L’entrainement polarisé en kayak

Pas plus tard qu’hier, je discutais avec un copain qui se trouvait intrigué par l’entraînement polarisé.

Il se questionnait sur l’intérêt de faire des séances à de faibles, voir très faibles intensités, lui, qui comme moi, avons grandi avec le fameux “No pain, No Gain” et pour qui, une séance, la plupart du temps, doit être à “la mort” ou presque pour en retirer des effets positifs.

Il est vrai que depuis de nombreuses années, l’entraînement polarisé est vu, pour beaucoup, comme l’entraînement 3.0.

Mais on peut se poser des questions.

Déjà, comment celui-ci est apparu ? Comment fonctionne-t-il ?

Y’a-t-il vraiment un intérêt à faire des séances faciles ?

Progresse-t-on vraiment mieux avec l’entraînement polarisé ? Faut-il en faire toute l’année ?

Ou encore, peut-on établir sa planification en se basant essentiellement dessus ?

Enfin, est-il adapté à tous et toutes ?

C’est le pourquoi de cet article où je vais donc tenter de démystifier l’entraînement polarisé.

1 - D’où vient l’entraînement polarisé ?

Différents auteurs ont cherché à analyser l’entraînement des meilleurs athlètes d’endurance afin de percer leurs secrets, notamment avec l’arrivée des athlètes d’Afrique de l’Est sur le devant de la scène en demi-fond, fond et marathon.

Comment, d’un coup, en dehors du possible dopage bien documenté sur le site Spé15, ces athlètes ont dominés la scène internationale presque du jour au lendemain ?

Bien sur, il y a des facteurs environnementaux à prendre en considération, mais tout de même.

C’est là qu’est apparu l’entrainement polarisé, en se rendant compte, que ces athlètes faisaient la majeure partie de leurs séances à très basse intensité, en dessous de leur seuil aérobie (Cf mon article sur les bases de l’entrainement en endurance), en zone 1 si on se réfère à un modèle à 3 zones.

L’entrainement polarisé consiste à s’entraîner principalement en zone 1

En s’intéressant à l’entraînement d’autres athlètes de longues distances dans d’autres sports, on s’est rendu compte que cela était communément admis.

Les chiffres étaient saisissants, au moins 3 séances sur 4 étaient réalisés à basse intensité d’où la simplification du fameux 80/20, un dérivé de la loi marketing de Pareto.

En y regardant de plus près, peu de séances étaient réalisés en zone 2 que certains ont appelé (à tort mais on va y revenir) la “zone morte” et au moins 15% des séances étaient réalisées en zone 3 à haute intensité.

Ainsi, sans réfléchir plus que cela, certains se sont dits qu’ils avaient trouvé là les secrets de la performance en endurance et l’entrainement polarisé est devenu l’entraînement 3.0, celui à faire sinon c’est que l’on se trompait.

Mais sur quoi théoriquement repose cette répartition de l’entraînement ?

2 - En théorie

En théorie, l’entraînement polarisé avec son alternance de séances à haute intensité et à basse intensité permettrait de cibler l’essentielles des adaptations générales et structurelles permettant de performer lors d’effort principalement “aérobie”, dépendant du métabolisme oxydatif.

L’entrainement polarisé consiste à réaliser environ 80% de ses efforts en Zone 1, 5% en Zone 2 et 15% en Zone 3.

Avec une répartition d’environ 80% des efforts à basse intensité, entre 60 et 80% de sa fréquence cardiaque maximale, on espère ainsi développer son endurance fondamentale, des adaptations cardiaques et locales spécifiques, être vraiment dans le spectre cardio-vasculaire et cardio-respiratoire, dans la genèse de nouveaux capillaires et mitochondries comme nous l’avons vu dans mon article sur l’endurance de force.

Mon collègue Sean en parle très bien sur sa chaine Youtube avec sa récente présentation (Il utilise un modèle à 5 zones et dans celui-ci la zone 1 et 2 représente la Zone 1 dont je parle) :

A l’autre bout du spectre, avec 15% à haute intensité, à plus de 90% de sa fréquence cardiaque maximale en moyenne, on espère améliorer sa force, le fonctionnement de ses muscles et bien évidemment sa VO2 max.

Pour rappel, voici les adaptations que l’on attend en fonction de l’intensité de l’effort :

En fonction de l’intensité des efforts que je produis, ce ne sont pas les mêmes adaptations qui se produisent.

L’entrainement en Zone 2, étant un entre deux, ne permettrait alors pas d’arriver aux adaptations souhaitées. On ferait un peu de tout, peu de rien sans rien cibler spécifiquement. Chaque élément de la performance ne se développerait pas de manière optimale et au lieu d’accroître son potentiel, on ne ferait que l’exploiter.

Cette alternance de Zone 1 et de Zone 3 part du principe que nous nous entraînons toujours soit à trop haute vitesse ou justement pas à assez haute vitesse.

On ne serait jamais en endurance fondamentale et c’est ce qui manquerait à la majorité des gens ce qui nuirait à nos capacités de récupération.

On ne ferait, en fait, que de la haute intensité puisque l’on juge pour beaucoup, dont j’ai fait partie, une bonne séance par le fait d’en finir complètement rincé.

Cela part du postulat que l’on confond intensité et difficulté alors que cela peut n’avoir aucun rapport. C’est pourquoi il faut avoir la bonne définition de l’intensité, qui peut varier en fonction de l’activité que l’on fait, de sa propre définition.

Cela peut être la vitesse, la fréquence cardiaque, le pourcentage de son maxi…

Pour certains, courir 2 heures sans s’arrêter est un effort “intense”, peu importe la vitesse, sa fréquence cardiaque ou tout autre mesure objective de l’intensité mais ce n’est pas “intense” au sens stricte du terme.

Alors que l’intensité est quelque chose de concret, de mesurable, bien que la notion de RPE soit utile pour l’impact psychologique de l’effort et la quantification de la charge d’entraînement.

Cette compartimentation des séances entre séance intense et peu intense permettrait de mieux profiter des séances intenses puisque les séances à basse intensité n’empièterait pas sur les capacités de récupération et permettrait d’être plus frais pour les séances qui “comptent” en Zone 3.

En plus, cela permettrait de réaliser un gros volume d’entraînement qui, on le sait, est primordial dans une optique de progrès. Plus j’en fais, mieux c’est, tant que je peux en récupérer, surtout à basse intensité.

L’exemple de Niels Van Der Poel, récent double champion olympique de patinage de “vitesse” sur 5 et 10 km en est un bon exemple avec ses 33 heures de vélo à basse intensité durant sa période foncière.

Rappelez-vous également la pyramide de Stephen Seiler que j’ai analysé dans mon article sur les bases de l’endurance :

Le volume d’entraînement est “presque” le facteur numéro 1 pour performer dans des disciplines où “l’aérobie” est le facteur déterminant de la performance.

En même temps, cela permettrait aussi d’améliorer son deuxième seuil ou SL2 (ce que l’on peut tenir entre 45 minutes et 1 heure) sans s’entraîner spécifiquement à cette allure en Zone 2.

Alors pourquoi ne nous entraînons pas tous de manière polarisée ?

3 - Critiques de l’entraînement polarisé

Un bon conseil ne vaut que pour un contexte précis, c’est pourquoi généraliser un conseil à l’ensemble de la population est souvent une erreur.

Il suffit de penser aux études scientifiques et aux moyennes pour comprendre que l’on peut se trouver à un spectre des résultats moyens, dans la catégorie de ceux pour qui ca ne fonctionnent pas ou dans la catégorie de ceux qui explosent avec je ne sais quelle technique d’entraînement.

Pour moi, la première question à se poser est : “Quel est l’effort que je vais réaliser en compétition ?”

Si vous ne faites pas compétition, cela peut être : "Quel est mon objectif ?”

Par exemple, je souhaite progresser sur un 2000 m en ligne droite à Aiguebelette et sur un 30’ non stop soit précisément une allure d’EB1+ qu’on qualifie d’allure seuil, dite “Tempo” sur un modèle à 5 zones, la Zone 3.

Puis-je progresser réellement en Zone 3 sans jamais en faire grâce à l’entraînement polarisé ?

Si je débutais complètement, il n’y a aucun doute qu’en faisant du volume d’entraînement à basse intensité et 1 séance du 3 ou 4 à haute intensité, toutes mes allures s’amélioreraient.

Mais à mesure que ma marge de progrès se réduit, tout en sachant finalement que toutes les adaptations sont spécifiques, n’ai-je pas un intérêt à m’entraîner à ma vitesse de “course” pour améliorer le temps que j’y tiens et l’ancrer en moi ?

Une fois que j’ai “développé” mes différents composants de la performance, ne dois-je pas apprendre à m’en servir le plus longtemps possible, à les exploiter ?

On le sait, ce n’est pas parce que j’ai la meilleure des VO2 max que je suis le plus rapide aussi. Il faut aussi tenir compte de comment je tiens tel ou tel pourcentage de ma VO2 max durant un effort.

Et ca, sans s’y entrainer spécifiquement, j’ai du mal à croire à de réelles adaptations, de réels progrès.

Je l’ai vu l’année dernière où mon objectif a surtout été de progresser au 2000 m soit un effort de 8 à 9 minutes et où l’entrainement a été orienté pour.

Cela a bien fonctionné mais sur le 30 minutes que j’ai réalisé de nombreuses fois l’été dernier, mes progrès ont été minimes.

Je n’étais pas capable de mieux tenir ma vitesse “seuil”, qui pour moi, tient au fait, que je n’ai pas vraiment entrainé cette allure de course, cette vitesse.

Je pense qu’il faut voir l’entraînement polarisé, comme j’en parlais notamment dans mon article sur la PPG en Kayak (mais qui peut s’appliquer à toutes les activités sportives), comme une solution à un manque de développement de certains facteurs qui pourraient s’apparenter à des “points faibles” dans la discipline en question.

C’est sur que si j’ai une fréquence cardiaque de repos au dessus de 55-60, pour un sportif “d’endurance”, je manque de développement cardio au sens stricte du terme.

Alors accumuler beaucoup de volume à faible intensité ne peut que me faire du bien.

Si, en même temps, je fais une discipline comme le marathon ou de la course sur route en cyclisme qui exigent de tenir un effort essentiellement à basse intensité, en Zone 1 avec des accélérations et des changements d’allure par intermittence, il est évident que l’entraînement polarisé peut convenir.

Si je manque de condition physique, qui est pour moi, le reflet du développement du métabolisme oxydatif, et que je suis toujours fatigué au moindre effort, alors faire essentiellement des séances à basse intensité est un gros plus car cela va améliorer mes capacités de récupération afin de pouvoir accumuler plus de volume d’entraînement par la suite.

Je me pose d’ailleurs la question de jusqu’à quand on peut développer cette composante sachant qu’avec le vieillissement, c’est plutôt le déclin.

On sait, par exemple, qu’augmenter sa VO2 max après 30 ans devient compliqué mais qu’en est-il des facteurs locaux comme le nombre et l’utilisation des capillaires et mitochondries ? Qu’en est-il de leurs fonctionnements ? Quelle est la limite ? J’imagine qu’elle est propre à chaque individu mais me permet de me questionner sur la direction à prendre en terme de planification.

Si j’ai 40 ans et que toute ma vie, j’ai fait des activités d’endurance, ai-je encore un intérêt aujourd’hui à faire essentiellement des entraînements à basse intensité ?

N’ai-je pas intérêt à me concentrer plutôt sur l’amélioration du temps de maintien d’un certain temps de ma VO2 max si désormais, je fais des efforts en Zone 2 si on le prend modèle à 3 zones ou en Zone 3 si on prend le modèle à 5 zones ?

Cela fait de nombreuses interrogations qui me permettent d’affirmer que l’entraînement polarisé, comme n’importe quelle planification d’entraînement, doit découler d’une réflexion approfondie par rapport à ses besoins ou aux besoins de l’athlète si on est entraineur.

4 - L’entrainement polarisé peut-il s’appliquer en Kayak ?

En kayak de “vitesse”, qui n’en est pas vraiment au vu de la durée des efforts, qui sont compris entre 1’20 pour du K4 500m pour les hommes et autour de 4’ pour du 1000m chez les femmes, il convient de se poser les bonnes questions.

Si je fais du K4 500m homme (4 personne dans un même kayak) et mon effort dure 1 minute et 20 seconde (on peut rêver), on peut estimer que la performance est dû pour 50/50 au métabolisme anaérobie (même si rien ne fonctionne sans oxygène) et au métabolisme aérobie.

(Ici, le K4 500m aux championnats d’europe 2022 à Munich où les français finissent 3 ème :))

Toutefois, l’effort reste court, très court et quel est l’intérêt de l’entraînement polarisé pour y performer ?

Ne dois-je faire que de l’EC (séance à vitesse de course, EC pour endurance de course) et de l’EB1 (endurance de base 1, basse intensité) pour y parvenir ?

Il est clair qu’à basse intensité, je vais pouvoir travailler ma technique et qu’elle est plus qu’essentielle pour performer, sachant qu’elle ne sera jamais parfaite et qu’on peut toujours l’améliorer.

Mais quid de ce que l’on appelle le fond de train, la caisse ? Quel est sa part dans la performance en K4 500m où je vais devoir répéter des courses plusieurs jours de suite ou parfois dans la même journée ?

N’ai-je pas un intérêt à développer cette “caisse” ?

Parce que l’entraînement polarisé exclut les séances entre deux. Il n’y a pas d’EB2 (endurance de base 2, séance autour de VMA, “puissance aérobie”), d’EB1+ (endurance de base + dit entrainement au seuil / tempo).

Peut-on performer sans ce type de séance qui ne sont pas des séances intenses au sens stricte du terme et que je ne vais donc pas faire ?

J’ai du mal à y croire mais je ne suis pas entraîneur de kayak et n’ai donc pas d’expérience en la matière, que des questions et des tentatives de réponses.

Si je fais du K1 1000m et que je suis une femme avec un effort autour de 4 minutes, ce ne sont pas les mêmes facteurs qui sont déterminants dans la performance.

Mon effort est typiquement un effort de VMA, de vitesse maximale aérobie que je peux tenir, en théorie entre 4 et 6 minutes.

Sans m’entraîner avec des séances en EB2, en VMA, puis-je tenir 15 km/h (c’est la vitesse à tenir pour faire 4 minute au 1000m) ?

Permettez moi d’en douter fortement !

Si je ne fais que des séances à 10-11 km/h et des séances à 17-19 km/h, je ne sais pas comment arriver à ma meilleure performance sur 1000m.

Là où je veux en venir, c’est comme le dit Stephen Seiler, l’entrainement à allure de course est primordiale, j’oserais même dire déterminant dans la performance.

Je dois intégrer cette vitesse, elle doit faire partie de moi, d’autant plus que je me rapproche de l’échéance.

Prenons un autre exemple, si je fais du fond en kayak, c’est à dire du 5000 mètres soit typiquement un effort en Zone 3.

Il faut bien que je travaille cette vitesse et ma capacité à tenir cette vitesse. Ce n’est pas en ne faisant que des efforts éloignés de mon effort de compétition que je vais y performer au mieux, logique.

Par contre, et volontairement, j’ai exclu le 200 m de l’équation. Mais là, pour le coup, j’y crois à l’entraînement polarisé.

Avec son alternance de séances longues et techniques et ses séances intenses pour au final un effort entre 33 et 42 secondes, notamment à l’approche des compétitions, pour une performance essentiellement “anaérobie”.

Tout cela pour dire, comme souvent, que c’est une histoire de besoin propre à chacun.

Que dois-je développer pour performer ? Que dois-je exploiter ? Que me manque-t-il le plus ? Comment s’organise ma saison ? Quelles sont les dates importantes ?… Autant d’élément qui font que l’entraînement polarisé peut être une réponse… Par période !

5 - Conclusion sur l’entrainement polarisé en Kayak

L’entrainement polarisé n’est pas le meilleur entrainement universellement mais il fait partie des ingrédients à connaître et à maitriser pour planifier au mieux son entrainement sur le moyen et long terme.

De nombreuses planifications existent avec des avantages et inconvénients propres comme l’entrainement pyramidal, pyramidal inversé, au seuil….

Il faut avoir en tête que l’on ne peut pas tout développer à la fois et qu’un certain type de planification peut être une réponse sur le moment à ce que l’on essaie de mettre en place.

Mais il ne faut pas oublier par la suite d’exploiter ce que l’on a développé.

J’aime bien l’idée de phases d’accumulations et de phases d’exploitations.

Ainsi, l’entraînement polarisé peut être la réponse à un moment de la saison mais certainement pas la réponse pour toute la saison et toute la vie.

Tout part, encore une fois, de l’analyse de l’activité et des besoins de la personne.

Je ne saurais encore une fois que militer pour la personnalisation à tous les niveaux.

J’espère vous avoir éclairé sur l’entrainement polarisé en Kayak.

Si vous souhaitez aller plus loin avec mes conseils, je vous invite à suivre ma Formation gratuite à destination des kayakistes et céistes motivés en vous inscrivant ci-dessous.

N’hésitez pas également à me contacter pour toutes questions, précisions ou retours via le lien contact.

A bientôt,

Rudy


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