats, le matériel, c’est ça qui m’intéresse. Les individus ne m’intéressent plus du tout. Entre ceux qui parlent bien, ceux qui font des promesses, ceux qui te jugent…

Assez souvent dans tes interviewés tu synthétises ce qu’ils disent en quelques mots. Je n’ai plus aucune confiance dans les paroles, seules les actes comptent.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as eu envie de t’investir dans la fédération, dans les instances dirigeantes pour faire les choses d’une façon différente ?

François Barouh : Non, mon père l’avait fait. Toute sa vie il s’est investi dans le monde associatif du kayak et il s’est retrouvé président de la commission de course en ligne à la fédération. Notre toute petite commune était devenue le club n°2 en résultats en course en ligne en France.

Il n’a pas accepté de rentrer dans les magouilles de l’époque. En retour, ils se sont arrangés de magouiller sur la sélection des athlètes de mon club. Mon père s’est retiré pour protéger les athlètes qui auraient vu leur sélection en équipe de France supprimée parce que il y avait des règlements de comptes. Il a été tellement dégoûté que le club de kayak s’est dissout.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui ton fils pratique le kayak à haut niveau. Est-ce que tu as retrouvé cette envie que de partager le kayak avec lui ? Est-ce que tu l’as entraîné ?

François Barouh : Non, Maxence n’a jamais eu besoin de moi. Pour nous, nos enfants devaient faire du sport. Il n’était pas question de les obliger à faire de la compétition mais il est clair qu’ils feraient du sport.

J’ai organisé des sorties sur la Dordogne et ça lui a plu. Il n’a jamais eu besoin ou envie que je l’entraîne. Il va découvrir énormément de choses en nous écoutant aujourd’hui. J’ai tendu des perches mais non, je ne suis pas le bon interlocuteur pour lui. Il a fait son expérience. Il doit en savoir bien plus que moi aujourd’hui, les choses ont changé aussi. Ce sont deux parcours différents.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’aujourd’hui tu remontes en kayak pour ton propre plaisir ?

François Barouh : Pas vraiment. J’ai été rattrapé par les problèmes de santé. Ça me manque un peu de faire un tour, mais je ne le fais pas, je le garde pour moi. Je m’intéresse toujours de très près aux résultats des disciplines du kayak.

Les Secrets du Kayak : Et entraîner ? Pourquoi pas ?

François Barouh : Si un groupe d’athlètes me sollicite, oui. Si c’est une organisation de dirigeants c’est non. Je n’ai plus confiance dans les paroles. Pour moi, le centre de tout c’est l’athlète.

Les Secrets du Kayak : Si tu as des choses à compléter il ne faut pas hésiter.

François Barouh : Pour nous à l’époque, ce qui était important c’était la synchronisation. On ne multipliait pas indéfiniment des séries pour faire de la physio. A un moment dans un K4 il y a plus important que cela.

Est-ce que certaines personnes te contactent pour approfondir tes recherches ?

Les Secrets du Kayak : Pour moi l’expérience des anciens n’est pas assez mise en valeur, elle est un peu oubliée, je trouve ça incroyable ! Oui il n’y a pas réellement de médias. J’ai à cœur d’interviewer les anciens champions pour découvrir tout ce qui a façonné l’histoire du kayak et les secrets de tout cela.

François Barouh : Parler de moi n’est pas ma spécialité, sache que c’est un réel effort que j’ai fait pour toi !

Vous pouvez contacter François Barouh directement en me contactant via l’onglet contact du site.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Alexandre Maulave

Retrouvez tout sur Alexandre Maulave dans cet épisode des Secrets du Kayak. Coach et spécialiste en biomécanique, il nous raconte son parcours universitaire et son travail d’éducation motrice auprès des jeunes chez MotionLab

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Alexandre Maulave en mars 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Alexandre Maulave : Salut ça va et toi ?

Les Secrets du Kayak : Ça va toujours. Aujourd’hui c’est un épisode un peu spécial pour les Secrets du Kayak, beaucoup ne te connaissent pas. Comment tu te présenterais ?

Alexandre Maulave : J’ai 25 ans, je suis jeune diplômé d’un master Staps en préparation physique fait à l’Université de Grenoble. Je me suis spécialisé dans la biomécanique, l’étude des mouvements. J’en ai fait mon domaine de compétence depuis que je travaille à MotionLab et auparavant aux USA.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui t’a amené à faire ce type d’étude, tu as l’air d’être un passionné de sport ?

Alexandre Maulave : Je n’ai pas fait de sport à haut niveau, mais j’ai presque tout essayé. Je suis passionné de toucher de nouvelles choses, de nouvelles sensations, me challenger.

L’école ne me passionnait pas, je n’étais pas bon. Je voyais mes potes monstrueux dans leur sport, faire partie des cinq meilleurs dans leur domaine. Ça m’a plu qu’ils puissent faire des choses que peu de gens peuvent faire.

C’est pourquoi j’ai voulu partir à la Fac en Staps pour travailler là dedans. J’ai été pris par la passion de mes études, j’ai trouvé des stages atypiques, j’ai osé, j’ai pris des risques et ça m’a réussi.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu as fait comme stages exactement ?

Alexandre Maulave : Après ma Licence je voulais faire un master, mais je n’avais aucun niveau en anglais. Je suis parti un an aux USA à Santa-Barbara, j’adore le basket, je suivais la NBA. J’ai mis tout mon argent dans une école pour apprendre l’anglais, je savais que tous les plus grands joueurs étaient là-bas.

L’idée était de se pointer, demander un stage pour observer. Je me suis fait refouler pendant trois semaines, et par pitié ils m’ont laissé le droit de regarder, pas le droit de sortir un téléphone, rien.

J’ai fait un mois là-bas, et quand je suis revenu en France ils m’ont au final envoyé un mail pour me dire que si j’avais besoin, ils voulaient bien me prendre en stage.

Mais je n’étais pas pris en master, mon dossier n’était pas bon. J’ai joué la carte du gros stage dans le NBA et au final j’ai été pris à Grenoble. Je suis reparti finir mes stages de première année là-bas.

Ils m’ont repris en master 2 pour m’envoyer à Atlanta dans le nouveau centre qu’ils avaient ouvert.

C’était les USA, la mentalité est différente, les moyens ne sont pas les mêmes. C’est dans les mœurs que de s’entraîner à 12 ans, notamment pour la musculation. Pour faire la différence il faut s’entraîner, mais il faut aussi avoir un peu de repos. En revanche, ils se marchent dessus ! Is sont tellement nombreux. J’ai rencontré les plus grosses stars que je pouvais imaginer rencontrer.

Les Secrets du Kayak : Comme tu étais stagiaire, tu as pu les approcher un peu et les aider dans leur préparation ou pas ?

Alexandre Maulave : Les deux premiers mois, non. Au début je ne devais faire que le testing, tu discutes un peu avec eux, tu leurs mets des capteurs sur le corps... ce sont des gens qui m’ont marqué, ils sont super gentils, ils sont comme toi.

Au final j’ai pu les aider, les coacher, analyser leurs mouvements, voir certaines progressions. Là où j’ai pris plus de plaisir, c’est en travaillant avec les jeunes qui veulent devenir pros. Les 15-16 ans qui crèvent d’envie de réussir. Au total j’ai fait un an et demi.

Les Secrets du Kayak : Tu ne pouvais pas te faire embaucher par la suite là-bas ?

Alexandre Maulave : Si mais le Covid est arrivé. Je l’ai vécu là-bas. On avait des autorisations pour que les joueurs aient le droit de continuer de s’entraîner. Je n’étais pas en confinement mais quand j’ai fait ma demande d’extension de visa, ça a été refusé.

Du coup au moment où je devais signer mon contrat, le Covid m’a obligé à rentrer. J’ai fait six mois de chômage, je ne connaissais rien en France. Je n’avais personne pour travailler. J’arrive à Evian, petite ville, pour te vendre il n’y avait pas pire.

Les Secrets du Kayak : Comment ça s’est passé pour rentrer à MotionLab ? Est-ce que tu pourrais expliquer ce qu’est MotionLab ?

Alexandre Maulave : Avant de rentrer en France, je ne connaissais pas cette entreprise. Dès que j’ai cherché, des CV ont été déposés, et j’ai reçu un appel ou un mail pour passer un entretien, en un mois j’ai été pris.

Pour moi, quand je suis arrivé c’était naissant, ça semblait prometteur, il y a un espace monumental, et on est qu’au début du développement.
Pour moi c’est un centre de performance de réhab, mais aussi de kinés pour la population en général. On utilise les techniques développées pour les athlètes auprès des populations en général. Tout le monde fait la même chose. C’est un Open Space, tu discutes avec le médecin, le kiné, tout se fait rapidement. Si tu poses cette question aux kinés ils t’apporteront une autre définition, ils ont plus de population générale que moi.

Les Secrets du Kayak : Donc toi tu coaches des athlètes qui veulent devenir meilleur dans leur sport ?

Alexandre Maulave : Oui, les trois quart ont entre 13-18 ans et ils ont faim. J’ose espérer que ce ne sont pas les parents qui les emmènent. Quand je discute avec les parents, sur comment ils ont trouvé MotionLab, c’est soit par des partenariats ou ils ont vu ce qu’on propose sur les réseaux.

Les jeunes si tu les écoutes, ils n’en font jamais assez. Ils s’entraînent tous les jours, pourtant ils en rajoutent toujours. Ce qui parfois jouent sur leur performances. Je calcule le nombre d’entraînements, la charge d’entraînement du mieux que je peux. Et en dehors de ça, ils en rajoutent le matin à 5h30 avant d’aller en cours. Ça me passionne.

Les Secrets du Kayak : Ça contraste avec le reste de la société, de dire que maintenant il faut du tout confort, à qui ont dit qu’il faut en faire le moins possible, qu’il faut marcher 30 min par jour, où parfois rien que cela c’est déjà compliqué, là c’est vraiment l’inverse que tu as.

Alexandre Maulave : Déjà de base, le sport pro ne me semble pas bon pour la santé. Ce ne sont pas eux qui ont le moins de problèmes. On parle de blessures, de parler de passer par des hauts et des bas monstrueux, la blessure est parfois mentale et non pas physique.

On est loin des 10 000 pas par jour. Et les parents en Suisse répondent bien à la demande de leurs enfants. Mon travail est d’éduquer à la fois les parents et les enfants, que vouloir être meilleur c’est bien mais il faut apprendre à récupérer.

Récupérer ça passe par tout, dormir assez, 8-9 h de sommeil c’est le top, ne pas rester sur les écrans avant d’aller se coucher. Je ne donne pas des ordres à qui-que-ce-soit, c’est possible que de demander à un jeune son téléphone le soir pour l’aider à s’endormir.

Il y en a beaucoup qui ne mangent pas assez. Ils n'ont jamais faim. Il faut manger suffisamment et sainement. Beaucoup mangent sainement. Sans doute parce qu’on est en Suisse et que c’est plus facile. Beaucoup de parents se plaignent que leur enfant ne mange pas assez. J’ai des bases en nutrition mais on a une nutritionniste, donc je préfère déléguer ce que je maîtrise beaucoup moins. Certains venaient à jeun, à 14 ans, tu as le temps de voir et de changer si tu veux perdre du poids.

Les Secrets du Kayak : Comment tu fais avec ces jeunes qui veulent devenir pro très très vite alors qu’il faut avoir une vision sur le long terme ?

Alexandre Maulave : Ce n’est pas de leur faute, c’est parce qu’ils sont bons, super appétant, ils sont plus grands, plus forts, ils ont un gap énorme par rapport à tous ceux qui sont derrière.

Techniquement, ils sont meilleurs que les autres donc on leur donne de la place dans les équipes plus élevées, donc ils jouent avec des jeunes plus vieux qu’eux. Tu peux jouer avec des élites ou au dessus de ton niveau, mais ce n’est pas une raison pour que le gamin joue tous les matchs avec son équipe. Il doit jouer avec son niveau d’âge, et pas tout le match.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ça t’arrive de demander à tes athlètes de se préserver, est-ce que tu as la main dessus ?

Alexandre Maulave : Non je ne me permettrais même pas.

Je n’ai pas envie de rentrer en guerre avec aucun coach, j’essaie de leur faire comprendre que je suis de leur côté. J’aurais plus tendance à questionner les parents pour savoir si l’enfant est toujours en forme, s’il a des douleurs, s’il se plaint, s’il a des baisses de notes à l’école etc. en fonction de leur réponse mon conseil est de questionner le coach en le lui disant pour trouver le bon compromis.

L’enfant voit son coach quatre fois par semaine, moi je les vois que deux fois par semaine. Je connais ma place.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a d’autres choses que tu conseillerais pour la récupération ?

Alexandre Maulave : Non, pas vraiment. Ils font tous une demi-heure avant chaque entraînement de pistolet de massage, de rouleaux de massage etc. je ne suis pas contre ces choses là, c’est des gadgets qui, si ça te fait du bien, tant mieux.

Je connais des athlètes qui n’en ont jamais utilisé et qui n’ont jamais été blessé pour autant et qui surperforment par rapport à ceux qui l’utilisent. Certains ont suffisamment de mobilité pour ne pas devoir faire stretching. Chacun fait comme il veut, mais moi je n’en mets pas dans mes plans d’entraînement. Mais si tu le fais et que tu te sens mieux je suis content.

Les Secrets du Kayak : On dit souvent que la récupération commence par un bon échauffement, c’est quoi un bon échauffement ?

Alexandre Maulave : Ici on va dire que la séance dure 1h30 max, parce que je ne veux pas griller les étapes. Certains athlètes auront besoin de mobilité, d’échauffement.

Ma vision des choses : je ne m’étire pas, je pense que je suis relativement mobile. Je vais pouvoir faire tous les exercices de mobilité passive ou active. J’ai assez d’extension thoracique. Pour moi il y a une différence entre la mobilité, tu utilises ce que tu sais maîtriser. Par contre un étirement pour avoir de l’amplitude articulaire et de sur-étirer, je ne suis pas certain que ça aide dans la performance.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’on peut dire que la mobilité est un développement de la force ?

Alexandre Maulave : Oui c’est lié. Je travaille beaucoup sur les hanches. En faisant un FRC, tu vas avoir des gens qui auront assez de force pour tirer leur genoux en l’air, soit ils ont pas de force et ça redescend jusqu’en bas. En terme de mobilité certains en ont peut être moins, mais parce qu’ils n’ont pas assez de force pour tenir le mouvement ou la posture.

Les Secrets du Kayak : Moi cela me semble tout de même être un gage de prévention d’avoir cette capacité à utiliser l’amplitude avec un certain confort pour éviter la blessure.

Alexandre Maulave : Oui à un minimum. Quand tu fais des tests passifs de mobilité de hanche, de cheville et d’épaules, si tu es bloqué passivement tu ne vas pas y aller activement. Donc c’est certains !

Tu dois être assez souple pour développer ta force. Ça permet aussi de résister aux imprévus générateur de blessures dans un mouvement.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que c’est ça pour toi le but de l’échauffement ? Préparer un imprévu ? Se renforcer dans des situations qui pourraient arriver ?

Alexandre Maulave : Ça dépend, je vais utiliser différents types d’échauffement suivant les jours. Ça va être des gammes athlétiques avec un peu d’iso avant. Des fois, on va aller sur de l’activation neuro-musculaire avec de la mobilité... Il n’y a pas un seul échauffement possible.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a un retour au calme qui est fait ? Dans le cadre du BPJEPS on nous fait insister sur le temps du retour au calme et du mode parasympathique. Qu’est-ce qu’il en est entre ce que tu vois, et ce que tu fais faire ?

Alexandre Maulave : Quand j’ai le temps pour chacun, ils savent que quand on a terminé on s’allonge sur le sol. Mais encore une fois ici on est rarement au calme, mais ils vont s’allonger sur le ventre les genoux pliés, les yeux fermés, mains sur le ventre et je leur demande de faire des inspirations, tranquilles.

Mais c’est parce que ce sont des petits excités, dès que je tourne le dos, ils prennent un ballon pour partir sur le synthétique. Ça a sa place, peut être que je devrais le faire tout le temps, je suis preneurs de conseils et de technique sur cette approche.

Les Secrets du Kayak : Que faut-il développer en fonction de l’âge que l’on a ? Personnellement j’ai l’impression que j’ai loupé pas mal de choses durant l’enfance et l’adolescence. Je me suis spécialisé un peu trop tôt dans la musculation, et je rencontre pas mal de problèmes dès que j’attaque une nouvelle activité physique. Quelles sont les priorités en fonction des différents âges ?

Alexandre Maulave : Pour ma part, je vais repréciser le contexte. Moi mes jeunes, je les ai une fois par semaine pendant la saison. La hors-saison va arriver pour beaucoup de sports, je vais les avoir plus deux ou trois fois par semaine. Pendant ces phases de hors-saison, je vais avoir davantage le temps nécessaire pour aborder les filières énergétiques ou l’aérobie.

Leurs coachs les ont jusqu’à quatre fois dans la semaine donc ils ont le temps de faire différentes choses cardio. Moi je vais m’attacher à développer la coordination, le rythme, par les gammes athlétiques mais sur des choses faciles, mais pas si facile quand tu les regardes.

Je vais leur apprendre à sprinter, comment bien se placer, pourquoi faire ci ou ça. Tous les petits détails qui leur permettent de se sentir rapide, ultra rapidement.

Je vais aussi travailler sur la progression de tous les mouvements fondamentaux en musculation. Tu n’apprends pas à squatter en faisant un backsquat. Ils sont jeunes donc j’ai des progressions pour chaque exercice comme avec un gobelet box-squat, puis un gobelet squat, et ensuite progresser vers un front squat…

Les Secrets du Kayak : Souvent on pense que les mouvement au poids du corps sont moins dangereux, pourtant on fait démarrer les jeunes par des tractions, par des pompes, qu’en penses-tu ?

Alexandre Maulave : Il y a beaucoup de jeunes qui me disent devoir passer leurs tests physiques, notamment faire des tractions, des pompes. En toute honnêteté, je trouve plus dur de faire une bonne pompe ou une bonne traction, que de faire un développé au sol avec des haltères en prise neutre.

Et ils doivent faire plus de 80 pompes ! Pourquoi ne pas commencer par les poulies pour les tractions ? Progresser en prise neutre…

Les Secrets du Kayak : Tu préconises de ne pas avoir peur de régresser le mouvement pour permettre une progression ensuite. Qu’on a besoin de fondamentaux et qu’on se surestime, qu’on n’accepte pas de régresser pour mieux progresser.

Alexandre Maulave : C’est clairement ça. A se demander si les coachs les regarde faire ! Tu vois bien qu’ils ne peuvent pas faire. Pourtant je n’ai pas tant d’expérience que cela.

Les Secrets du Kayak : Oui mais tu as déjà fait de la musculation, donc tu sais ce qu’est une traction, tu sais ce qu’est que d’activer le grand dorsal et la cage …

Alexandre Maulave : Et donc le problème serait que les mecs qui les entraînent n’auraient jamais fait de musculation ?

Les Secrets du Kayak : Moi je pense que c’est le cas.

Alexandre Maulave : Là les mecs ils ont arrêté le sport pendant deux mois, est-ce que la première chose qu’ils vont faire c’est de se dire « allez, traction c’est parti ! » Ben non, il va falloir recommencer petit, en ayant mal partout, donc si toi tu as mal, le gamin il va galérer aussi. Sauf qu’il ne va pas le dire parce qu’il n’a pas envie de se faire sortir de l’équipe.

Les Secrets du Kayak : C’est quoi pour toi les mouvements fondamentaux en musculation qu’on doit apprendre ?

Alexandre Maulave : Tous les mouvements pour bien se placer. Donc les hanches avec le squat, soulevé de terre jambes tendues, j’utilise le stick pour qu’il reste en contact avec. Pour moi, ils doivent déjà sentir les bons muscles et garder le dos droit. Ce n’est pas inné pour eux, ils faut les aider à y penser.

Ils font ces exercices sans en avoir ni la force ni la stabilité et donc ils n’ont pas le bon mouvement. Il ne faut pas avoir peur d’aller chercher la régression car tu vas avoir énormément de résultats dans ces régressions.

J’essaie de leur poser beaucoup de questions pour savoir ce qu’ils ressentent et ils vont d’eux même corriger le mouvement super rapidement. Ils vont être super contents et motivés parce qu’ils progressent vite.

De plus faire de l’unilatéral ou du bilatéral, je pense que les deux ont leur place. Si je prends l’exemple d’un saut sur une boxe à une jambe, je sais très bien que l’impulsion au sol est clairement différente qu’avec un saut à deux jambes. Ça change les composantes force-vitesse, et c’est pour cela qu’il faut faire les deux. Mais tu ne commences pas par de l’unilatéral, à mon sens c’est trop dur.

Donc on fait aussi tout ce qui est tirage horizontal, vertical, poussée horizontale et verticale. Tout ce qui est porté comme marcher avec des kettelbell. Moi j’ai mis des progressions dans tout ça. Ensuite il va y avoir tout ce qui est le gainage, tout ce qui va être le tonus musculaire au niveau du tronc.

Tu dois garder un tonus musculaire, tu dois le travailler. Tu peux passer sur la planche et ses variantes qui sont la base. Ensuite tu passes sur du gainage dynamique, et ensuite tu peux faire de l’anti-inclinaison, de l’anti-flexion, de l’anti-extension et après tu passes sur des mouvements un peu plus complexes, tout ce qui est rotation, flexion, inclinaison.

Les Secrets du Kayak : Auparavant, on diabolisait tout ce qui touchait le mouvement de flexion et de rotation de la colonne vertébrale, mais tu as expliqué les prérequis pour y parvenir .

Alexandre Maulave : Je vois parfaitement ce que tu veux dire, à vouloir tout stabiliser en fait on a une approche que partielle de la chose, ce n’est que le début. Il se passe des choses dans le corps, et nos anciennes visions du mouvement ne sont pas forcément les bonnes.

Les Secrets du Kayak : Si un jeune de douze ans nous écoute, que doit-il travailler en priorité ? Serait-ce la coordination en premier ?

Alexandre Maulave : Ça va être assez variable. Ils ne grandissent pas tous à la même allure. Ça joue sur leur coordination la vitesse à laquelle ils grandissent, certains grandissent vite et perdent en coordination. Pour moi savoir bien bouger c’est fondamental.

Un jeune de 12 ans avec moi, c’est développer l’envie d’aller à la salle et apprécier d’avoir un plan d’entraînement. Ensuite vers 13-14 ans savoir faire les fondamentaux. Puis développer cette force, ils veulent tous être plus puissant mais ils pensent que ça se fait en claquant des doigts.

Il va falloir prendre un peu de masse, il faut prendre en compte la charge de leurs entraînements aussi.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu vas chercher à développer la force ?

Alexandre Maulave : Développer la force réelle dans tous les patrons moteurs, je vais utiliser davantage de méthode avec les 14-15 ans. Mais il n’y a pas de bonne réponse. Si le gars commence avec moi à 15 ans, il ne saura rien faire, donc il faut faire de la régression sur le programme de nos 12-13 ans sachant qu’ils ont un bagage de force plus grand donc ils vont progresser plus vite.

Pour moi, il n’est pas trop tard pour faire de la coordination. On a des gens de 20-40 ans qui viennent prendre des cours de technique de course athlétique pour mieux se servir de leurs pieds. Pour moi, il n’est jamais trop tard, mais c’est beaucoup plus facile quand tu es jeune.

Pour moi 12-15 ans ce sont les bons âges pour développer de la vitesse et des aptitudes. La réactivité neurologique aussi se développe beaucoup à ces âges.

Les Secrets du Kayak : On avait tendance à penser que la musculation était dangereuse pour les jeunes, que ça empêche de grandir etc. Quel est le consensus aujourd’hui sur la question ? Est-ce qu’il y a une limite à ne pas dépasser ?

Alexandre Maulave : Il faut que le jeune fasse ce qu’il est capable de faire. Je ne pense pas qu’il y ait de problème. Toi tu as commencé jeune, tu ne te posais pas de questions. Là ils ne font pas que de la musculation, il faut qu’ils soient capables de performer aussi dans leur sport.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a un intérêt quand tu es jeune que de varier les mouvements pour leur apprentissage ? Dans le kayak c’est souvent les mêmes exercices, il n’y a pas trop de variété.

Alexandre Maulave : Oui, mais déjà sans parler d’apprentissage au bout d’un moment tu vas stagner, donc toujours faire la même chose ce n’est pas forcément bon, à cela peut se rajouter l’ennui.

Tu peux varier tellement de choses en réalité, il y a tellement d’exercice, c’est l’usage de l’exercice que tu fais qui doit varier, tout comme la charge. L’échauffement aussi doit varier.

Les Secrets du Kayak : J’ai une question sur l’aérobie. On me disait à l’époque que c’est à 14 ans qu’on se fait la caisse. Quel est le consensus aujourd’hui là dessus ? Il y a t-il un âge privilégié pour développer sa caisse aérobie ?

Alexandre Maulave : Je ne veux pas dire de bêtises, mais ça doit être bien plus jeune que ça pour moi vers 12-13 ans. Tu le vois dans ton sport, un coach doit se rendre compte à savoir si son athlète est éclaté au niveau du cardio à la fin de son match, est-ce que du coup tu n’as pas meilleur temps de lui faire un petit entraînement pour lui pour améliorer ça ? Et comment ? Ça dépend qui et quand ? Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas développer le cardio en pleine saison.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu entraînes des filles aussi ? Est-ce qu’il y a une différence dans l’entraînement entre les deux ?

Alexandre Maulave : Oui, à 12-13 ans les hormones montent, elles sont différentes chez les filles. Tu le vois assez rapidement d’une semaine à une autre. Les jeunes filles qui viennent font du foot avec moi.

Et ça va être des changements de mood plus rapides. Il va y avoir l’impact des règles, elles ont plus vites des douleurs. Je ne suis pas certain que ce soit parce que ce sont des filles, mais plutôt parce qu’elles sont bonnes dans ce qu’elles font, et que chez les femmes ils y a moins de joueurs et que du coup elles jouent tout le temps partout.

Elles sont deux fois plus bonnes que les gars. Les pathologies sont souvent au niveau des hanches et des genoux. C’est là où je vais faire plus de prévention, et différencier mes entraînements.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que toi tu fais du travail de prévention et réduction de blessure avec des joueurs sur-sollicités ?

Alexandre Maulave : Clairement avec les filles. On va être sur des efforts différents qu’avec les garçons. On va faire plus d’iso. On a des protocoles pour les pathologies, notamment ce qui touche les genoux.

Elles idolâtrent aussi beaucoup les femmes du fitness, on va faire en sorte qu’elles se sentent bien dans leur corps. On va travailler le haut du corps aussi, ce qui peut rendre le gainage compliqué si tu n’as pas de haut.

Être faible du haut du corps peut entraîner des pathologies sur le bas du corps. Il y a une différence entre les deux genres, mais le mouvement de musculation sera le même. Donc la méthode reste la même.

Mais je vais leur poser plus de questions. Leur état mental joue beaucoup aussi, leurs histoire avec les garçons, ça peut plomber la séance. Tu essaies de leur parler, elles se livrent un peu, on va s’adapter, on va essayer de leur parler plus même de tout et n’importe quoi.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu trouves qu’il y a une différence d’implication entre les gars et les filles ?

Alexandre Maulave : Oui les filles, elles en veulent à fond. Elles savent qu’elles sont fortes dans leur sport, elles se donnent à fond, impliquées et rigoureuses. Elle vont plus essayer de comprendre et te dire ce qui ne va pas. Les gars ne vont rien dire, de peur que tu parles au coach ou aux parents.

Par contre la compétition entre les filles, il n’y en a pas une qui veut se laisser faire. Entre gars, ce n’est pas le même délire. Ils ne sont pas dans le défi physique mais plus dans le jeu. Elles veulent être plus fortes et plus rapides.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a des tests que tu utilises en particulier pour mesurer les progrès en dehors des régressions-progressions que tu vois sur les mouvements ? Est-ce que tu testes des choses ? Comment tu détermines la priorité de travail chez un jeune ? Qu’est-ce que tu utilises comme tests ?

Alexandre Maulave : Ici on a la chance d’avoir du bon matériel, mais je penses que tu peux faire sans. J’utilise beaucoup les plateformes de force. Au tout début ce sont des tests de sauts un CMJ, parfois un IMTP sur la taille et la force.

Je fais des tests de sprints, de changements de directions, tout dépend du sport aussi. J’ai des tests de mobilité passive : cheville, quadriceps, ischios, rotation interne et externe de hanches, rotation épaule, extension thoracique, et après ça sera tout ce qui touche la force des fléchisseurs de la hanche, la force des adducteurs, et des abducteurs. C’est un appareil de mesure le Vald. C’est comme des capteurs de pression. Je veux juste voir s’ils ont des douleurs.

Moi je vais mettre du suivi la dedans. Je fais une fois par mois un test du saut. Chaque séance, je teste quelque chose. C’est une séance de PPG, je l’intègre dans ma séance pour le faire régulièrement.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu vas utiliser des capteurs de vitesse à l’échauffement pour déterminer dans quelle forme ils sont ? J’avais tester le Beast, un capteur. Ça montrait que quand je n’avançait pas, il ne fallait pas faire de la force. Mais je ne l’ai testé que sur moi.

Alexandre Maulave : Moi j’utilise pas mal le RSI, ils l’ont comparé avec un grip test ou avec du sprint sur 10-20m et ça nous disait quand le gars était dans le rouge mais à chaque séance il nous faisait péter un personal best, il ne se blessait pas forcément donc...

Donc pour déterminer s’il est en forme ou pas je discute avec lui. J’ai un questionnaire avant chaque séance et je leur demande leur état de fatigue avant chaque entraînement, leur temps et la qualité de sommeil, est-ce qu’ils ont des douleurs et en fin de séance, je fais un RPE.

Plus tu commences tôt, plus ils intériorisent leur état, plus les résultats vont avoir du sens.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu mesures la variabilité cardiaque pour déterminer la forme ?

Alexandre Maulave : Non parce que je n’ai pas le temps de le faire. Mais je pense qu’il y a des pistes là dessus. J’aime bien toutes les pistes, mais je n’ai pas le temps ou le matériel. Et avoir un million de données n’est pas intéressant, tu ne t’en sors plus.

J’aimerais bien plus utiliser le profil force-vitesse sur piste en horizontal. Pour étudier s’il y a un impact avec la fatigue. Je sais qu’il y a des gens qui travaillent dessus. Je leurs mets les cellules pour les mettre en compétitions avec eux même sinon ils seront toujours sous-max.

Chose que j’aimerais aussi, on a un gymaware que je n’utilise pas assez, j’aimerais l’utiliser plus. J’aimerai que mes athlètes plus avancés l’utilisent plus. Je trouve que le retour est vraiment motivant.

Les Secrets du Kayak : Pour conclure, j’ai l’impression qu’il vaut mieux en faire moins que trop, mieux vaut faire plus facile que trop dur sur le choix des mouvements, et mieux vaut ne pas avoir peur de développer sa coordination peu importe l’âge. Ensuite l’apprentissage des mouvements, et seulement après de travailler sa force et sa vitesse ?

Alexandre Maulave : Non, la vitesse plus tôt. Ce n’est pas de développer la force qui doit être fait plus tard, c’est développer la force dans tous les types de contraction qui peut arriver plus tard vers 15-16 ans. Tu ne peux pas faire avec n’importe qui, il faut un certain niveau. Il faut qu’ils aient intégré les mouvements. En attendant ça ne m’empêchera pas d’utiliser des méthodes pour avoir plus de force ou prendre plus de masse.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a un ordre dans l’apprentissage des différentes force concentrique, excentrique, isométrique, c’est quoi les prérequis ? Est-ce qu’il y a un certain ordre à respecter ?

Alexandre Maulave : C’est une bonne question, si tu as l’opportunité de travailler les trois dans la même semaine, fais le. En revanche, si tu n’as plus qu’une séance dans la semaine, j’aurais tendance à travailler l’excentrique au début, puis progressivement travailler sur la vitesse de la barre.

Donc du moins traumatisant au plus traumatisant, donc d’abord de la lenteur avant de mettre de la vitesse et plus lourd. Un mouvement lent ou stoppé tu peux facilement se corriger, l’apprentissage moteur se fait beaucoup mieux.

Vous pouvez retrouver Alexandre Maulave sur son compte Linkedin

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Christophe Begat

Retrouvez tout sur Christophe Begat dans cet épisode des Secrets du Kayak. Comment a-t-il débuté le Kayak de course en ligne ? Quel est son parcours ? Qu’a-t-il fait pour performer ?

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Christophe Begat en mars 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Christophe Begat : Bonjour Rudy, très bien merci !

Les Secrets du Kayak : Je suis toujours très enthousiaste d’être contacté pour avoir des personnes qui veulent passer sur le podcast parce que c’est signe d’avoir des choses à raconter. Donc c’est un vrai plaisir que de t’avoir sur le podcast.

Christophe Begat : J’ai découvert ton travail il y a peu de temps, je suis tombé sur le podcast de Maxence Barouh par hasard. Comme je me tiens un peu informé de l’actualité du kayak, je me suis toujours demandé s’il était le fils de François Barouh, un de mes inspirateurs. En l’écoutant ça me l’a confirmé, j’ai trouvé intéressant son histoire du kayak.

Je me suis pris au jeu d’écouter celui de Nicolas Maillotte parce que je l’ai connu lorsque j’ai été à Dijon, en tant que président du club pendant deux ans. C’était intéressant de savoir ce qu’il est devenu ensuite.

Puis j’ai écouté avec attention Sabine Kleinhenz, une personne qui m’a beaucoup intéressé dans son approche du kayak. Ensuite j’ai enchaîné avec d’autres comme Boccara, Boucherit…, des personnes de mon époque.

C’était super de revenir un peu en arrière et d’être curieux de leur parcours. Donc quand tu m’as contacté j’étais très motivé pour apporter mon témoignage.

Les Secrets du Kayak : Pour ceux qui ne te connaissent pas, quand et comment as-tu commencé le kayak ?

Christophe Begat : Ça remonte en 1974 j’étais dans la Marne, mon père avait changé de lieu de travail, il y avait une très grosse sucrerie Béghin-Say à l’époque, un gros pôle d’emploi.

Pour les enfants, faire du sport il y avait un club de judo et un club de kayak. Donc on a essayé le kayak avec mon frère, au club de Sillery. Le club est ensuite devenu célèbre puisque pas mal de monde a accédé à l’équipe de France de course en ligne. Des licenciés sont allés aux JO et aux coupes du monde.

J’avais 11 ans quand j’ai commencé. J’avais la chance d’avoir comme entraîneur officieux François Barouh. Il faisait son service militaire au bataillon de Joinville. Quand il revenait pendant ses permissions au club, il revenait avec des programmes d’entraînement. C’était génial. On n’avait pas de bases à l’époque, c’était sympa. Il nous a ramené un cadre dans l’entraînement.

Au début, le club était basé sur la rivière. On allait faire de la course en ligne sur un canal. Les bateaux de l’époque, c’était des CAPS d’initiation.

On touchait un peu à tout. Et François et ses parents aimaient nous emmener sur des compétitions. Rapidement, on s’est pris au jeu avec toute l’ambiance qui allait avec. Ensuite on s’est rendu compte qu’on avait une bonne plate forme d’entraînement avec le canal notamment par la densité de l’eau par rapport à la rivière. La navigation n’y était pas si simple.

On faisait nos premières compétitions avec les stars de l’époque. On a fait des qualifications et un peu par hasard on s’est retrouvé qualifié pour les championnats de France à Vichy en 1976. J’avais 13 ans.

C’était impressionnant, la rivière était artificielle avec une énorme infrastructure, le bassin était hyper large pour neuf lignes d’eau. C’était l’année des JO de Montréal donc il y avait les athlètes senior comme Alain Lebas, hyper préparé, ce qui a donné lieu à des finales mémorables !

Cette ambiance de haut niveau en compétition de course en ligne m’a marqué ! Et cette année là j’ai gagné la course du championnat de France minime 1. C’était un peu la surprise.

François m’expliquait que l’histoire retiendrait les gens qui étaient sur les podiums ce jour là. Ça m’a marqué, quand tu es jeune, tu n’as pas d’ambition. Mais quand tu fais de la compétition, c’est pour être sur le podium.

Cette année là on avait fait de bons résultats, mon frère Michel avait fait médaille de bronze en minime 2. Il y avait une base de jeunes prêts à en découdre dans notre club. Tous les entraînements devenaient des compétitions. C’était infernal.

Nous avant d’arriver au club, on avait 17km à faire en vélo, ce qu’on faisait à fond la caisse. Une fois arrivé au club, on était à fond la caisse avec tous les jeunes et ensuite on faisait la partie de foot classique avant de se séparer, et on repartait faire nos trois étapes du tour de France à vélo pour rentrer à la maison. Le soir on dormait bien.

Les Secrets du Kayak : Donc en fait dès le début tu avais un petit truc en plus pour gagner. Est-ce que par la suite tu as continué à performer pendant ces jeunes années ?

Christophe Begat : Par rapport aux autres j’étais explosif, je pagayais très vite. J’avançais plus rapidement, j’étais hyper compétitif sur des distances de sprint. Mais sur des courses de fond, c’était la catastrophe.

Par rapport au parcours de Pascal que j’ai bien connu, moi c’était très tôt que j’ai eu la chance de performer. J’ai eu une carrière très courte mais j’ai eu cette chance très jeune.

En 1977, j’étais minime 2 j’étais dans les trois premiers. J’avais fait des courses sous des grêlons, et en fait plus les conditions étaient difficiles plus on était motivé.

C’était familial, on était logé par la famille Barouh, on n’avait pas de douche ou de structure, juste des barres pour poser des bateaux. C’était compliqué mais c’était comme ça.

Les Secrets du Kayak : Comment se sont passées tes années cadet ?

Christophe Begat : En minime ,1 quand je gagne c’était Denis Morere qui faisait troisième. Je l’évoque parce que c’est quelqu’un qui était du club de Mulhouse, avec qui on a fait un parcours jusque senior, et la rivalité faisait qu’on se retrouvait toujours à la fin sur le podium. On était les grands frères ennemis sur les bassins. Ça donne une motivation supplémentaire. Il m’a aidé à progresser.

En minime 2 à Vichy il y avait une crue, la finale a été reportée, j’avais fait deuxième et Denis Morere était premier. On a fait quelque courses « internationales » en France, entre nous, les allemands qui venaient, et les luxembourgeois aussi.

1978, quand je passe cadet je ne suis plus en CAPS, tu passes en bateau de course en ligne et j’ai souvenir de ma première course de fond à Mantes la Jolie, le bassin de Patrick Lefoulon. La course fait que je termine dans le top cinq. Comme j’étais le plus jeune cadet on ne m’y attendait pas, encore moins sur une course de fond.

Ensuite il y a eu Auxerre, première course de sprint de la saison en mai avec seulement six lignes d’eau. Donc c’est un rendez-vous important. On avait des pagaies en bois. Ce jour là mon frère m’a prêté sa pagaie qu’il venait d’acheter, beaucoup plus légère, j’ai fait la finale avec et je termine quatrième. J’ai senti la différence. C’est là où j’ai compris que le matériel peut apporter une différence sur la performance. Il a fallu que je trouve la même, je ne pouvais plus revenir en arrière.

Du coup j’ai eu mes premières sélections en équipe de France, en 1979 les championnats du monde junior approchaient. Il y avait une surveillance pour voir qui pourrait potentiellement aller aux championnats du monde à venir. Je me retrouve sélectionné pour ma première compétition officielle internationale, à Gand en Belgique. Et en finale je casse ma barre à pieds. Donc je fais dernier de la finale.

Le Bihan m’a fait comprendre que ce n’était pas une excuse mais que c’était aussi à moi de m’assurer que j’ai le matériel pour performer. On n’attend pas de toi d’être le meilleur physiquement, mais on attend aussi de toi d’avoir le matériel qui te convient, que tu entretiens, et auquel tu dois veiller au bon état de fonctionnement.

Ma deuxième compétition était à Boulogne-sur-Mer, un bassin assez large et éventé. Il y avait des anglais et je finis troisième français. Aux championnats de France, je devais être dans les trois premiers. Je fais une qualification à l’arrache, mon ambition de podium était mal partie. En fait j’accède en finale et je fais troisième. Et Denis Morere gagne à nouveau.

On fait quatrième en K2 et on gagne en K4. Pourtant on n’était pas favoris du tout. Le fond, le K1 3000m au bout de 500m, j’ai déssalé ! Donc le fond ce n’était pas mon truc du tout.

Les Secrets du Kayak : A ce moment là comment tu t’entraînais ? Deux séances par semaine ou beaucoup plus ?

Christophe Begat : Dans notre village c’était le mercredi après-midi, le samedi et le dimanche. Je faisais partie des jeunes qui ne faisaient pas trop de sport à côté. Je n’aimais pas courir, on faisait pas mal de vélo pour se déplacer, du foot. Pourtant j’avais un bon exemple avec mon frère, très doué en course à pieds. Il avait fait le marathon de Paris en 3h20 à 17ans. Je ne m’y suis mis que quand j’ai commencé à comprendre que ça apportait beaucoup en terme de condition physique.

A partir de 1980n François Barouh n’était plus autant disponible pour nous entraîner, il était retenu auprès de l’équipe nationale pour les Jeux de Moscou. On ne l’a pas beaucoup vu et on n’a pas eu vraiment d’encadrement, ni d’entraînement bien spécifique.

Dans les cadets 2, on était deux avec Denis Morere à pouvoir prétendre aller aux championnats du monde. Moi je ne m’entraînais pas beaucoup l’hiver, et le stage qu’on a fait à Mâcon c’était avec l’équipe junior, et l’équipe de France B.

C’était le premier stage pour moi encadré. Devoir se lever à 6h du matin pour aller courir ce n’était pas un truc pour lequel j’avais l’habitude. Mais au bout de deux semaines, tu en ressens les effets.

Mais comme je n’avais rien fait de l’hiver c’était l’enfer pour moi. J’étais complètement à la rue. C’était l’humiliation.

Et pendant la saison je suis remonté régulièrement dans le classement. Je n’ai pas été qualifié pour les championnat du monde, Denis oui. Et aux championnat de France je gagne en K1 devant Denis.

L’équipe de France organisait une équipe parallèle internationale pour aller faire une course marathon en Espagne. On était content de ne pas être allé en Finlande pour les championnats du monde, on a fait des courses épiques en Espagne en 1979. C’était des courses de folie. Il y avait François Barouh avec nous, Didier Vavasseur, et le partenaire du club de Dijon de Boccara, Patrick Genestier. En deux semaines, j’ai amélioré ma technique comme jamais je n’aurais pu le faire.

Fin 1979, je gagne sur des courses de fond devant Vavasseur, donc c’était une bonne année.

Donc 1980, François Barouh part à l’INSEP. On s’est retrouvé un peu orphelin. C’était une année un peu sans résultat.

C’est l’année où j’ai aussi découvert la rivalité entre les français et les italiens. On était bien placé et dans un virage, les italiens étaient en train de plier notre gouvernail. On est parti à la ramasse. Ça faisait parti du fun des courses de fond, on ne le savait pas. Tu te nourris des expériences de compétitions au fur et à mesure. C’est pour cela que démarrer tôt la compétition c’est quand même pas mal.

Il y avait quand même un sujet que je n’avais pas anticipé, c’est que quand ça t’arrive, d’être propulsé sur les podiums et que tu es gamin, tu peux rapidement prendre la grosse tête. J’avoue que je l’ai eu sur un court moment. Les gens te ramènent vite fait à la réalité. Ces expériences te permettent jeune de te différencier, donc tu es décalé avec les jeunes de ton village. Ce sont des passages qui font partie de la vie d’un athlète, il vaut mieux éviter que cela n’arrive.

Les Secrets du Kayak : L’ego est aussi une force à cet âge. Si tu crois en toi, tu va plus te donner les moyens de réussir. Il y a quand même du pour et du contre avec l’ego ?

Christophe Begat : Dans l’écosystème de ton sport, c’est important d’en avoir. Mais il faut aussi savoir ne pas le transposer quand tu es dans un environnement différent. En prenant la grosse tête, il y a des amis d’enfance auxquels je ne parlais plus, parce qu’ils ne m’intéressaient plus parce qu’ils ne faisaient pas de kayak. C’était nul de ma part. J’ai repris contact longtemps après, et ils m’en ont parlé.

Quand je suis passé en 1981 aux championnats du monde junior, c’était l’année du BAC.

Les Secrets du Kayak : Il n’y avait pas de sport étude à ton époque ?

Christophe Begat : Il y en avait un à Besançon, j’ai été approché pour y aller. Boccara l’a fait il me semble. Il y en avait un autre à Rouen je crois.

Les responsables m’avaient expliqué que la priorité c’était le sport et du coup ils ne me mettaient pas la pression pour les études, quitte à ne pas forcément faire un BAC C parce que ça limitait le temps pour s’entraîner.

A l’époque, j’étais partagé entre le kayak et le travail. Je ne savais pas quelle place laisser au kayak pour mon avenir. Je n’étais pas encore prêt donc je n’y suis pas allé. Ça m’a permis de découvrir la gestion du temps, me faire un programme pour optimiser mes trajets, mes entraînements, l’école…

L’objectif c’était de passer le BAC et les championnats du monde junior. On commençait à faire pas mal de stages donc il y avait un encadrement. Dès les premiers stages, je suis monté en équipage avec Christian Gentil, on avait le même style, on a eu de super sensations ensemble. On avait la même glisse, le même appui, il y avait une osmose. On est resté ensemble pour les stages. Aux championnats de France de Mulhouse au mois de mai il y avait eu les piges, j’étais qualifié pour les championnats.

Ensuite on est parti deux semaines en Pologne, on montait en puissance. On ne pouvait pas prétendre aller en finale contre les pays de l’Europe de l’Est.

En Allemagne on a voulu se tester sur une course avant les championnats et on s’est fait éliminer dès les séries, on a merdé en changeant de ligne d’eau. On ne s’en était pas rendu compte. On était vert ! Notre entraîneur nous a dit qu’il préférait qu’on se fasse éliminer là, plutôt qu’aux championnats du monde pour les même raisons. Ça fait partie de l’expérience des courses en compétition.

Aux championnats du monde on a fait le K2 avec Christian Gentil et le K4 avec Jean-François Montagu et Jean-Pierre Bourdillat. Quelques anecdotes, chaque nation était hébergée dans des hangars, deux nations ensemble. Donc on était avec les allemands de l’Est, les dieux du kayak en course en ligne. Mais en fait on ne pouvait pas leur parler. Le hangar était divisé en deux. Il y avait des personnes de la sécurité Est allemande juste pour s’assurer que tu ne discutes pas avec eux.

C’était pareil avec les Russes. Tu voyais dans les yeux des jeunes que eux voulaient venir nous parler. Ça ne pouvait pas se faire.

Une autre expérience, il avait un bateau bleu, en fait les premiers bateaux plastiques de compétition hyper rigide. C’était la première fois qu’on voyait un bateau qui n’était pas un bateau en bois dans les compétitions internationales.

Une autre encore, avec Christian Gentil on a eu exactement le même problème technique que Boccara et Boucherit. Les gens s’entraînaient devant les hangars à bateaux avant la course. Et tu y avais une horloge qui indiquait l’heure. On a fait notre série, on s’échauffait en regardant l’heure pour aller au départ de la course. Et à un moment donné tu as le K2 féminin qui arrive à fond la caisse pour nous informer que le départ de notre course est annoncé. Et là on regarde l’heure, l’horloge s’était arrêtée. On était resté sur cette aiguille. On était à 200m du départ de la course, on est parti en sprint, on s’aligne tout juste quand le départ est donné. On était en hyper stress, on a failli louper le départ, et on finit juste à l’arrache pour se qualifier pour les repêchages.

C’est pour cela que lorsque j’ai appris pour Boccara et Boucherit, mon avis c’était que malheureusement ça pouvait arriver, et qu’il faut juste espérer que cela ne t’arrive pas.

Les Secrets du Kayak : On sent que tu revis à fond ta passion du kayak en racontant tout cela. Est-ce que tu regrettes d’avoir privilégier tes études au kayak avec le recul ?

Christophe Begat : C’est une bonne question.

L’année suivante en première année de senior, je m’entraîne davantage. On avait une bonne base compétitive au club. Début 1982 je reçois un courrier de la jeunesse et des sports qui me dit que je fais partie de la liste officielle des athlètes de haut niveau et que je suis pré qualifié pour les JO de Los Angeles en 1984.

La même année je rentre en maths sup ! Et là il faut combiner les deux. Je ne voulais lâcher ni l’un ni l’autre. C’était les Jeux à ne pas manquer. La réalité c’est que le kayak n’apportait aucune rémunération.

Les classes préparatoires aux grandes écoles, tu travailles beaucoup. La première année j’ai combiné les deux, mais ensuite ce n’était plus possible. J’ai ralenti au niveau du kayak.

Ce que tu as accumulé dans le passé c’est aussi un équilibre entre les deux pratiques. Quand tu as une pratique qui n’est plus là, ça a été une catastrophe, l’équilibre était rompu. Je n’étais pas bien dans ma peau, manque de concentration…

L’année d’après j’ai commencé à refaire un peu de sport. Mais je n’étais plus capable de revenir en équipe de France A.

En tous les cas pour te répondre je n’ai pas de regrets. J’ai rencontré des gens supers sympas, j’ai eu de très bonnes expériences, d’autres douloureuses.

J’étais ensuite entré dans une école d’ingénieurs à Grenoble, j’y ai découvert la famille Brissaud qui était à fond dans l’eau-vive. J’avais beaucoup d’admiration pour eux et leur condition physique. Naturellement ils faisaient du ski de fond, du vélo, de la course à pieds... Nous à l’époque au kayak ce n’était pas le cas. Tu avais quelques personnes qui étaient bons. Mais ça restait des individualités.

Ça m’avait impressionné, tout comme lorsque j’ai rencontré Sabine Kleinhenz qui venait juste d’Allemagne, dans une ambiance compétitive de natation et qui découvre le kayak. Elle challengeait tout : le matériel... Il lui fallait le meilleur pour être la meilleure.

Nous à l’époque on s‘entraînait comme un mouton. La rencontrer ça m’a fait réfléchir, et ça m’a servit ensuite.

Je fais ma première course de ski de fond, avec un peu une tête de haut niveau. Pour moi j’étais athlète de haut niveau donc même avec un dossard merdique, parce qu’on ne me connaissait pas, je me suis mis devant. Et paf, départ de la course et au bout de 500m j’étais atomisé. Ce n’était pas mon sport, je n’avais pas la condition physique, ni la technique. Je suis tombé de haut !

L’exercice c’est de se reconstruire. Et du coup ma mentalité a changé lorsque je faisais du sport, je ne cherchais plus à être dans le haut niveau, mais je cherchais à progresser dans ce nouveau sport. J’ai fait du ski de fond, du triathlon. L’idée c’était comment s’entraîner pour progresser ?

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu as continué la pratique du kayak ?

Christophe Begat : J’ai eu la chance d’avoir une épouse très sportive. Je l’ai initié au kayak et elle a adoré. On en a fait profiter nos enfants aussi. Aujourd’hui on a un pied-à-terre à Embrun. Dans les Hautes-Alpes. C’est un terrain de jeu formidable. J’ai une multitude de kayaks. J’ai un surfski, des bateaux de course en ligne, on a un peu de tout.

Dans mon parcours, on est parti en 2000 à Dijon, j’avais refait un peu de kayak mais dans le triathlon vert : kayak-vtt-course à pieds. C’était sympa. Je faisais des courses à droite et à gauche. Ma fille aussi.

On nous avait demandé de reprendre la présidence du club de Dijon. Il y avait plus de 200 licenciés. On l’a fait, c’était intéressant. On a découvert les nouveaux matériaux, les programmes d’entraînement à disposition, l’existence d’infrastructures pour les athlètes de haut-niveau.

On a voyagé dans pas mal de pays donc on n’a pas toujours fait du kayak. On a vécu à pleins d’endroits différents mais à Singapour j’ai acheté un surfski, et j’ai bien aimé, ça se rapprochait de la course en ligne. C’était sympa. C’était une pratique davantage fitness que compétition.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que durant toutes ces années, tu es resté connecté au kayak ?

Christophe Begat : J’avais toujours l’abonnement du Canoe-Kayak magazine, j’adorais le parcourir. Ça me permettait de continuer à prendre des informations sur des personnes que j’avais connu.

Ensuite on a acheté une maison à Embrun, on y a retrouvé des amis qui avaient fait du kayak. On est régulièrement en contact avec la famille de Daniel Legras.

C’est mon sport de base. J’ai gardé une hygiène de pratique de sport toute ma vie. Pour moi c’était important. Tout comme en Asie, on a fait des courses de trail et quand tu mets un dossard, tu sens que ça te fait du bien.

Les Secrets du Kayak : Je reste convaincu que quand on aime ce qu’on fait on va plus loin que lorsqu’on le fait par défaut.

Christophe Begat : Mais d’un autre côté les gens que j’ai côtoyais dans mes études me disaient : tu te démerdes bien en maths sup, pourquoi tu ne vas pas en maths spé ! C’est pareil ça s’applique.

Ensuite ça vient aussi des gens qui te conseillent. C’est comme dans le monde professionnel, il y a des choses que tu feras bien et d’autres moins bien. Ce qui important c’est de savoir ce que ça t’a apporté. Qu’est-ce que tu as retenu de tes échecs ? Ils apportent énormément que ce soit dans le sport ou la vie professionnelle.

Aujourd’hui je travaille dans une entreprise du CAC40. L’objectif n’est pas une tare, il faut décrocher l’objectif comme au kayak. Il faut monter sur le podium. Il faut être meilleur que ses concurrents du marché. Ce sont des valeurs que j’ai eu la chance de connaître jeune, ça m’a beaucoup apporté dans ma vie personnelle et professionnelle. Je n’ai rien à regretter.

J’ai rencontré des gens vraiment sympas. Le kayak progresse parce qu’il y a beaucoup de gens bénévoles, et ça il ne faut pas l’oublier, il faut le souligner. Sans eux pour découvrir la compétition, tu ne progresses pas. Ils s’occupent de tout, les inscriptions, la logistique, les déplacements, c’est un truc de fou. Je suis reconnaissant de tout cela.

Le jour où je rentrerai en France j’espère pouvoir apporter du temps à un club, de kayak ou pas. Mais être dans un écosystème où tu peux aider les gens bénévolement.

Les Secrets du Kayak : Si tu devais te donner un conseil, ou donner un conseil à un jeune quel serait-il ?

Christophe Begat : Moi je pense qu’il ne faut pas hésiter à aller dans une infrastructure, dans un club pour essayer. Il ne faut pas sous estimer l’ambiance d’un club, l’entraînement aux compétitions. Plus tôt un jeune peut le faire et mieux c’est. Il ne faut pas hésiter.

Il faut sortir dehors, respirer, marcher. J’ai des souvenirs de senteurs, d’odeurs particulières, ce sont des choses qui te restent.

Tu y rencontres des gens intéressants. Il faut être curieux. Moi je ne l’étais pas assez. Tu t’aperçois plus tard que c’est important, ça aide à comprendre les choses. Moi qui vit depuis vingt ans à l’étranger, on a cette faiblesse en France que de ne pas être assez curieux.

J’en profite pour saluer le club de Sillery : tous mes vœux de succès à cette joyeuse équipe de Sillery, et j’espère qu’on verra de nouveaux athlètes de ce club dans les compétitions internationales.

Vous pouvez contacter Christophe Bégat sur son compte Linkedin.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Stéphane Boulanger

Retrouvez tout sur Stéphane Boulanger dans cet épisode des Secrets du Kayak. Comment a-t-il débuté le kayak ? Comment s’est déroulé sa carrière d’athlète ? D’abord la vitesse avec la course en ligne puis son évolution vers le marathon.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Stéphane Boulanger en février 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Stéphane Boulanger : Écoute ça va, on est en stage au Grau-Du-Roi, la vie est belle.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe pour toi ce stage au Grau-du-Roi ?

Stéphane Boulanger : Bien ! On s’est organisé un stage avec les jeunes du marathon principalement. On à Nicolas Parguel qui s’est joint à nous, pour nous suivre et nous coacher. C’est un stage annuel depuis trois ans. Auparavant, on allait au Portugal. Dès qu’on a élargi le collectif on est venu ici. Aujourd’hui, on est une dizaine.

Les Secrets du Kayak : Comment as-tu découvert le kayak ?

Stéphane Boulanger : A l’école primaire. Je suis originaire de Saint-Quentin en Picardie, il y avait des cycles proposés aux scolaires. J’ai eu envie de continuer la pratique.

Avant mon arrivée au club, c’était du kayak eau-vive descente, j’ai pu profiter de cette culture. Avec mes résultats, on s’est tourné vers la course en ligne. Ma génération on a porté haut le club, on était en N1. En cadet, j’étais aligné à côté de Babâk sur le 200m des championnats de France. De bons souvenirs.

Les Secrets du Kayak : Au début, tous tes entraînements étaient basés sur ceux de l’eau-vive et de la descente ?

Stéphane Boulanger : Oui principalement. C’était un étang long de 500m, avec des petits poteaux. On faisait des tours avec des slaloms. Et à côté de l’étang, il y a un canal de 7km, que du plat. Ça se prête à la course en ligne.

Ma première compétition, c’était un trophée jeune multi-disciplines. Le slalom c’était un peu compliqué pour moi, mais le reste ça allait.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu faisais d’autres activités sportives en dehors du kayak à ce moment là ?

Stéphane Boulanger : Oui, j’avais fait du tir à l’arc, de l’aïkido aussi, mais ce n’était pas trop mon truc. C’était des pratiques que je faisais avec mon père.

Le kayak c’était le mercredi et samedi après-midi. J’ai vite progressé par rapport aux autres, au dessus il y avait la génération des plus vieux qui nous montrait l’exemple. Il y avait Laurent Saget, Stéphane Millet... c’était des modèles. Même si au final, ils avaient un bon niveau national sans plus.

En minime, je commençais à prendre leur vague.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand tu t’es davantage concentré à la course en ligne, et penses-tu que tes débuts en course en ligne ont été aidés par ton passé de descente ?

Stéphane Boulanger : A partir de minime. Dans certaines conditions météo c’est sur que ça aide. En junior pour des sélections à Boulogne-sur-Mer c’était la tempête, ça m’a bien aidé.

Ensuite en cadet, j’ai fait la course en ligne et l’eau vive. J’avais tout gagné sauf le marathon. En descente, j’avais gagné le sprint et la classique.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui a fait que tu as basculé plus en course en ligne qu’en descente ?

Stéphane Boulanger : C’est l’olympisme. Quand on est jeune, on rêve des JO même si plus tard ça ne s’est pas fait. Du coup en junior, je ne gagne pas tout. J’étais meilleur sur les longues distances dès le début.

Je faisais souvent des tours avec la section tourisme du club. L’été on naviguait dans la baie, encore des sorties longues. Ça a développé mes capacités aérobie. De plus, j’ai toujours aimé faire du vélo, tous les cross du coin quand j’étais gamin.

Au collège, le prof d’EPS c’était le président du club d’athlétisme de Saint-Quentin, il m’avait payé ma licence pour que je vienne faire les courses. J’avais gagné les championnats départementaux. Je courrais bien.

Ça s’est atténué en prenant de la masse dans le haut du corps.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand as-tu commencé à faire de la musculation ?

Stéphane Boulanger : Du renforcement musculaire en minime, puis en cadet parque qu’il y avait les tests de musculation. On mesurait l’amplitude également.

En cadet 2, je ne passais pas les quotas en musculation mais j’aurais pu être sélectionné en équipe.

Je pense que si tu es assidu dans ta préparation, les quotas ne sont pas inaccessibles. Je ne suis pas dans les plus forts en musculation et je n’ai pas eu de problème par la suite pour les quotas pour accéder aux sélections et autres.

Les Secrets du Kayak : Quand tu es junior, est-ce que tu pars faire tes études en pôle espoir ?

Stéphane Boulanger : Non j’ai fait de la résistance assez longtemps, je voulais rester dans mon club. Avec le recul, je pense que j’y partirais plus rapidement, je pense que ça aurait pu m’aider. Je me suis trop entraîné tout seul, il n’y avait pas trop d’émulation. Beaucoup de jeunes ont arrêté de s’entraîner. Je suis parti au pôle espoir de Lille en Senior 1.

J’ai fait des études en STT option comptabilité. Je suis resté un an à Lille ensuite je suis parti à l’INSEP pour faire un BTS informatique de gestion par défaut.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passait pour s’entraîner sans aménagement scolaire ?

Stéphane Boulanger : Je m’entraînais au moins une fois par jour à Saint-Quentin. J’étais assez autonome pour m’organiser. Il y a toujours une ou deux personnes pour venir avec moi de temps en temps.

Ensuite je suis parti à Lille parce que c’était le plus près. Il y avait mon coéquipier de club qui était là bas. Il y avait un bon groupe. Tout ce que j’y ai appris me sert aujourd’hui. Le volume a augmenté d’un coup là bas.

Je faisais davantage de vitesse à cette époque là. Je ne faisais pas de marathon. Ça m’a aidé a avoir de la caisse, à être meilleur en musculation, les effets sont arrivés après.

L’année d’après à Vaires, je n’ai pas été sélectionné en vitesse, du coup j’ai fait le marathon. En K2, on fait quatrième en championnat du Monde. Je savais qu’on était bon, c’était la meilleure performance française à cette époque là en marathon.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ça te motive encore plus à faire des longues distances à ce moment là ou bien tu as encore ce rêve de l’olympisme ?

Stéphane Boulanger : Ca me conforte dans l’idée que j’aime davantage le marathon. Même si en minime, je le savais déjà.

Malgré tout je continue de m’entraîner pour la vitesse, c’est le système qui veut ça. C’est un peu la porte de secours le marathon à cette époque. Ça ne fait que depuis cinq ans qu’on joue dans le top niveau du marathon.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi être parti à Vaires-sur-Marne ?

Stéphane Boulanger : J’avais déjà repéré le BTS. À Lille, il y avait le même mais je n’ai pas été pris. A Vaires, c’était la solution de simplicité. J’y suis resté six ans, c’était de bonnes années. J’ai été entraîné par Nicolas Parguel, François During, Michaël Fargier, quelques personnes.

A Vaires, j’ai bien progressé. En Senior 3, j’arrive à accéder aux équipes de France de moins de 23 ans. Dans les équipages, ça allait bien. On était souvent dans les finales.

Avec le recul dans la gestion des équipages aujourd’hui je dirais non à certains équipages, mais à l’époque on avait moins d’expérience, on nous dit “tu fais comme ça” et tu dis oui. Alors qu’aujourd’hui, je dirais que c’était nul les choix proposés.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui détermine la place dans un équipage en K4 ?

Stéphane Boulanger : L’avant, c’est le mec qui a un bon touché d’eau, qui sait sentir ses équipiers derrière.

Les deux mecs qui sont à l’arrière sont la charnière de puissance du bateau, ils peuvent emmener de bonnes pagaies avec de l’amplitude dans l’eau.

Le mec en position 2 fait la transition entre les autres. Moi j’ai souvent été en deuxième place. Aujourd’hui, je suis à l’arrière. Mais en fait je n’ai pas de préférence.

Les Secrets du Kayak : A partir de quand ton rêve d’olympisme prend fin ?

Stéphane Boulanger : Je dirais en 2012. Déjà, j’étais spécialisé dans le K4. Au moment d’aller chercher le quotas, ça a merdé complet. En 2011 on vivait tous en colocation mais j’avais fini mon BTS, donc je décide de partir de la coloc et d’aller avec ma copine.

J’ai un peu fait un burn-out, je ne voulais plus m’entraîner. Je me suis entretenu par du vélo, de la course à pieds, du trail de longue distance.

En 2014, mon beau père nous lance dans l’ultra trail, j’augmente les distances pour faire la diagonale des fous vers la fin. Il fallait avoir cumulé un certain nombre de point pour y accéder. J’ai fait le 110 km dans le Verdon, ça s’est bien passé.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui t’a ramené au bateau ?

Stéphane Boulanger : C’est quand le surfski s’est développé en France. J’ai tenté une petite saison de surfski en 2015, avec trois séances par semaine en bateau, un peu de musculation, de la course à pieds.

J’ai tenté de faire un marathon et aux sélections j’ai fait quatrième, j’ai été sélectionné en équipe marathon. J’avais toujours la caisse par les trails, et la technique de mes débuts. Un marathon, ça me paraissait court en fait.

Donc je repars pour faire des championnats, on fait quatre aux Europe en K2. On finit sur une cinquième place aux championnats du Monde. Par contre après le surfski c’était fini j’étais focus marathon, et je montais tous les jours. J’avais repris le rythme du haut niveau.

Les Secrets du Kayak : C’est quoi pour toi les différences de technique entre la technique de vitesse et la technique marathon ?

Stéphane Boulanger : On a de plus petites pagaies pour le marathon. Il faut éviter les manches souples, cela te fait perdre de l’énergie selon moi. On n’a pas assez de sensibilité et de recul sur un marathon pour savoir si c’est bénéfique ou pas.

Pour la technique, on économise le coup de pagaie, on verticalise un peu moins le mouvement. On a des cadences plus élevées, on tourne à 80 de cadence voir plus haut. Je ne tourne pas plus les bras que cela, je le fais un peu au feeling.

Les Secrets du Kayak : En terme d’entraînement qu’est-ce qui a changé le plus par rapport à tes entraînements de vitesse ?

Stéphane Boulanger : La longueur des séances. Faire 20km au moins deux fois par semaine devient courant. Mais je préfère faire 2h de vélo. Avec mon expérience, la technique est là.

Les Secrets du Kayak : Quels sont tes axes d’amélioration, de progression ?

Stéphane Boulanger : Ils ne sont pas spécifiques à la pratique, mais ce sont les à côtés tel que l’hygiène de vie, bien manger, s’étirer, faire de la préparation mentale. Mais moi je fais du sport pour mon plaisir, pas pour me faire chier à côté.

J’ai déjà mis en place des choses, les résultats s’en suivent. Mon poids de forme ne varient pas tant que ça. Comme j’ai fait du K2 avec Edwin et qu’il est diététicien, j’ai eu quelques astuces qui me font progresser.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que lorsqu’on s’entraîne pour le marathon on fait des séances de frein, d’appuis… ?

Stéphane Boulanger : Oui, il faut être bon sur les accélérations, il faut être bon au frein, tactiquement également.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu utilises les moniteurs d’entraînement comme les ceintures cardio, suivre la vitesse, le nombre de coups de pagaie…, est-ce qu’il y a des objectifs métriques à suivre en séance d’entraînement ?

Stéphane Boulanger : Oui je travaille au cardio. La cadence pas trop, je le fais à l’ancienne. Avec l’expérience, tu te connais. Je m’entraîne tout seul donc les outils je m’en sers.

Je m’en sers aussi en vélo, je me suis inscrit dans un club à côté de chez moi, c’est sympa de rouler en groupe, ça change. Je ne sais pas si je ferais des courses, les calendriers n’étant pas forcément compatibles.

Les Secrets du Kayak : Quand tu as fait ton arrêt, tu étais à Vaires, tu es où maintenant ?

Stéphane Boulanger : Je suis au sud de Lyon dans le Pilat Rhodanien, à côté de St-Pierre-de-Boeuf. Je m’entraîne soit sur le plan d’eau, soit sur le Rhône.

Les Secrets du Kayak : Quels sont tes objectifs aujourd’hui ?

Stéphane Boulanger : Mes résultats de l’année dernière sont énormes, depuis le temps que j’attendais des résultats aux mondiaux ! On en veut toujours plus. Le marathon c’est quand même prédominant sur les autres courses. Il n’y a pas encore eu de spécialisation en short-race, on peut encore faire les deux disciplines si on le veut. La préparation reste la même.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe en terme d’encadrement pour le marathon. Nicolas Parguel est là ? Qui vous suit ?

Stéphane Boulanger : Depuis le premier janvier, on n’est plus discipline de haut niveau selon des critères subjectifs. Du coup, on est le 25 mars et on ne connaît toujours pas le budget alloué au marathon.

On imagine avoir un minimum de budget mais on n’en sait rien. C’est compliqué. Par exemple pour le stage on s’est démerdé entre athlètes pour trouver un logement, et on paie tout de notre poche. On a l’impression de se faire couler. Les gens aiment regarder le marathon. D’un point de vue médiatique, ça attire plus qu’une course de 1000m.

On avait l’espoir que notre discipline soit reconnue à la hauteur de nos investissements, mais du jour au lendemain on est relégué au placard, alors qu’on a des résultats. Tour le monde a l’impression que dans les bureaux c’est du vent.

On ne connaît pas notre avenir, si ça se trouve ça sera comme cela pendant quatre ans. Il n’y a pas d’égalité entre les disciplines, exemple avec les descendeurs. Il y a un sentiment d’injustice.

Les Secrets du Kayak : Pour le marathon il n’y a qu’un seul stage au Grau-du-Roi, il n’y en n’a pas d’autres ?

Stéphane Boulanger : C’est ça. L’année dernière avec le budget de haut niveau qu’on avait, on avait de quoi se payer le stage de deux semaines ici, et ensuite les échéances des Europe, des mondiaux. Sachant que le staff ne sont que des bénévoles. Là, maintenant qu’on n’est plus haut niveau...

Les Secrets du Kayak : Et vous en tant qu’athlètes, vous n’aviez rien en tant que sportifs de haut niveau ?

Stéphane Boulanger : Si, moi à l’époque quand j’étais salarié j’avais une CIP, j’étais détaché pour les stages et les compétitions. Je travaillais à 80 %.

Aujourd’hui ça a changé je suis auto-entrepreneur. On ne le fait pas pour les autres, si je suis là c’est parce que je prends du plaisir. Le jour où ça ne sera plus le cas, j’arrêterai.

Les Secrets du Kayak : Tu fais toujours un peu de surfski ?

Stéphane Boulanger : Oui de temps en temps, quand les conditions le permettent. Je ne suis pas un pro mais je me débrouille. J’aime mon bateau actuel, il tourne bien c’est un bateau facile.

Et en pagaie, j’ai essayé pleins de formes, même les braca 8. Ces dernières années je suis en Jantex, j’ai testé Bêta et Gamma. J’avais changé parce que je voulais une pagaie plus petite en surface pour le marathon afin d’attraper l’eau plus rapidement.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui qu’est-ce que tu fais dans la vie à côté du kayak ?

Stéphane Boulanger : Ça va faire deux ans que j’ai repris une petite entreprise qui fabrique des modèles réduits de planeurs. C’est artisanal. Je suis auto-entrepreneur, je gère mon temps comme je le veux.

Bien évidemment si je ne m’entraînais pas je travaillerais davantage, et je gagnerais plus. Mais j’ai un bon équilibre.

Je vis en couple et j’ai deux enfants. Donc je gère avec tout ça.

J’arrive à tout concilier, ma copine connaît le haut niveau, elle était athlète dans le slalom, ses frères on fait les JO en slalom, donc c’est plus facile. Elle sait ce que c’est le haut niveau. J’ai de la chance.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu fais toujours des courses de vitesse ?

Stéphane Boulanger : De moins en moins. L’année dernière, je l’ai fait pour les open pour multiplier les courses, pendant le covid elles se faisaient rares.

C’était pas mal en mono, je me suis fait plaisir, en K2 aussi. J’avais le niveau pour aller en finale mais pas pour la remporter.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu es suivi en dehors de l’entraînement, comme par exemple par un kiné ou un ostéopathe ?

Stéphane Boulanger : Je ne suis pas vraiment suivi, mais si j’en ai besoin, j’en ai un près de chez moi.

Les Secrets du Kayak : Tu as déjà eu des blessures par la pratique du kayak ?

Stéphane Boulanger : Oui plusieurs aux épaules et souvent des tendinites. Elles ont disparu quand j’ai appris à me relâcher. Juste avant d’arrêter en 2011, je me suis cassé le poignet par une fracture articulaire. Très bêtement en glissant sur une passerelle.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu sens qu’en vieillissant tu récupères moins bien ? Que tu as plus de mal à progresser ou bien que tu ne progresses plus du tout ?

Stéphane Boulanger : Je ne sais pas si c’est dans la tête ou physique, mais oui un peu.

Je n’ai pas vraiment de point de comparaison. Même en faisant des tests tous les ans, on a des repères avec les GPS, mais ce n’est pas super significatif. Les vitesses restent les mêmes. En revanche, les conditions ne sont jamais vraiment les mêmes.

Les Secrets du Kayak : Pourquoi prendre une pagaie plus grosse l’hiver ?

Stéphane Boulanger : Pour compenser le fait que je fais moins de musculation ou de FE. En règle générale, l’hiver je mange moins de légumes, mais je reste à un poids de forme entre 75-80kg.

Je veille à rester bien. La musculation ce n’est pas ce que je préfère, mais je me débrouille.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que lorsqu’on fait du marathon on fait de la force max, ou plutôt de la force endurance ?

Stéphane Boulanger : J’essaye de faire un peu de force, ça aide pour la saison. Notamment pour le travail de la vitesse, ça permettait de mettre plus de dynamisme dans l’eau et d’explosivité pour mieux faire avancer le bateau.

Les Secrets du Kayak : Aujourd’hui, l’objectif c’est d’être champion du monde ?

Stéphane Boulanger : Oui, je n’y pense pas plus que ça tout le temps. Plus l’échéance approche, plus je me mets à rêver. Moi je fonctionne au plaisir. Le sport j’aime ça ! Être sur l’eau, trouver les solutions pour faire avancer ton bateau correctement avec une bonne efficience.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a des problèmes techniques que tu as rencontré au fur et à mesure des années ? Que tu as réussi à gommer ?

Stéphane Boulanger : Oui. Pus jeune j’avais soit disant la poisse, pour moi c’était le reflet de mauvaises décisions, je me précipitais trop. Avec le temps je me suis amélioré. Je faisais des erreurs d’inattention, j’étais fougueux.

Les Secrets du Kayak : Si tu pouvais remonter le temps et te donner un conseil, lequel serait-ce ?

Stéphane Boulanger : De moins se prendre la tête. En 2011, si je me suis arrêté c’est parce que j’étais trop focus pour faire de la vitesse, même si ce n’est pas ce que je préférais. Je me dirais de me faire plaisir. La vitesse pendant les courses, la confrontation indirecte, ne m’a jamais fait plaisir.

Se mettre des œillères pour avancer ce n’était pas mon truc.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a des athlètes ou des courses qui t’ont inspiré plus jeune  ?

Stéphane Boulanger : Oui, mais je n’ai jamais vraiment eu d’idoles. J’ai pris exemple sur d’autres pour travailler mon coup de pagaie. Je ne sais pas ce que ça donnait de l’extérieur mais j’essayais.

En tous les cas si j’avais un conseil à donner aux jeunes ça serait de se faire plaisir, de le faire pour soi, pas pour les autres. A n’importe quel niveau, ça ne reste que du sport.

Vous pouvez retrouver Stéphane Boulanger sur son compte Instagram.

Lire la suite
Rudy Coia Rudy Coia

Interview : Christophe Rouffet

Retrouvez tout sur Christophe Rouffet dans cet épisode des Secrets du Kayak. D’abord athlète de haut niveau, il intègre ensuite les instances dirigeantes de la FFCK.

Ceci est une retranscription écrite du podcast enregistré avec Christophe Rouffet en février 2022.

Les Secrets du Kayak - Comment vas-tu aujourd’hui ?

Christophe Rouffet : Bonjour Rudy, ça va très bien. Enthousiaste et curieux de pouvoir intégrer ta collection de podcasts.

Les Secrets du Kayak : C’est Vincent Olla qui m’avait dit beaucoup de bien de toi, je suis donc content de t’avoir après tout ce temps. Comment as-tu découvert la pratique du kayak ?

Christophe Rouffet : J’ai un papa qui travaillait dans l’industrie, on a beaucoup déménagé jusqu’à ce qu’on habite à la périphérie de Troyes. Et juste à côté il y avait un club de canoë-kayak. On n’est pas resté longtemps, mais mon frère a essayé, il m’a motivé à y aller et j’ai attrapé le virus dès la première fois, je devais avoir 13 ans.

Auparavant j’avais fait de la voile, du tennis, et notre famille était assez outdoor, on faisait pas mal de randonnées et de ski de fond. Mais surtout en famille.

Ma première séance je m’en souviens, c’était dans une barquette pour m’initier, et au milieu de la séance, ils m’ont fait essayer un caps, c’était sympa et challengeant. Le club était ouvert quasiment tout le temps et il était à côté de chez moi, donc j’y ai passé tout mon temps libre du samedi et du mercredi et parfois le soir. Six mois, après on déménageait à Bordeaux.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe quand tu déménages à nouveau, tu as retrouvé un club à Bordeaux ?

Christophe Rouffet : Lors de ma deuxième compétition que j’avais faite à Charleville-Mézières pour le club de Troyes, quelqu’un de la ligue explique au club qu’il souhaite me sélectionner pour les régates de l’espoir. Donc arrivé à Bordeaux, il a fallu que je me débrouille pour préparer les championnats de France.

A Bordeaux, il y avait un club dynamique avec un CTD qui avait remis sur pieds le club. Moi j’arrive, je prends ce qu’il y avait, je dépoussière un vieux kayak et son accastillage, je me débrouille tout seul pour me préparer au mieux les championnats de France qui avaient lieu à Boulogne-sur-Mer.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que c’est courant au bout de six mois de pratique que de se sélectionner pour les championnats minime ?

Christophe Rouffet : Je ne pense pas. A l’époque, je ne connaissais pas les modalités de sélection. Je découvrait le kayak. A cet âge là, je faisais déjà ma taille adulte. J’étais grand pour l’époque : 1,75m et je n’ai pas grandi depuis.

Les Secrets du Kayak : Tu modifiais déjà l’accastillage d’un bateau ? Est-ce courant de le faire à 13-14 ans ?

Christophe Rouffet : C’est à dire que je suis bricoleur. J’avais les clés du club, je pouvais y aller quand je voulais, et il y avait plein de bateaux anciens, et moi j’adorais les tester que ce soit des kayaks ou des canoës. Qu’ils soient de descente, de slalom, ou de sprint.

Il y avait de vieux accastillages en bois et des périssoires. Les bateaux servaient peu. Donc comme il me fallait un bateau qui fonctionne bien et qui ne prenne pas l’eau, je me préparais au mieux.

Les Secrets du Kayak : Comment se sont passées pour toi les régates de l’espoir ?

Christophe Rouffet : Je n’avais jamais vu autant de monde sur une compétition. C’était à Boulogne-sur-Mer, j’ai gagné la série et fait dernier de la demie-finale.

Je me souviens être remonté le long du bassin à Boulogne avec la rage, je ne voulais plus jamais finir dernier d’une course. J’étais en minime deuxième année.

Les Secrets du Kayak : Ça te motive pour faire des compétitions cadet par la suite de manière plus intensive ?

Christophe Rouffet : Oui, l’hiver en aquitaine il y avait des animations types cross-kayak, des critériums, des descentes et des slaloms. Donc l’année suivante je fais toutes les compétions régionales et en course en ligne, j’étais un cran au dessus.

En slalom j’étais un cran en dessous, je n’arrivais pas à me sélectionner aux championnats de France puisqu’il fallait maîtriser les deux pour les cadets. Petit à petit, j’ai creusé la course en ligne.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passaient les entraînements à l’époque pour toi ?

Christophe Rouffet : Les entraînements, je les ai fait avec des gens comme Michel Boccara, il y avait de la dynamique mais c’était principalement des senior donc je m’entraînais plutôt seul sans savoir quoi faire.

Je lisais pour me conseiller sur l’entraînement, en terme de volume et de planification. J’ai aussi navigué en aérobie basse intensité avec un copain sur le lac de Bordeaux.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’avec le recul, il t’a manqué quelqu’un pour te conseiller techniquement à un âge où c’est crucial ?

Christophe Rouffet : Ça a été une quête technique perpétuelle, pas seulement pour moi. Je ne sais pas, je me suis construit autour de ma mobilité. Il me manquait sans doute un répertoire technique pour mes années junior pour faire de l’équipage, mais ça s’est bien passé.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe pour entrer en équipe junior ? Tu avais déjà cette idée de compétition et de performer plus loin ?

Christophe Rouffet : Non, il y avait plusieurs rencontres qui ont fait que ça m’a motivé. J’ai eu en face de moi des entraîneurs de l’équipe de France, des anciens champions, des entraîneurs de champions, ça m’a donné envie.

J’ai exploré toutes les pistes, les pagaies Wings arrivaient sur le marché. Et pour la préparation des Jeux de Seoul, une partie de l’équipe de France est venue s’entraîner à Bordeaux.

J’ai eu la chance d’ouvrir le club tôt le matin pour eux, et j’ai eu la chance de faire des séances avec eux. Ils étaient bienveillants, c’est là que la deuxième piqûre est arrivée à 16 ans. Mais je n’avais pas de jeunes de mon âge avec qui m’entraîner à Bordeaux.

Les Secrets du Kayak : En cadet, tu fais de bonnes performances en compétition ?

Christophe Rouffet : J’ai du faire cinquième en cadet 2 en championnat de France, c’était monstrueux, mais pour moi je préférais gagner. C’était Bertrand Oger (Lunéville) qui avait fait champion de France cadet, il me fallait le battre. Je me suis entraîné comme un dingue.

Il me fallait gagner en technique, apprendre à naviguer dans toutes les conditions. C’était un peu acrobatique. L’été je faisais beaucoup de jeux avec le bateau. Avec l’eau-vive, j’avais de bons appuis.

Je faisais pas mal de course à pieds le soir et du renforcement musculaire dans ma chambre tous les soirs.

Les Secrets du Kayak : Tu n’as pas eu de scolarité aménagée pour la pratique du kayak ?

Christophe Rouffet : Si, sur mon année de terminale je suis allé en sport étude à Caen, et c’est là que j’ai intégré les structures d’entraînement de la fédération.

Les Secrets du Kayak : Comment on faisait à l’époque pour intégrer un sport étude ?

Christophe Rouffet : Il y avait au mois de mars des tests qui permettaient de candidater auprès des responsables des structures d’entraînement. Moi je l’avais fait à 15 ans. C’était des tests de motricité, de détente verticale… et un test de 100m et de 2000m et un entretien.

Il y avait une visite médicale. Je n’avais pas souhaité à 15 ans y aller, mais pour la terminale j’avais fait vice champion de France en junior 1, et il me fallait passer le cap. Il y avait de grands noms à Caen.

Les Secrets du Kayak : Comment ça se passe à Caen, est-ce que d’avoir un entraîneur au jour le jour, tu fais des progrès énormes ?

Christophe Rouffet : Je fais champion de France de fond en premier titre. Ensuite Michel Larchevêque est parti sur l’organisation des championnats du Monde à Vaires-sur-Marne en 1991 et ça passait moins bien les relations avec son successeur.

Du coup, je suis moyen même si je suis en équipe junior. Je dois faire une médaille de bronze aux championnats de France de vitesse. Rien de plus.

Les Secrets du Kayak : Quel est ton plan pour performer plus ?

Christophe Rouffet : Après mon bac, je postule sur le pôle France de Dijon. Il y avait une belle équipe là bas. Je quitte la Normandie pour la Bourgogne.

On construit point par point les choses. Je m’étais engagé sur des études de médecine. J’essaie de composer sport et étude. Je ne mets pas tout dans le sport, je reste moyen et aux portes de l’équipe de France.

Avec le recul, je comprends que par mes études je cherchais en fait des billes pour mieux comprendre et mieux m’entraîner. C’est logique de ne pas avoir concrétisé.

Puis je suis parti en STAPS j’ai fait le DEUG en un an. Et là c’était les études pour le sport. J’ai pu vivre ma vie de monomaniaque de course en ligne. Je respire kayak je dors et vie kayak.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu arrêtes médecine pour entrer en STAPS ?

Christophe Rouffet : Je n’ai simplement pas réussi le concours, ni la première ni la deuxième année. Je m'étais donné les moyens de réussir, mais c’est que ce n’était pas pour moi.

En Staps, le but était d’en profiter. Le sport était au centre des études. On avait du temps pour s’entraîner. On pouvait faire des sorties de ski de fond, il y avait de bons coureurs à pieds, c’était du plein air et du bateau.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que ton volume d’entraînement a augmenté au fur et à mesure des années ?

Christophe Rouffet : Oui et surtout à la fin, parce que j’étais moins blessé ou moins malade.

J’ai pu réintégrer les équipes de France en 1993. En 1994, je fais partie du K4 pour les championnats du monde de Mexico.

Ça se passe super bien pour la préparation. On se débrouille pour se faire des stages l’été, on arrive aux championnats du monde mais on fait presque série remorque. Il a fallu aller aux championnats du monde pour se rendre compte qu’on n’avait pas le niveau.

Donc j’étais un peu amère. L’ambiance n’y était pas, chaque groupe se dénigrait. Mais j’ai appris beaucoup.

Les Secrets du Kayak : Quand tu rentres en équipe A, tu as accès à des stages auxquels tu n’avais pas accès ?

Christophe Rouffet : Ça permet de côtoyer les meilleurs français très régulièrement. Tous les 15 jours, on était en stage. En France, en Hongrie, en Afrique du Sud. Il y a des nations très rigoureuses dans leurs entraînements.

Tu es censé faire de l’aérobie, et en fait ça se transforme en course de fond. Ça permet de se former sur les coups en douce et comment bien se placer.

Les Secrets du Kayak : Tu as fini ta carrière quand Kersten Neuman est arrivé. Est-ce qu’avant lui vous faisiez le type de séance qu’il proposait ? Bien cadré ?

Christophe Rouffet : Avant 1992, c’était une organisation tournée autour du héros : Alain Lebas. A l’arrivée de Jacques, il a souhaité structurer un staff avec une vraie équipe d’encadrement. Une programmation a été mise en place construite et suggérée à tous les athlètes, inspirée des allemands. Avec des règles claires et précises.

Ça a permis ensuite à Kersten d’arriver sur un terrain déjà fertile pour la méthode allemande. Mais je pense qu’on n’a pas tout compris de ce qu’il a amené. Moi j’ai arrêté ma carrière à la fin des qualifications olympiques en 2000.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’à un moment tu te rapproches des meilleurs français ?

Christophe Rouffet : Je fais des médailles aux championnats de France dès 1994. J’étais un bon français, mais mauvais à l’international. Avec le recul, il m’a manqué de la force endurance. Pour moi, quand tu es en cadet c’est important d’en faire. Ceux qui en ont fait, ont une meilleure base pour faire des max ensuite.

Il faut avoir envie, être prêt et frais au moment de l’échéance terminale. Pour moi, j’en faisais trop même au moment de l’échéance terminale. C’est ce que j’ai tenté de mettre en place ensuite comme directeur de l’équipe de France, mettre en place des périodes de développement, des périodes de rappel de volume, et éviter de se désentraîner.

Et la coupure de bateau l’hiver, je la trouve intéressante pour développer la force sereinement. A l’époque, je ne me rendais pas compte de tout cela. C’était rare que ça aille bien au bon moment.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’à un moment tu fais des places à l’international ?

Christophe Rouffet : En 1996, quatrième en coupe du monde, 1997 quatrième aussi. A Halifax c‘était mes derniers championnats du monde, mais j’ai déclaré une appendicite là-bas. J’ai fait les courses, en K1 et K2 mais c’était fébrile.

Après 1997 arrive Kersten et les tests mis en place font que je suis loin du compte, je ne passe pas. Les jeunes arrivent et se retrouve dans le nouveau système.

En 2000, je ne passe pas les qualifications non plus. Donc je décide de travailler davantage pour une vie professionnelle.

Les Secrets du Kayak : Tu n’es pas pris alors que tu es bon sur le kayak, pourtant le sport c’est le kayak, pas la musculation ?

Christophe Rouffet : Effectivement, ça ne me faisait pas rigoler. L’enjeu, c’était la dynamique nationale. Le développement de la force endurance est une des clefs du succès. Aujourd’hui, je ne vois pas comment on pourrait revenir en arrière.

On croit que les gens ont comprit l’importance de la musculation, on avait décidé de retirer les tests, mais en fait ils avaient tous arrêté la musculation. Donc on les a remis dans les modalités de sélection.

Pour revenir à ma carrière en 2000, il y avait de beaux bateaux dont celui de Babak Amir-Tahmasseb, champion du monde sur le K1 1000, c’était pas la peine d’amener des gens pour faire série remorque. Je ne suis pas du tout aigris, j’en ai profité jusqu’au bout.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’a un moment tu t’orientes vers d’autres études pour travailler avec la fédération ?

Christophe Rouffet : J’ai fait Licence Staps pour être prof d’EPS, et au moment de la maîtrise, je me suis orienté sur la filière entraînement management. Puis j’ai fait le bataillon de Joinville en 1996, et je passe le concours de prof de sport.

C’était Hervé Madoré le DTN à l’époque qui m’avait mis sur des missions nationales. J’étais cadre technique et sportif de la fédération.

Les Secrets du Kayak : Quel était ton rôle au sein de la fédération ?

Christophe Rouffet : La première année, je dois fermer le pôle France de Lille et le transformer en pôle espoir. L’année d’après, sur deux ans je suis conseillé technique national pour le département de la fédération.

La différence entre le pôle France et le pôle espoir de Lille, c’est le replacement des entraîneurs. Il y avait un peu moins de sportifs là-bas, les stars du moment sont passées à autre chose, il y avait un manque de sportifs puisqu’ils restaient à Boulogne-sur-Mer ou à Saint-Laurent-Blangy.

Ma mission suivante était en 2000, Antoine Goetschy cherchait un directeur administratif et financier. J’avais fait les études pour, j’avais les ressources, donc je fonce. J’ai vraiment construit ma compétence professionnelle à ce moment là. J’ai appris beaucoup.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu continues à naviguer de temps en temps à ce moment là ?

Christophe Rouffet : Kersten m’avait demandé de ralentir l’entraînement. Je naviguais un peu, mais moins, ça n’avait plus de sens pour moi. Je n’avais pas vraiment le temps non plus.

Les Secrets du Kayak : Quand tu rentres à la fédération, c’est quoi ta mission de vie à ce moment là pour le kayak ?

Christophe Rouffet : Ma mission professionnelle était claire. C’était de prouver à toutes les personnes du siège fédéral que dans la course en ligne il y avait des personnes de qualité avec des ressources et des inspirations et du potentiel.

L’image du kayak était celle d’une discipline archaïque et poussiéreuse. Ils parlaient d’une ère du kayak que je ne connaissais pas. Pour moi, le kayak c’était du fun de la vitesse…

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce qui fait que tu changes de poste ensuite?

Christophe Rouffet : Au bout d’un moment, c’était devenu insupportable l’ambiance et le fait que l’équipe de France ne fonctionne pas. Soit je m’impliquais, soit je partais. C’était Pascal Boucherit qui s’occupait de l’équipe de France. Donc c’est Antoine Goetschy qui reprend le poste de Pascal.

Le poste de DEF devient vacant. Donc je deviens directeur d’équipe sans jamais avoir été entraîneur dans une situation ou c’était la Bérézina de tous les côtés. On a participé aux JO d’Athènes aux forceps.

Lorsque je deviens DEF, à plusieurs niveaux j’avais des idées à développer. J’ai pu participer au bilan de l’olympiade d’Athènes, et je les ai mis devant le fait que rien qu’administrativement ils étaient débordés, sans compter le travail à faire avec les athlètes.

Il fallait libérer les entraîneurs de cette charge. Je voulais apporter de l’intelligence dans la préparation. J’ai partagé ma vision avec Olivier et Jean-Pascal.

Il y a eu des embûches comme avec Marie Delattre et Anne-Laure Viard qui ont frôlé l’élimination.

On a essayé de mettre en place une organisation soutenante et apprenante avec les athlètes. Une complicité globale s’installait. C’est quand chacun a commencé à apprendre des autres que la course en ligne a vraiment progressé. En tous les cas, verbalement j’en ai pris plein la tête le temps que ça fonctionne.

Ensuite à Zagreb, pas mal de bateaux ne faisaient que neuvième. A un moment donné il faut que tout le monde soit dans le même projet, il fallait que les athlètes deviennent pro et matures.

Après ce qui était dur pour les athlètes, c’est que systématiquement avant les championnats du monde, donc vers les championnats d’Europe, ils avaient un rappel de volume, de force. Ils n’encaissaient pas beaucoup le lactique.

Mais je savais que les bateaux seraient prêts pour les championnats du monde.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que de faire deux olympiades en tant que directeur de l’équipe de France, c’est ce que tu voulais ?

Christophe Rouffet : Depuis Jean-Claude Le Bihan, je dois avoir le record du nombre d’années passées auprès des équipes, ou bien est-ce Alain Lebas.

C’était un choix pour structurer les choses dans la continuité de ce qui était fait. Et l’olympiade de trop c’est celle où tu ne te fais plus chier, donc il faut passer la main avant la troisième.

Avec le recul, je suis fier de cette aventure. Jusqu’en 2009, la France est dans les premiers rôles. On commence à se méfier du maillot français.

J’ai un regret personnel, mon couple n’ayant pas tenu jusqu’à la fin de la première olympiade.

Lors de la deuxième, il y a eu des changement structurel en 2009 sur la gestion de la prime des entraîneurs, c’était de la responsabilité du président de décider. Ma proposition collective et collaborative n’a pas été retenue.

Puis les deux entraîneurs élites étaient sous ma responsabilité, puis ils sont passés sous la direction de leur pôle pour la deuxième olympiades.

Le kayak de descente pour mieux performer sort des pôles France de Nancy et de Vaires, ce qui a été sclérosant pour nous autres.

Donc 2009-2011, il n’y a plus d’équipes apprenantes et soutenantes. C’est devenu chacun pour son pôle. On sort de la dynamique de progression pour rentrer sur une dynamique de régression. Je n’ai pas du être assez convaincant et offensif sur les prises de décisions. Olivier Boivin n’était plus dans l’équipe et ça s’est ressenti.

Les Secrets du Kayak : Ça s’est joué au niveau politique en fait et ce sont les athlètes qui en ont pâtis ?

Christophe Rouffet : Moi je parle que des choses qui étaient sous mon contrôle, d’autres ne l’étaient pas.

Deuxième olympiade, c’était la guerre entre les présidents de la commission internationale de course en ligne et le président fédéral. Pour des raisons électorales. Ça s’est joué à plein d’endroits même au siège fédéral.

Les Secrets du Kayak : Est-ce que tu penses que le fait qu’il y ait moins de cadres au sein de la fédération c’est une des raisons pour laquelle la course en ligne a du mal à performer ?

Christophe Rouffet : Ce n’est pas facilitant mais ce n’est pas le sujet, la performance se construit sur l’eau. C’est intéressant lorsqu’ils sont soutenus, jusque dans la cohérence des critères de sélection.

Aujourd’hui je travaille à l’INSEP sur tout ce qui est de la dimension mentale, on peut développer les modes de gestion mentale et du stress, mais si le mode de sélection est pourri, tu arrives aux JO cramé. Tout peut être facilitant ou limitant.

Les Secrets du Kayak : Tu as toujours eu une démarche de continuité par rapport à tes prédécesseurs, pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Est-ce que quand tu arrêtes en 2012 tu es confiant pour ceux qui prennent ta relève et pour la réussite du kayak de course en ligne ?

Christophe Rouffet : Quand j’arrête en 2012, je suis rincé. Trop c’est trop. Je l’avais annoncé au début de l’olympiade, je n’avais plus l ‘énergie. C’est Vincent Olla qui a remporté l’appel d’offre, il a été structurant dans le staff de l’équipe de France lors des olympiades, chacun connaissait son job, je n’étais pas inquiet.

J’ai toujours eu confiance dans le potentiel des athlètes. En 2005, les athlètes de plus de 23 ans devaient selon moi, faire une finale de coupe du monde pour aller aux championnats du monde.

En 2012, on sort des JO sans médaille. Ça fait douche froide, je passe la main en me disant qu’ils ont tout ce qu’il faut pour réussir.

Les Secrets du Kayak : Qu’est-ce que tu fais par la suite ?

Christophe Rouffet : Je suis ensuite adjoint du DTN sur le haut niveau de la fédération donc directeur sportif adjoint. Sur la partie haut niveau on s’est réparti les tâches, j’étais avec le kayak-polo, la descente. Parfois avec la course en ligne et les jeux de la jeunesse. Piloter la partie administrative par la mise en liste, les modalités de sélection…

Je continuais à aider sur les sélections en course en ligne et en slalom. Je reste quatre ans sur le poste.

J’avais fait 20 ans à la FCCK et ensuite le seul poste qui pouvait m’intéresser c’était DTN, mais n’ayant pas les ressources pour le devenir j’avais besoin d’aller voir ailleurs. Je travaillais déjà pas mal avec l’INSEP, puis j’y ai postulé.

Les Secrets du Kayak : C’est quoi pour toi les ressources qu’il te manquait pour être DTN ?

Christophe Rouffet : C’était la disponibilité mentale. Pendant trente ans, ma maison c’était mon sac et mes pagaies. Tu pars 200 jours par an, je voulais profiter de mes proches, découvrir une vie normale.

Au début j’ai eu peur de m’ennuyer, mais non. J’ai travaillé avec les fédérations pour préparer les JO de Tokyo, le débriefing puis sur Pékin. On est sur de gros projets en ce moment. Je reste près des JO.

Les Secrets du Kayak : Quels sont tes projets pour aujourd’hui ?

Christophe Rouffet : Je souhaite transformer la façon de travailler sur les formations à l’INSEP.

Aujourd’hui, il faut inventer des services et des méthodologies. La façon dont on regarde le sport est trop dans l’intellectuel, à mon sens il faut aussi libérer le mouvement des individus et des organisations.

On est bloqué par des réflexes archaïques qui tendent vers la blessure, la stagnation... Il faut construire le kayak avec un profil psychomoteur de l’athlète, le tout en cohérence. C’est une approche systémique et opérationnelle de la performance humaine, ça m’anime.

Les Secrets du Kayak : Si tu pouvais remonter le temps, quel conseil te donnerais-tu ?

Christophe Rouffet : Écoute toi ! Garde ton esprit critique. Écoute toi d’abord, arrête de vouloir être le champion de l’entraînement. J’ai trop forcé au mauvais moment, je me blessais au moment des stages, c’était à celui qui faisait le plus de kilomètres, je suis tombé malade.

J’en faisais trop, trop de choses qui ne me faisaient pas rêver. J’ai voulu combler mon point faible, et à la fin je n’avais même plus de plaisir à m’entraîner.

J’ai eu peu de blessures, mais c’était des tendinites, une cheville tordue, un kyste sur le poignet. Des petites choses vites handicapantes.

Les Secrets du Kayak : Est-ce qu’il y a d'autres sujets que tu voulais aborder ?

Christophe Rouffet : L’essentiel a été dit, on pourrait en parler des heures. Mais oui il y en a un, celui de l’olympiade de 2005-2008.

L’équipe progresse, mais il y a aussi Antoine Goetschy l’ancien DTN de la FFCK qui devient secrétaire général de la fédération internationale. Les contrôles anti-dopage changent un peu, c’est à dire que les nations comme les bulgares ou les polonais y passaient et nous beaucoup moins.

Je pense que c’est pure spéculation de ma part, mais je pense que ça a aussi contribué à faire qu’on a pu gravir des marches sur l’échiquier international.

Les Secrets du Kayak : C’est vrai que c’est une question que je n’aborde pas souvent la question du dopage, venant du milieu de la musculation j’ai certains doutes sur des athlètes de l’international qui ont des physiques qui me laissent perplexes.

Christophe Rouffet : Parfois il y a des athlètes inexistants au cours d’une olympiade et d’un coup ils pointent le bout de leur nez, et passent pour les JO. Parfois il y a des doutes, mais ça fait partie du jeu, et je pense qu’on est capable en étant plus malin et en libérant le mouvement des sportifs et des équipes de faire des choses bien, et qui développent l’individu. Le dopage est de l’aliénation de l’individu.

Une dernière chose, pour toute la communauté de pagayeurs : il faut croire en nos sportifs et dans le potentiel de nos entraîneurs. Si on les prend pour des truffes ils vont rester sous la terre, prenons les pour des aigles !

Vous pouvez retrouver Christophe Rouffet sur son compte Linkedin.

Lire la suite